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C'eft dans le Gouvernement que fe trouvent les forces intermédiaires, dont les rapports compofent celui du tout au tout, ou du Souverain à l'Etat. On peut représenter ce dernier rapport par celui des extrêmes d'une proportion continue, dont la moyenne propor tionnelle eft le Gouvernement; le Gouvernement reçoit du Souverain les ordres qu'il donne au peuple; et pour que l'Etat foit dans un bon équilibre, il faut, tout compenfé, qu'il y ait égalité entre le produit ou la puiffance du Gouvernement pris en lui-même, et le produit et la puissance des citoyens, qui font fouverains d'un côté et fujets de l'autre.

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De plus, on ne fauroit altérer aucun des trois termes fans rompre à l'instant la proportion. Si le Souverain veut gouverner, ou fi le magiftrat veut don ner des lois, ou fi les fujets refusent d'obéir, le désordre fuccède à la regle, la force et la volonté n'agissent plus de

concert, et l'Etat diffous tombe àinfi dans le defpotisme ou dans l'anarchie. Enfin comme il n'y a qu'une moyenne proportionnelle entre chaque rapport, il n'y a non plus qu'un bon Gouvernement poffible dans un Etat; mais comme mille événemens peuvent changer les rapports d'an people, non-feulement différens Gouvernemens peuvent être bons à divers peuples, mais au même peuple en différens temps.

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Pour tâcher de donner une idée des divers rapports qui peuvent réguer en tre ces deux extrêmes, je prendrai ponr exemple le nombre du peuple, comme un rapport plus facile à exprimer.

Suppofons que l'Etat foit compofé de dix mille citoyens. Le Souverain ne peut être confidéré que collective ment et en Corps. Mais chaque particulier en qualité de sujet eft confidét comme individu: ainfi le Souverain est au fujet comme dix mille est à un; c'est-à-dire, que chaque membre de

l'Etat n'a pour fa part que la dix - millième partie de l'autorité fouveraine, quoiqu'il lui foit foumis tout entier. Que le peuple foit compofé de cent mille hommes, l'état des sujets ne change pas, et chacun porte. également tontl'empire des lois, tandis que fon fuffrage, réduit à un cent-millième, a dix fois moins d'influence dans leur rédac tion. Alors le sujet restant toujours un, le rapport du Souverain augmente en raison du nombre des citoyens. D'où il fuit que plus l'Etat s'aggrandit, plus la liberté dimiune.

Quand je dis que le rapport aug- mente, j'entends qu'il s'éloigne de l'égalité. Ainfi plus le rapport eft grand dans l'acception de géometres, moins il y a de rapport dans l'acception commune; dans la première le rapport confidéré felon la quantité fe mefure par l'expofant; et dans l'autre, confidéré felon l'identité, il s'eftime par la fimilitude.

Or moins les volontés particulières fe rapportent à la volonté générale, c'està-dire, les moeurs aux lois, plus la force réprimante doit augmenter. Donc le Gouvernement, pour être bon, doit être relativement plus fort à mefure que le peuple eft plus nombreux.

D'un autre côté, l'aggrandissement de l'Etat donnant aux dépofitaires de l'autorité publique, plus de tentations et de moyens d'abuser de leur pouvoir, plus le Gouvernement doit avoir de force pour contenir le peuple, plus le Souverain doit en avoir à fon tour pour contenir le Gouvernement. Je ne parle pas ici d'une force abfolue, mais de la for ce relative des diverses parties de l'Etat.

Il fuit de ce double rapport que la proportion continue entre le Souverain, le prince et le peuple n'eft point une idée arbitraire, mais une conféquence néceffaire de la nature du Corps politique. Il fuit encore que l'un des extrêfavoir le peuple comme fujet,

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étant fixe et représenté par l'unité, toutes les fois que la raifon doublée augmente ou diminue, la raifon fimple augmente ou diminue femblablement, et que par conféquent le moyen terme eft changé. Ce qui fait voir qu'il n'y a pas une conftitution de Gouvernement unique et abfolue, mais qu'il peut y avoir autant de Gouvernemens différens en nature que d'Etats différens en grandeur.

Si, tournant ce fyftême en ridicule, on difoit que pour trouver cette moyenne proportionnelle et former le Corps du Gouvernement il ne faut, felon moi, que tirer la racine quarrée du nombre du peuple, je répondrois que je ne prends ici ce nombre que pour exemple, que les rapports dont je parle ne se mefurent pas feulement par le nombre des hommes, mais en général par la quan tité d'action, laquelle fe combine par des multitudes de caufes: qu'au reste si, pour m'exprimer en moins de paroles,

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