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valeur finie donnée. Soit la valeur infinie: cette valeur contient toutes les valeurs finies de son espèce, et, partant, la valeur finie A; je puis donc former cette équation: ∞ A = B. Quelle que soit la valeur de B, je tiens que le rapport de B à est A; car en ajoutant A à B, il résulte ∞ . L'équation A B me donne B+ Aco, et pareillement co

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- BA: or, comme A est une valeur finie donnée dans la supposition, et que A est la différence finie donnée entre ∞ et B, il résulte que l'on peut trouver une différence finie dans toute valeur infinie.

D'où l'on voit qu'il est possible d'assigner à une étendue infinie une différence finie, sans lui enlever son caractère d'infini. L'infini, par cela seul qu'il est tel, implique tout ce qui appartient à l'ordre d'infini qui lui est propre. Prenons quelle que ce soit de ces valeurs infinies; à la considérer comme une différence, il résultera une différence finie. Mais, loin de prouver contre l'infini de la valeur en question, ce fait le confirme; car il prouve que tout le fini se trouve compris dans l'infini.

Dans ce cas, le terme à soustraire sera infini sous un certain rapport, mais non dans l'ordre de décroissance, en tant qu'il lui manque la quantité qu'on lui a enlevée.

87. Il existe contre la possibilité d'une étendue infinie absolue un argument qui me semble plus difficile à résoudre. Je m'étonne que les adversaires de cette possibilité ne l'aient point relevé; le voici.

Le fait de l'existence d'une étendue infinie admis, Dieu peut anéantir cette étendue, et créer une étendue nouvelle également infinie. La somme totale des deux étendues est plus grande que chacune d'elles en particulier : donc aucune des deux étendues ne sera véritablement infinie. Rien n'empêche de supposer cet anéantissement répété à l'infini; d'où il résulte une série d'étendues infinies. Les termes de cette série ne peuvent exister en même temps, puisqu'une étendue infinie actuelle exclut les autres; donc, comme la somme de toutes les étendues est plus grande qu'un nombre quelconque d'étendues

partielles, l'étendue infinie absolue se doit trouver non dans les nombres partiels, mais dans la somme; donc l'étendue infinie en acte ou actuelle est intrinsèquement impossible.

Pour résoudre la difficulté, distinguons entre l'étendue en soi et la chose étendue. Toute la question repose sur la possibilité intrinsèque de l'infinité de l'étendue considérée en ellemème, abstraction faite du sujet dans lequel cette étendue se trouve. L'on fait passer sous nos yeux une série d'étendues infinies qui se succèdent; mais, cette succession s'opère entre des êtres étendus dont le nombre va se multipliant: elle ne s'opère point dans l'étendue elle-même.

L'idée pure de l'étendue infinie n'est point augmentée par les nouvelles étendues que nous pouvons concevoir : l'étendue apparait, disparaît, reparaît, et disparait encore, mais sans augmenter. La succession prouve la possibilité intrinsèque de son apparition, de sa disparition; elle prouve qu'elle est essentiellement contingente, puisqu'il ne lui répugne pas de cesser d'être lorsqu'elle est, et de passer de nouveau du non être à l'être. Etudions nos idées; nous verrons qu'il nous est impossible d'agrandir par aucune supposition l'étendue infinie lorsqu'une fois nous l'avons conçue ainsi, et que tout se réduit à une succession de productions et d'anéantissements. L'idée de l'étendue infinie m'apparait comme un fait primitif de notre esprit; cette infinité que nous imaginons dans l'espace n'est que le résultat des efforts de l'idée qui veut se formuler dans une réalité. L'homme a reçu du Créateur le don de l'intuition sensible et la possibilité de dilater cette intuition dans une proportion infinie: or, pour cela, nous avions besoin de l'idée d'une étendue infinie.

CHAPITRE XIII.

SI L'ÉTENDUE INFINIE EXISTE.

88. Une étendue infinie est-elle possible? Y a-t-il une étendue infinie? Questions essentiellement différentes,

puisque l'on peut en même temps affirmer pour l'une et répondre négativement pour l'autre.

Descartes prétend que l'étendue de l'univers est indéfinie ; mais ce mot indéfini, qui peut offrir un sens rationnel lorsqu'on s'en sert en vue de la portée de notre esprit, perd sa valeur lorsqu'on l'applique aux choses. L'étendue du monde est indéfinie dans ce sens que nous ne pouvons lui assigner des limites; mais dans la réalité, les limites du monde existent ou n'existent pas; point de moyen terme entre le oui et le non, et partant entre l'existence des limites et leur non existence; si elles existent, l'étendue du monde est finie; infinie si elles n'existent pas.

