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velle condition ne le dégradoient fou vent au-dessous de celle dont il eft forti, il devroit bénir fans ceffe l'inftant heureux qui l'en arracha pour jamais, et qui, d'un animal ftupide et borné, fit un être intelligent et un homme.

Réduifons toute cette balance à des termes faciles à comparer. Ce que l'homme perd par le contrat social, c'est fa liberté naturelle et un droit illimité à tout ce qui le tente et qu'il peut atteindre; ce qu'il gagne, c'est la liberté civile et la propriété de tout ce qu'il poffède. Pour ne pas fe tromper dans ces compenfations; il faut bien diftinguer la liberté naturelle qui n'a pour bornes que les forces de l'individu, de la liberté civile qui eft limitée par la VOlonté générale, et la poffeffion qui n'est que l'effet de la force ou le droit du prémier occupant, de la propriété qui ne peut être fondée que fur un titre pofitif.

On pourroit fur ce qui précéde ajouter à l'acquis de l'état civil la liberté morale, qui feule rend l'homme vraiment maitre de lui; car l'impulfion du feul appétit eft efclavage, et l'obéissance à la loi qu'on s'eft prefcrite eft liberté. Mais je n'en ai déja que trop dit fur cet article, et le fens philofophique du mot liberté n'eft pas ici de mon fujet,

CHAPITRE I X.

Du Domaine réel.

Chaque membre de la communauté se

donne à elle au moment qu'elle fe forme, tel qu'il fe trouve actuellement, lui et toutes les forces, dont les biens qu'il poffède font partie. Ce n'eft pas que par cet acte la poffeffion change de nature en changeant de mains, et .devienne propriété dans celles du Souverain: mais comme les forces de la Cité font incomparablement plus grandes que celles d'un particulier, la poffeffion publique eft auffi dans le fait plus forte et plus irrévocable, fans être plus légitime, au moins pour les étrangers. Car l'Etat à l'égard de fes membres eft maitre de tous leurs biens par le contrat focial, qui dans l'Etat fert de base à tous les droits; mais il ne l'est à l'égard

des autres Puiffancés que par le droit du premier occupant, qu'il tient des particuliers.

Le droit de premier occupant, quoique plus réel que celui du plus fort, né̟ devient un vrai droit qu'après l'établis fement de celui de propriété. Tout homme a naturellement droit à tout ce qui lui eft néceffaire; mais l'acte pofitif qui le rend propriétaire de quelque bien l'exclut de tout le refte, Sa part étant faite, il doit s'y borner, et n'a plus aucun droit à la communauté. Voilà pourquoi le droit du premier occupant, fi foible dans l'état de nature, est respectable à tout homme civil. On refpecte moins dans ce qui eft à autrui que ce qui n'eft pas à foi.

En général, pour autorifer fur un terrain quelconque le droit du premier occupant, il faut les conditions fuivan

tes.

Premièrement que ce terrain ne foit encore habité par personne; fecon dement qu'on n'en occupe que la quan

pour

fubfifter; en

tité dont on a befoin troisième lieu qu'on en prenne poffellion, non par une vaine cérémonie, mais par le travail et la culture, feul figne de propriété qui au défaut de titres juridiques doive être refpecté

d'autrui.

En effet, accorder au befoin et au travail le droit de premier occupant, n'eft-ce pas l'étendre auffi loin qu'il peut aller? Peut-on ne pas donner des bornes à ce droit? Suffira-t-il de mettre le pied fur un terrain commun pour s'en prétendre auffi - tôt le maitre? Suffira-t-il d'avoir la force d'en écarter un moment les autres hommes pour leur ôter le droit d'y jamais revenir? Comment un homme ou un peuple peut-il s'emparer d'un territoire immenfe et en priver tout le genre-humain autrement que par une ufurpation puniffable, puisqu'elle ôte an refte des hommes le féjour et les alimens que la nature leur donne en commun? Quand

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