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On ne fauroit dire combien ce défaut d'exactitude a jeté d'obfcurité fur les décifions des auteurs en matière de droit politique, quand ils ont voulu juger des droits refpectifs des rois et des peuples, fur les principes qu'ils avoient établis. Chacun peut voir dans les chapitres III et IV du premier livre de Grotius, comment ce favant homme et fon traducteur Barbeyrac s'enchevêtrent, s'embarrassent dans leurs fophismes, crainte d'en dire trop ou de n'en pas dire affez felon leurs vues, et de choquer les intérêts qu'ils avoient à concilier. Grotius réfugié en France, mécontent de la patrie, et voulant faire sa cour à Louis XIII, à qui fon livre est dédié, n'épargne rien pour dépouiller les peuples de tous leurs droits et pour en revêtir les rois avec tout l'art poffible. C'eût bien été aussi le goût de Barbeyrac, qui dédioit sa traduction au roi d'Angleterre, George I. Mais malheureusement l'expulfion de Jacques II

qu'il appelle abdication, le forçoit à se tenir fur la réserve, à gauchir, à tergiverfer pour ne pas faire de Guillaume un ufurpateur. Si ces deux écrivains avoient adopté les vrais principes, toutes les difficultés étoient levées, et ils euffent été toujours conféquens; mais ils auroient triftement dit la vérité et n'auroient fait leur cour qu'au peuple. Or, la vérité ne mène point à la fortune, et le peuple ne donne ni ambassades, ni chaires, ni pensions.

CHAPITRE II I.

Si la volonté générale peut erreras

Il s'enfuit de ce qui précède, que la vò

lonté générale eft toujours droite et tend toujours à l'utilité publique: mais il ne s'enfuit pas que les délibérations du peuple aient toujours la même rectitude. On veut toujours fon bien, mais on ne le voit pas toujours: jamais on ne corrompt le peuple, mais fouvent on le trompe, et c'eft alors feulement qu'il paroît vouloir ce qui eft mal.

:

Il y a fouvent bien de la différence entre la volonté de tous et la volonté générale celle-ci ne regarde qu'à l'intérêt commun, l'autre regarde à l'inté rêt privé, et n'eft qu'une fomme de volontés particulières: mais ôtez de ces mêmes volontés les plus et les moins

qui s'entre - détruisent a), refte pour fomme des différences la volonté générale,

Si, quand le peuple fuffisamment informé délibère, les citoyens n'avoient aucune communication entr'eux, du grand nombre de petites différences réfulteroit toujours la volonté générale, et la délibération feroit toujours bonne.

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a) Chaque intérêt, dit le Mar-
quis d'Argenfon, a des princi
pes différens. L'accord de
deux intérêts particuliers
fe forme par oppofition à -
celui d'un tiers.
Il eût pu
ajouter que l'accord de tous les in
térêts fe forme par oppofition à
celui de chacun. S'il n'y avoit
point d'intérêts différens, à peine
fentiroit-on l'intérêt commun qui

ne

trouveroit jamais d'obftacle: tout iroit de lui-même, et la Politique cefferoit d'être un art.

Mais quand il fe fait des brigues, des affociations partielles aux dépens de la grande, la volonté de chacune de ces affociations devient générale par rapport à fes membres, et particulière par rapport à l'Etat; on peut dire alors qu'il n'y a plus autant de votans que d'hommes, mais feulement autant que d'associations. Les différences deviennent moins nombreuses et donnent un réfultat moins général, Enfin, quand une de ces affociations eft fi grande qu'elle l'emporte fur toutes les autres, vous n'avez plus pour résultat une fomme de petites différences, mais une indifférence unique; alors il n'y a plus de volonté `générale, et l'avis qui l'emporte n'est qu'un avis particulier.

Il importe donc pour avoir bien l'énoncé de la volonté générale qu'il n'y ait pas de fociété partielle dans l'Etat, et que chaque citoyen n'opine que d'a

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