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est forcé d'admettre qu'il n'y a point de temps lorsqu'il n'y a point de changement.

66. Quoi qu'il en soit de ces questions établies sur de pures hypothèses, l'idée de passé est essentiellement relative : impossible de copcevoir le passé en le dépouillant de toute relation. Le mot a été rappelle l'être et le non ètre, succession qui constitue le temps. Dans ce rapport, le non ètre est perçu après l'être; c'est pourquoi il se nomme passé.

67. Il en est ainsi de l'idée de futur; impossible de le concevoir sans ce rapport. Futur est ce qui doit avoir lieu, ce qui doit être, relativement à un maintenant réel ou supposé, parce que, comme le passé, il change selon le point de rapport. Notre futur sera le passé de ceux qui vivront après nous; le futur de nos pères est notre présent ou notre passé.

Le futur a toujours un présent pour rapport; il ne peut avoir le passé comme dernier terme de ce genre, parce qu'en soi celui-ci se rapporte également au présent.

68. Done la seule chose qui soit absolue dans l'idée du temps, c'est le présent : celui-ci n'exige aucun rapport; et nonseulement il n'en exige point, mais il ne saurait en admettre; car nous ne le pouvons rapporter ni au passé, ni à l'avenir, puisque ces deux temps présupposent l'idée de présent, sans laquelle on ne saurait même les concevoir.

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69. Une chaîne dont les anneaux sont divisibles à l'infini, voilà le temps. Il n'est point de temps que nous ne puissions. fractionner l'instant indivisible est comme le point indivisible, une limite dont nous approchons toujours sans pouvoir jamais l'atteindre, un élément inétendu, générateur de l'étendue. Le point géométrique engendre la ligne à la condition de se mouvoir; et nous ne concevons le mouvement qu'en présupposant un espace dans lequel le point se meut, c'est-à-dire que nous commençons à priori par établir l'étendue qu'il s'agit de rechercher. Il en est de même par rapport au temps. Nous imaginons un instant indivisible, lequel s'écoule ou s'évanouit, produisant cette continuité de durée que nous appelons le temps; mais cet écoulement est impossible si l'on ne suppose un temps dans

lequel il s'écoule. Nous voulons assister à la génération du temps, et nous supposons d'abord qu'il existe se prolongeant jusqu'à l'infini, comme en une ligne immense dans laquelle l'instant s'écoule et passe. Qu'inférer de ces contradictions apparentes? Rien autre chose qu'une confirmation pressante de la doctrine que nous avons établie.

Le temps n'est point distinct des choses: la durée abstraite, distincte de la chose qui dure, est un être de raison, une œuvre que notre entendement élabore en mettant à profit les éléments lui fournit la réalité. Tout être est présent; ce qui n'est point présent n'est point être.

que

L'instant actuel, le nunc, est la réalité mème de la chose; il ne suffit point pour constituer le temps, mais il est indispensable au temps. Il peut y avoir un présent sans passé ou futur; il ne peut y avoir ni passé ni futur sans présent. Lorsqu'il y a ètre et non être, et que ce rapport est perçu, le temps commence. Imaginer le passé et le futur sans alternative d'être et de non être, comme une sorte de ligne se prolongeant jusqu'à l'infini en deux directions opposées, c'est prendre pour une idée philosophique un vain jeu d'esprit, c'est appliquer au temps l'illusion des espaces imaginaires.

70. Donc, s'il n'y a autre chose que l'être, il n'y a pareillement qu'une durée absolue, le présent: dès lors ni passé ni futur, et par conséquent point de temps. Le temps est essentiellement une quantité successive qui s'écoule; on ne la peut saisir dans son actualité, parce qu'elle est toujours divisible, et que toute division dans le temps constitue passé et futur : ce qui démontre que le temps est un pur rapport, et que dans les choses il n'exprime qu'ètre et non être.

CHAPITRE X.

APPLICATION DE LA DOCTRINE QUI PRÉCÈDE A DIVERSES QUESTIONS IMPORTANTES.

71. Quelques applications vont éclaircir la théorie que nous avons exposée.

1o Avant la création du monde s'était-il écoulé un temps? -Non. La succession n'existant point, le présent seul était : à savoir, l'éternité de Dieu.

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2. Est-il possible qu'un monde ait précédé celui-ci? — Sans doute; il suffirait que Dieu l'eût créé sans créer le monde actuel l'ètre de l'un, le non ètre de l'autre, c'était assez; et comme il y a non ètre par cela seul que la création n'est point posée, il suit que si Dieu eût créé l'un sans créer l'autre, que s'il eût cessé de conserver l'un en créant l'autre, il y aurait cu succession, c'est-à-dire antériorité.