Ou l'argument de Descartes prouve que le monde est infini ou il ne prouve rien; s'il nous est permis de reculer indéfiniment les limites du monde, paree que nous concevons indéfiniment une étendue nouvelle au delà de toute étendue, la série de concepts dans laquelle nous entrons n'ayant point de terme, nous devons transporter à l'objet, c'est-à-dire à l'étendue du monde, l'infini des concepts.

Par malheur, l'argument du philosophe français manque de base; Descartes passe de l'ordre idéal ou plutôt de l'ordre imaginaire à l'ordre réel; transition qu'une saine logique ne saurait permettre.

89. Selon Leibnitz, Dieu pouvait créer l'univers matériel fini dans son étendue; mais il ne l'a point voulu. « Je ne dis point, comme on me l'impute, que Dieu ne puisse donner une limite à l'étendue de la matière; mais il semble qu'il ne l'ait point voulu et qu'il soit de sa sagesse de ne le point vouloir. » (Correspondance de Leibnitz et de Clarke. Réponse à la quatrième réplique de Clarke, paragraphe 73). L'opinion de Leibnitz tient à son système général, l'optimisme; système contre lequel on peut soulever de nombreuses difficultés. Je n'ai point à m'en occuper ici.

90. S'il m'est permis d'émettre une opinion, j'ose dire que la question présente ne saurait être résolue par la philosophic toute seule. Je ne vois de nécessité intrinsèque ni pour ni

contre l'existence d'une étendue infinie; l'idée ne nous apprend rien; c'est à l'expérience à nous instruire. Or, il s'agit ici d'une étendue infinie; que peut l'expérience? L'étendue du monde échappe à toute appréciation; voilà le seul fait que nous puissions affirmer. A mesure que la science astronomique étend ses conquêtes, de nouvelles profondeurs se découvrent dans l'océan de l'espace. Où est le bord? Cet océan a-t-il des rivages? La raison ne trouve en elle-même aucune réponse définitive. Que savons-nous, pauvres insectes, dont la vie n'est qu'une agitation d'un moment sur un grain de poussière que nous appelons le globe de la terre?

CHAPITRE XIV.

SUR LA POSSIBILITÉ D'UN NOMBRE INFINI ACTUEL.

91. Un nombre infini est-il possible? Est-il possible d'unir les deux idées nombre et négation de limite sans tomber dans une contradiction?

Quelque grand que soit un nombre, nous pouvons concevoir un nombre plus grand; ce qui semble indiquer qu'un nombre existant ne saurait être infini d'une manière absolue. En effet, réalisez ce nombre; une intelligence pourra le connaître, et partant le multiplier par deux, par trois. Ce nombre peut être augmenté; donc il n'est pas infini.

Cette difficulté insoluble, en apparence, s'évanouit devant une réflexion bien simple: c'est que l'acte intellectuel dont il s'agit, c'est-à-dire la multiplication, serait impossible dans la supposition de l'existence d'un nombre infini. Admettons quel l'intelligence ignorât l'infinité du nombre; la multiplication, faite dans cette hypothèse, donne pour résultat une contradiction. Un nombre infini absolu ne peut être augmenté; il y a répugnance; l'infini, impliquant tous les produits possibles, ne se multiplie pas.

92. Le nombre infini absolu ne saurait s'exprimer ni en valeurs algébriques ni en valeurs géométriques. Si l'expression représentait un infini absolu, nulle combinaison ne la pourrait augmenter : par cela seul qu'on suppose qu'elle peut être multipliée par d'autres nombres finis ou infinis, son infinité n'est point prise en un sens absolu.

a

La fraction, n'exprime point, dans la rigueur du mot, un

véritable infini; en effet, quelle que soit la valeur de, cette

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93. Il est pareillement impossible de représenter un nombre infini en valeurs géométriques.

Soit une ligne d'un mètre de longueur; que si nous prolongeons cette ligne à l'infini, en des directions opposées, nous aurons un nombre infini de mètres, puisque le mètre sera répété un nombre infini de fois. L'expression du nombre des mètres sera l'expression d'une valeur infinie. Toutefois je prétends que ce nombre n'est pas infini, et je le prouve : chaque mètre comprend dix décimètres; partant le nombre des décimètres contenus dans la ligne infinie est dix fois plus fort que le nombre des mètres; donc le premier nombre n'est pas infini. Nous pouvons appliquer aux décimètres le même raisonnement; ceux-ci se peuvent subdiviser en centimètres, lesquels à leur tour se subdivisent en millimètres, etc. Or, il est évident que le nombre exprimant chacune des valeurs moindres sera respectivement autant de fois plus grand que le nombre supérieur, selon la subdivision exprimée. Il y aura dix fois plus de décimètres que de mètres, dix fois plus de centimètres que de décimètres, etc., et ainsi dans une progression infinie, la divisibilité de la valeur linéaire n'ayant point de limites.

94. Il semble qu'en poussant jusqu'à l'infini la divisibilité d'une ligne infinie, les éléments qui constituent cette ligne nous

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