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les premiers tout s'emploie à l'utilité commune; dans les autres les forces publiques et particulières font réciproques, et l'une s'augmente par l'affoiblissement de l'autre. Enfin, au lieu de gouver ner les fujets pour les rendre heureux, le defpotisme les rend miférables pour les gouverner.

Voilà donc dans chaque climat des caufes naturelles fur lesquelles on peut affigner la forme de Gouvernement à laquelle la force du climat l'entraine, et dire même quelle espèce d'habitans il doit avoir. Les lieux ingrats et stériles où le produit ne vaut pas le travail, doivent refter incultes et déferts, ou feulement peuplés de Sauvages: les lieux où le travail des hommes ne rend exactement que le néceffaire, doivent être habités par des peuples barbares, toute politie y feroit impossible: les lieux où l'excès du produit fur le tra vail eft médiocre, conviennent aux peuples libres: ceux où le terroir abon

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dant et fertile donne beaucoup de pro duit pour peu de travail, veulent être gouvernés monarchiquement, pour confumer par le luxe du prince l'excès du fuperflu des fujets; car il vaut mieux que cet excès foit absorbé par le Gou vernement que diffipé par les particuliers. Il y a des exceptions, je le fais; mais ces exceptions mêmes confirment la régle, en ce qu'elles produifent tôt ou tard des révolutions qui ramènent les chofes dans l'ordre de la nature.

Diftinguons toujours les lois générales des caufes particulières qui peuvent en modifier l'effet. Quand tout le midi feroit couvert de Républiques et tout le nord d'Etats defpotiques, il n'en feroit pas moins vrai que par l'effet du climat le defpotisme convient aux pays chauds, la barbarie aux pays froids, et la bonne politie aux régions intermé diaires. Je vois encore qu'en accordant le principe, on pourra disputer fur l'ap plication, on pourra dire qu'il y a des

pays froids très - fertiles, et des méri dionaux très - ingrats. Mais cette dif

ficulté n'en eft une que pour ceux qui n'examinent pas la chofe dans tous fes rapports. Il faut, comme je l'ai déja dit, compter ceux des travaux, des for ces, de la confommation, etc.

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Suppofons que de deux terrains égaux l'un rapporte cinq et l'autre dix. Si les habitans du premier confomment quatre et ceux du dernier neuf, l'excès du premier produit fera un cinquième, et celui du fecond un dixième. Le rapport de ces deux excès étant done inverfe de celui des produits, le terrain qui ne produira que cinq donnera un fuperflu double de celui du terrain qui produira dix.

Mais il n'eft pas queftion d'un produit double, et je ne crois pas que perfonne ofe mettre en général la fertilité des pays froids en égalité même avec celle des pays chauds. Toutefois fuppofons cette égalité; laiffons, fi l'on

veut, en balance l'Angleterre avec la Sicile, et la Pologne avec l'Egypte. Plus au midi, nous aurons l'Afrique et les Indes; plus au nord, nous n'aurons plus rien. Pour cette égalité de produit, quelle différence dans la culture ? En Sicile il ne faut que gratter la terre; en Angleterre que de foins pour la labourer! Or là où il faut plus de bras pour donner le même produit, le fuperflu doit être nécessairement moindre.

Confidérez, outre cela, que la même quantité d'hommes confomme beaucoup moins dans les pays chands. Le climat demande qu'on y soit fobre pour fe porter bien: les Européens qui veulent y vivre comme chez eux périssent tous de dyffenterie et d'indigeftions. Nous fommes, dit Chardin, des bêtes carnacières, des loups, en comparaifon des Afiatiques. Quelques-uns attribuent la fobriété des Perfans à ce que leur pays eft moins cultivé, et moi je crois au contraire que leur pays abonde moins en

denrées, parce qu'il en faut moins aux habitans. Si leur frugalité, continue-til, étoit un effet de la difette du pays, il n'y auroit que les pauvres qui mange-, roient peu, au lieu que c'est généralement tout le monde, et on mangeroit plus ou moins en chaque province felon la fertilité du pays, au lieu que la même fobriété fe trouve par tout le royaume. Ils fe louent fort de leur manière de vidifant qu'il ne faut que regarder leur teint pour reconnoître combien elle eft plus excellente que celle des chrétiens. En effet, le teint des Perfans eft uni'; ils ont la peau belle, fine et polie, au lieu que le teint des Arméniens leurs fujets qui vivent à l'Européenne eft rude, couperofé, et que leurs corps font gros et pefans.

vre,

Plus-on approche de la ligne, plus les peuples vivent de peu. Ils ne mangent presque pas de viande; le ris, le maïs, le cuzcuz, le mil, la cassave, font leurs alimens ordinaires. Il y a

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