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de Sénat, de Gérontes. Les Sauvages de l'Amérique feptentrionale fe gouvernent encore ainfi de nos jours, et font très-bien gouvernés.

Mais, à mesure que l'inégalité d'inftitution l'emporta fur l'inégalité naturelle, la richeffe ou la puissance a) fut préférée à l'âge, et l'ariftocratie devint élective. Enfin la puiffance transmife avec les biens du père aux enfans, rendant les familles patriciennes, rendit le Gouvernement héréditaire, et l'on vit des Sénateurs de vingt ans.

Il y a donc trois fortes d'ariftocratie. naturelle, élective, héréditaire. La première ne convient qu'à des peuples fimples; la troifième eft le pire de tous les Gouvernemens. La deuxième eft` le

a) Il eft clair que le mot Optimares chez les anciens ne veut pas dire les meilleurs, mais les plus puiffans.

meilleur: c'eft l'ariftocratie proprement dite.

Outre l'avantage de la diftinction des deux pouvoirs, elle a celui du choix de fes membres; car dans le Gouvernement populaire tous les citoyens naissent magistrats; mais celui-ci les borne à un petit nombre, et il ne le devienne que par élection a); moyen par lequel G 5

a) Il importe beaucoup de régler par des lois la forme de l'élection des magiftrats; car en l'abandonnant à la volonté du prince, on ne peut éviter de tomber dans l'aristocratie héréditaire, comme il est arrivé aux Républiques de Venife et de Berne. Auffi la première eft-elle depuis long-temps un Etat diffout, mais la feconde fe maintient par l'extrême fageffe de fon fenat; c'eft une exception bien honorable et bien dangereufe.

la probité, les lumières, l'expérience, et toutes les autres raisons de préférence et d'eftime publique, font autant de nouveaux garans qu'on fera fagement gouverné,

De plus, les afssemblées se font plus commodément; les affaires fe difcutent mieux, s'expédient avec plus d'ordre et de diligence; le crédit de l'Etat eft mieux foutenu chez l'étranger par de vénérables Sénateurs, que par une multitude inconnue ou méprisée.

En un mot, c'eft l'ordre le meilleur et le plus naturel que les plus fages gouvernent la multitude, quand on eft sûr qu'ils la gouverneront pour fon profit et non pour le leur; il ne faut point multiplier en vain les refforts, ni faire avec vingt mille hommes ce que cent hommes choifis peuvent faire encore mieux. Mais il faut remarquer que l'intérêt de Corps commence à moins diriger ici la force publique fur la régle de la volonté générale, et qu'une autre

pente inévitable enleve aux lois une partie de la puiffance exécutive.

A l'égard des convenances particulières, il ne faut ni un Etat fi petit ni un Peuple fi fimple et fi droit, que l'exé cution des lois fuive immédiatement de la volonté publique, comme dans une bonne démocratie. Il ne faut pas non plus une fi grande nation, que les chefs épars pour la gouverner puiffent trancher du Souverain chacun dans fon département, et commencer par fe rendre indépendans pour devenir enfin les

maitres.

Mais fi l'aristocratie exige quelques vertus de moins que le Gouvernement populaire, elle en exige auffi d'autres qui lui font propres, comme la modération dans les riches et le contentement dans les pauvres; car il femble qu'une égalité rigourenfe y feroit déplacée: elle ne fut pas même obfervée à Sparte.

Au refte, fi cette forme comporte une certaine inégalité de fortune, c'est

bien pour qu'en général l'adminiftration des affaires publiques foit confiée à ceux qui peuvent le mieux y donner tout leur temps, mais non pas, comme prétend Ariftote, pour que les riches foient toujours préférés. Au contraire, il importe qu'un choix oppofé apprenne quelquefois au peuple qu'il y a dans le mérite des hommes, des raifons de préférence plus importantes que la richesse.

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