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déplorable anarchie médicale le démontrèrent avec évidence. Depuis près de 50 ans, le contre-coup de l'abolition des anciennes Facultés pèse encore sur la profession. Plus d'esprit de corps, plus de solidarité parmi les médecins d'aujourd'hui. Et voilà pourquoi l'on regrette que le mémorable congrès de 1845 soit resté sans résultat. Je sais bien que si le concours de ces hautes capacités n'a pas avancé l'œuvre de la réforme, il faut en accuser d'un côté les événemens politiques qui ont amené des mutations incessantes parmi les dépositaires du pouvoir, de l'autre les difficultés inhérentes au sujet lui-même. Mais ce qui porte conviction, c'est que les enfans à la mamelle auront le pied dans la tombe, avant qu'on ait corrigé un seul abus, si nous nous obstinons à demander un code complet sur la matière, au lieu de réclamer seulement celles dont la nécessité et l'urgence sont le plus généralement senties.

Il n'est pas aujourd'hui de médecin qui, sans le secours de la fortune ou des circonstances, ne soit forcé de livresa je unesse à un avenir chimérique, son savoir à d'inutiles labeurs.

Vous avez reçu les insignes du sacerdoce médical, mais qu'êtes-vous dans la foule, sinon l'unité numérique écartée ou broyée par la meule des intérêts contraires? Cependant la science a fait des progrès, l'enseignement s'est perfectionné, on a introduit dans le régime des hôpitaux d'incontestables améliorations. Comment donc la profession perd-elle chaque jour en éclat et en considération? Elle décline comme tout ce qui est sans point d'appui, parce que les médecins d'aujourd'hui sont isolés, je le répète, qu'aucun centre d'action ne les rallie, parce que l'égoïsme qui sert les individualités habiles nuit à l'ensemble de la profession.

Certes la vieille Faculté n'était pas une corporation irréprochable, plusieurs traits de son histoire l'attestent. L'ancien ordre de choses offrait, comme l'ordre actuel, de ces mauvais exemples de succès qu'infligent aux hommes les

caprices de l'aveugle fortune. Que faire à cela? Creusez votre sillon, semez et vous récolterez. Ce mot fut vrai dans tous les temps.

Mais c'était un centre de pouvoir reversible sur ses membres indistinctement. Or, combien d'avantages pour quelques inconvéniens! Qu'on s'imagine une corporation avec le pouvoir de donner, soit fraternellement, soit officiellement, des avis ou des remontrances, et le droit de présenter des candidats pour tous les postes médicaux ; représentez-vous une corporation de ce genre en temps épidémique, lors des ravages du choléra, et je demanderai si toutes les mesures que l'autorité a prises avec tant de sollicitude n'auraient pas été plus promptement et plus méthodiquement appliquées ?

Quel sera le nouveau mode d'organisation? Ici ce ne serait pas trop du levier d'Archimède. On peut galvaniser plus ou moins de temps le cadavre de notre corporation, le ressusciter, jamais. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'on ne peut revenir aux anciennes Facultés, ni conserver l'état actuel. Mais hâtons-nous, les bonnes traditions médicales se perdent. Que l'autorité sache se soustraire à la tyrannie des vieux abus et des intérêts particuliers. Les lois organiques que ne dicte point l'esprit de l'avenir meurent avec la passion du jour. Celle qui nous régit était peut-être bonne à l'époque de sa promulgation. On n'attaque jamais impunément les principes, c'est la racine de ce qui est immuable. Des germes féconds existent dans les entrailles de la société actuelle, hâtons-en le développement. Un bon germe contient en puissance les résultats, une bonne théorie est l'or pur du bon sens médical, les faits individuels n'en sont que la monnaie. Puisque notre progrès s'entretient de l'exhumation des vieilles doctrines, conformons-nous aux idées du siècle en ce qu'elles ont de juste et de progressif. Il faut laisser à la profession médicale la spontanéité de ses pratiques charitables. Le principe d'association sagement appliqué n'est-il pas par excellence

le principe de progrès, le frein le plus puissant de l'égoïsme? On a beau dire, le sentiment du devoir pénètre plus avant dans le cœur, quand on est fraction d'une compagnie dont l'honneur vous est en partie confié. Tel homme fort peu louable dans sa vie individuelle se moralise au moyen de l'association et de la solidarité, et bien rarement l'intervention de la compagnie est nécessaire pour rétablir l'ordre.

Voyez le barreau : ses membres luttent tous les jours, et on sait avec quelle ardeur, de talent, de savoir et d'intérêts. La jalousie leur est inconnue et les bons offices de la fraternité y sont accomplis religieusement, grâce au lien de l'association.