3° L'existence d'un monde antérieur à celui-ci était-elle possible en un temps donné? En d'autres termes : au moment où commençait le monde actuel, un autre monde pouvait-il avoir cessé d'ètre quelque temps auparavant? -Cette question implique une contradiction: elle suppose un temps, c'est-àdire la succession, lorsque rien n'existe qui se puisse succéder. Un monde ayant cessé d'ètre, le monde nouveau n'étant pas encore, rien n'existait dans cette hypothèse, hormis Dieu; done point de succession: l'éternité seule était.

Mais les deux mondes dont il s'agit, le monde présent et le monde passé, ont-ils été, oui ou non, séparés par le temps? Il n'y a point d'intervalle de temps lorsque le temps n'existe pas : l'intervalle, ici, est une pure illusion par laquelle nous imaginons un temps, lorsque la question elle-même pose qu'il n'en existe point.

On objecte qu'alors les deux mondes successifs seront immédiats, c'est-à-dire que le premier instant d'existence de

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l'un suivra, sans intervalle, le dernier instant d'existence de l'autre. Erreur! Il faut pour cela une succession d'être liés entre eux dans un certain ordre, comme les phénomènes du monde actuel. Or, les deux mondes supposés n'auraient entre cux de rapports d'aucune espèce; donc ils ne seraient ni distants ni immédiats.

Mais, dit-on, point de milieu entre l'être et le non être : la distance étant négation de contiguité, et la contiguité négation de distance, nier l'une, c'est affirmer l'autre, et vice versa, ou bien c'est affirmer que ces mondes seront à la fois distants et immédiats.-Cette objection suppose ce qui est en question. L'on applique les mots distance et immédiat, c'est-à-dire on parle du temps comme si le temps était une chose positive distincte des êtres eux-mêmes.

Le principe que toute chose est ou n'est pas, quodlibet est vel non est, ne comporte aucune incertitude, à la condition qu'une chose soit. Mais s'il n'y a rien, que devient la disjonctive? Le temps ne se distingue point de l'être des deux mondes dont il s'agit; il est la succession de leurs phénomènes : or, la succession, qu'est-elle, sinon l'être et le non ètre; existence et négation d'existence?

Aux yeux de Dieu, la succession de ces deux mondes serait simplement leur existence et leur non existence. Pour une créature intelligente, il y aurait perception d'existence immédiate ou d'intervalle dans l'existence, selon que cette intelligence aurait ou n'aurait pas éprouvé de perceptions intermédiaires. L'ètre percevant serait lui-même dans ce cas la seule mesure du temps; temps plus ou moins long, selon que les perceptions de cet être seraient plus ou moins nombreuses.

72. L'idée du temps est essentiellement relative, dans ce sens qu'elle est la perception régulière de l'être et du non être. La simple perception de l'un des deux extrêmes ne nous donne point l'idée du temps: cette idée implique nécessairement une comparaison. Il en est de même de l'idée de l'espace. Nous ne concevons ni espace ni étendue d'aucune sorte, sans juxtaposition, c'est-à-dire sans rapport. Donc la multiplicité entre

IDÉES DE L'ESPACE ET DU TEMPS. nécessairement dans les idées d'espace et de temps; d'où il suit qu'un être absolument simple, un dans ses actes comme dans son essence, en qui tout est un, exclut les idées d'espace et de temps; attribuer à ces idées quelque chose de réel, en dehors du monde corporel, et antérieurement à l'existence du monde créé, c'est une imagination vaine.

CHAPITRE XI.

RESSEMBLANCES ET RAPPORTS ENTRE LES IDÉES DE L'ESPACE ET DU TEMPS ; ILS SONT CONFIRMÉS PAR L'ANALYSE.

73. Les difficultés que présentent ces deux idécs, espace et temps, sont de même nature, leurs définitions présentent les plus grandes analogies; mèmes résultats, mèmes illusions par rapport à la réalité des choses. J'appelle l'attention du lecteur sur le parallèle suivant; il me semble jeter un grand jour sur la question.

74. L'espace, en lui-même, ne se distingue point des corps : c'est l'étendue mème des corps; le temps en soi ne se distinguc point des choses: c'est la succession même des choses.

75. L'espace est l'étendue généralisée; la succession généralisée, voilà l'idée de temps.

76. Point de corps, point d'espace; point de succession, point de temps.

77. Un espace infini, antérieur aux corps ou en dehors des corps... création vaine de notre imagination. La même chose se peut dire d'un temps infini, antérieur aux choses ou en dehors des choses.

78. L'espace est continu; il en est de même du temps. 79. Une partie de l'espace exclut l'autre ; ainsi du temps. 80. Un espace pur, lequel devrait contenir les corps, n'est rien; ainsi d'un temps, c'est-à-dire d'une succession dans laquelle les choses se devraient succéder.

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