Page images
PDF
EPUB

par elles. Ainfi donc le Législateur ne pouvant employer ni la force ni le rai`fonnement, c'est une nécessité qu'il recoure à une autorité d'un autre ordre, qui puiffe entrainer fans violence et perfuader fans convaincre.

Voilà ce qui força de tous temps les pères des nations de recourir à l'intervention du ciel et d'honorer les Dieux de leur propre sagesse, afin qne les penples, foumis aux lois de l'Etat comme à celles de la nature, et reconnoiffant le même pouvoir dans la formation de l'homme et dans celle de la Cité, obéiffent avec liberté et portassent docilement le joug de la félicité publique.

Cette raifon fublime qui s'élevé audeffus de la portée des hommes vulgaires, est celle dont le Législateur met les décisions dans la bouche des immortels, pour entrainer par l'autorité divine ceux qui ne pourroit ébranler la

prudence humaine a). Mais il n'ap. partient pas à tout homme de faire parTer les Dieux, ni d'en être cru quand il s'annonce pour être leur interprête. La grande ame du Législateur est le vrai miracle qui doit prouver la mission. Tout homme peut graver des tables de pierre, ou acheter un oracle, ou feindre un fecret commerce avec quelque divinité, ou dreffer un oifeau pour lui parler à l'oreille, ou trouver d'autres moyens groffiers d'en imposer au peu

a),, E veramente, dit Machiavel, mai non fù alcuno ordinatore di leggi ftraordinarie in un popolo, che non ricorresse à Dio, perche altrimenti non farebbero accettate; perche fono molti beni conofciuti „da uno prudente, i quali non han.,no in fe raggioni evidenti da pontergli perfuadere ad altrui." Dif. corfi fopra Tito Livio. L. lo c. XI

[ocr errors]

ple. Celui qui ne saura que cela pourra même assembler par hafard une troupe d'infenfés, mais il ne fondera jamais un empire, et fon extravagant ouvrage périra bientôt avec lui. De vains preftiges forment un lien passager, il n'y a que la fageffe qui le rend durable. La loi Judaïque tonjours fubfiftante, celle de l'enfant d'Ifmaël qui depuis dix fiécles régit la moitié du monde, annoncent encore aujourd'hui les grands lrommes qui les ont dictées; et tandis que l'orgueilleufe philofophie ou l'aveugle efprit de parti ne voit en eux que d'heureux impofteurs, le vrai politique admire dans leurs inftitutions ce grand et puiffant génie qui préside aux établiffemens durables.

Il ne faut pas de tout ceci conclure avec Warburton que la politique et la religion aient parmi nous un objet commun, mais que dans l'origine des nations l'une fert d'instrument à l'autre.

CHAPITRE VIII

Du Peuple.

Comme avant d'élever un grand édi

fice l'architecte obferve et fonde, le fol, pour voir s'il en peut foutenir le poids, le fage inftituteur ne commence pas par rédiger de bonnes lois en elles-mêmes, mais il examine auparavant fi le peuple auquel il les déstine eft propre à les fupporter. C'eft pour cela que Platon re

fufa de donner des lois aux Arcadiens et aux Cyréniens, fachant que ces deux. Peuples étoient riches et ne pouvoient. fouffrir l'égalité: c'eft pour cela qu'on vit en Crete de bonnes lois et de méchans hommes, parce que Minos n'avoit discipliné qu'un peuple chargé de vices.

Mille nations ont brillé fur la terre. qui n'auroient jamais pu fouffrir de

bonnes lois, et celles mêmes qui l'au roient pu n'ont eu dans toute leur durée qu'an temps fort court pour cela. La plupart des peuples ainfi que des hommes ne font dociles que dans leur jeuneffe, ils deviennent incorrigibles en vieillillant; quand une fois les coutu mes font établies et les préjugés enracinés, c'est une entreprise dangereuse et vaine de vouloir les réformer; le peuple ne peut pas même fouffrir qu'on touche à fes maux pour les détruire, semblable à ces malades stupides et fans courage qui frémiffent à l'aspect du médecin.

Ce n'eft pas que, comme quelques maladies bouleverfent la tête des hommes et leur ôtent le fouvenir du paffé, il ne fe trouve quelquefois dans la durée des Etats des époques violentes où les révolutions font fur les peuples ce que certaines crises font fur les individus, où l'horreur du passé tient lieu d'oubli, et où l'Etat, embrafé par les guerres civiles, renaît pour ainfi dire de fa cendre

« PreviousContinue »