Notre profession si pénible au début, si difficile toujours, demanderait plus que toute autre que les individus s'y entr'aidassent. Quelle est, en effet, la carrière qui offre autant d'obstacles et qui exige autant de qualités? Le premier devoir du médecin, pour être à la hauteur de sa mission, toute de confiance et de délicatesse, c'est d'être honnête et instruit. Il faut qu'il trouve dans son cœur le germe de l'honnêteté et qu'il le cultive par l'éducation. Un labeur persévérant lui donnera la science. A son début, l'assiduité au lit des malades dans les hôpitaux, aux amphithéâtres lui ont acquis une expérience précoce. Que devient le nouveau docteur parvenu au terme des épreuves académiques? Il attend dans un long stage, gros de sacrifices, de soucis et de mécomptes; absorbé par l'étude et la pratique, il ne s'appartient plus. Jusque là le travail lui avait suffi; auprès des malades, il devra joindre à un sens droit un esprit positif, de l'attention, de la sagacité. Ce n'est pas tout encore: la médecine, comme un apostolat, ne peut faire le bien que dans une sage confiance dans ses efforts. La foi est la racine même de la science, comme la bienfaisance et la compassion sont les mobiles de la charité.

La sollicitude du médecin appartient à la souffrance,

quelle que soit son origine. Pourquoi demander son acte de naissance à celui qui va mourir? La charité ne connaît pas de frontières; elle ne choisit pas sa moisson sur un sol privilégié. Nos pères construisaient la maison des malades à côté de la maison du Seigneur, et ils l'appelaient, l'Hôtel-Dieu, la consacrant, comme une pieuse et secourable hôtellerie, à toutes les douleurs qui cheminent courbées par ce monde. De même que la porte de l'église est ouverte à toute dévotion, ainsi celle du médecin doit céder à toute main languissante qui vient y frapper. Frères, laissez venir à vous tous les malades, comme le divin maître laissait venir à lui tous les enfans. Les infirmes et les faibles ne composent-ils pas là perpétuelle enfance de l'humanité? L'autel accueille toute prière, la main du prêtre élève sur toutes les têtes inclinées vers le parvis le symbole mystique du salut. La médecine, sacerdoce conservateur de l'organisation, doit, sur une ligne parallèle, marcher de front avec la religion. Elle veut des cœurs ouverts à l'humanité, des asiles librement ouverts comme des temples. Malheur à qui les bénédictions du pauvre sont moins chères que l'or et les faveurs du riche. C'est sous le toit du pauvre que le ministère du médecin est le plus beau, sans autres témoins que la misère et les larmes, sans autre récompense que le bonheur du devoir accompli..

Ne soyez donc pas étonnés, Messieurs, si la médecine exerce sur la société une telle influence qu'elle ait été considérée comme une espèce de sacerdoce. Le médecin voit l'homme à toutes les phases de son existence. Connaissez-vous une profession qui prenne ainsi l'homme, depuis la première ébauche de sa vie jusqu'à l'entière disparition de son être physique, qui toujours l'assiste dans les angoisses de la douleur?

Pour un esprit élevé que d'observations sur la nature humaine? L'histoire secrète de l'humanité, les mystères de la vie privée n'ont plus de voile. Le secret du foyer

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domestique restera dans le cœur comme un dépôt sacré ; la douleur est une grande révélatrice : elle montre les misères de l'homme, elle dévoile son égoïsme, ce serpent qui le flatté et le mord, le caresse et le tue.

Vous savez encore si le courage indispensable aux médecins leur a fait défaut, s'ils ont été fidèles au poste de l'honneur au milieu des épidémies meurtrières ? N'ont-ils pas bravé la peste jusque sur le sol étranger?

Quelle méprise pour celui qui aurait compté sur la fortune en dédommagement des tourmens de la pratique! Car, savez-vous ce qui tue sourdement un médecin avant l'heure? Ce sont des peines morales à lui seul connues, c'est une responsabilité surhumaine, c'est la fièvre de toutes les fièvres qu'il traite, issue incertaine d'où peut dépendre, avec le sort d'un malade, sa réputation et jusqu'à son avenir; autant de gouttes d'eau qui finissent par creuser. sá vie, comme elles creusent le rocher.

La pratique la plus heureuse n'abrite pas des revers que la prudence ne saurait prévoir. Combien d'oubli, pour quelque fidélité à la dette du cœur? Mais vous avez contracté de bonne heure l'habitude des services gratuits, des dévoûmens stériles, et vous serez de ces individualités courageuses, esclaves de leur mandat, insensibles à l'acide venin de l'ingratitude.

Tels sont les devoirs des médecins envers la société et les services qu'ils lui rendent.

Mais la société peut retirer beaucoup plus de services encore de la médecine et de ceux qui l'exercent. Si la médecine et la thérapeutique, qui en est la conséquence et le but, ne sont pas des chimères, il est impossible qu'elles n'aient pas d'influence sur la population.

La médecine et la philosophie alliées de tout temps, comme pour rappeler la communauté de leur originė et leur longue promiscuité dans les siècles antérieurs à Hyppocrate ont, l'une et l'autre, comme source et symbole de la civilisation, cherché la solution de cette question déli

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