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où ils s'occupent à enrichir notre jardin des plantes et notre cabinet d'histoire naturelle. J'imagine qu'ils n'oublieront pas une collection complète de serpens, qui m'a paru bien mériter la peine de faire le voyage. Je pense qu'ils seront après-demain à Bologne, où ils auront aussi une abondante récolte à faire.

« J'ai vu à Milan le célèbre Oriani. La première fois qu'il vint me voir, il se trouva interdit, et ne pouvait pas répondre aux questions que je lui faisais. Il revint enfin de son étonnement. «Pardonnez, me dit-il, mais c'est la pre« mière fois que j'entre dans ces superbes appartemens; mes << yeux ne sont pas accoutumés....... ». Il ne se doutait pas qu'il faisait, par ce peu de paroles, une critique amère du gouvernement de l'archiduc. Je me suis empressé de lui faire payer ses appointemens, et lui donnai tous les encouragemens nécessaires.

« Au premier courier je vous enverrai les lettres que je lui ai écrites dès l'instant que j'ai reçu la recommandation que vous m'avez envoyée pour lui. »

Cette attention de Buonaparte à remplir le vœu du directoire lui conciliait l'esprit des savans de l'Italie, et attachait, par l'espérance, à la révolution qui s'y préparait, une classe d'hommes qui auraient pu n'envisager que les pertes de leur état, dont ils se seraient crus menacés par elle. Il les confirmait dans l'idée que la France, dont les arts et les lettres avaient tant augmenté la gloire, abjurait le systême des ignorans qui avaient voulu la replonger dans la barbarie, et qu'elle allait rendre aux sciences, qui honorent, éclairent et adoucissent l'esprit humain, la protection qu'elle leur avait si sagement et depuis si long-temps. accordée. I es généraux des monarques étaient loin de comprendre de tels soins dans leur politique étroite et barbare, et, contens de l'empire de la force, ne savaient guère, comme ce général républicain, acquérir aussi l'empire plus puissant de l'opinion. De tels actes laissent de longs sou

venirs, impriment aux conquêtes d'une nation un caractère moins sauvage, et semblent demander grace pour les malheurs particuliers, inséparables de celui de la guerre. Si Buonaparte n'eût écrit qu'à l'astronome Oriani, ou s'il se fût borné à distinguer son talent, nous nous dispenserions de rapporter ici sa lettre : mais, portant ses vues plus loin en l'écrivant, il semblait écrire à tous les savans d'Italie; et celle qu'il adressait pour l'université de Pavie complétait cette noble mesure de sa politique.

Buonaparte, général en chef de l'armée d'Italie, au citoyen Oriani, astronome.

Au quartier-général de Milan,
le 5 prairial, an 4.

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+ June 23177

« Les sciences qui honorent l'esprit humain, les arts qui embellissent la vie et transmettent les grandes actions à la postérité, doivent être spécialement honorés dans les gouvernemens libres. Tous les hommes de génie, tous ceux qui ont obtenu un rang distingué dans la république des lettres, sont Français, quel que soit le pays qui les ait vu naître.

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" es savans, dans Milan, n'y jouissaient pas de la considération qu'ils doivent avoir retirés dans le fond de leur laboratoire, ils s'estimaient heureux que les rois et les prêtres voulussent bien ne pas leur faire du mal. Il n'en est pas ainsi aujourd'hui ; la pensée est devenue libre dans l'Italie.... il n'y a plus ni inquisition, ni intolérance, ni despote. J'invite les savans à se réunir, et à me proposer leurs vues sur les moyens qu'il y aurait à prendre, ou les besoins qu'ils auraient, pour donner aux sciences et aux beaux arts une nouvelle vie et une nouvelle existence. Tous ceux qui voudront aller en France seront accueillis avec distinction par le gouvernement. Le peuple français ajoute plus de prix à l'acquisition d'un savant mathématicien, d'un peintre de réputation, d'un homme distingué, quel que soit l'état qu'il

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professe, que de la ville la plus riche et la plus abondante. Soyez donc, citoyen, l'organe de ces sentimens auprès des savans distingués qui se trouvent dans le Milanais. »

Buonaparte, général en chef de l'armée d'Italie, à la municipalité de Pavie et de Milan.

« Je desire, messieurs, que l'université de Pavie, célèbre à bien des titres, reprenne le cours de ses études. Faites donc connaître aux savans professeurs et aux nombreux écoliers de cette université que je les invite à se rendre de suite à Pavie, et à me proposer les mesures qu'ils croiront utiles pour activer et redonner une existence plus brillante à la célèbre université de Pavie. "

Après l'occupation de Bologne, une division française s'était portée sur Ferrare et Faenza, dont la soumission présageait celle de la Romagne. Tous ces pays, que des crimes avaient ajoutés autrefois au territoire papal, allaient se voir délivrés de son joug; et cette politique du gouvernement ecclésiastique, si vantée et si peu digne de l'être, échouait devant la franchise et le talent d'un jeune général français, et se montrait dans toute sa faiblesse aussitôt qu'on avait renoncé à couvrir son entendement du voile de la superstition, qui avait été si long-temps où sa lance on son bouclier.

Pour déterminer plus promptement Rome à une paix qu'on voulait lui donner, en la punissant toutefois d'avoir soufflé la discorde et la guerre, une colonne de l'armée française se portait de Reggio, à travers les Apennins, sur Pistoie, et menaçait de se rendre à Rome par Florence. La nouvelle de cette marche jeta la plus grande alarme dans la cour du grand duc. Manfredini, son premier ministre, fut dépêché en toute hâte à Bologne pour représenter au général français que le passage par la Toscane ayant été récemment refusé aux troupes de Naples, il serait injuste de voir violer par les Français un territoire que les coalisés

avaient respecté. La plus grande frayeur du grand duc étant et devant être qu'une portion de l'armée française passât et séjournât dans sa capitale, son plénipotentiaire n'eut pas de peine à trouver bonne la proposition que lui fit Buonaparte d'éviter cette ville, et de s'acheminer vers Rome en passant de Pistoie à Sienne. Si le souverain de la Toscane eût à cette époque imité la conduite du duc de Modène, et quitté ses états comme ce prince, il est plus que probable qu'il n'y serait jamais rentré. De mauvais conseillers ne pouvaient manquer d'ouvrir ce funeste avis: heureusement la prudence de Manfredini fut écoutée de préférence; en se livrant à la générosité française, il donna à son maître le plus sage des conseils, et lui rendit le service le plus signalé.

Le 8 messidor, la division du général Vaubois arriva dans funt. 24.

Pistoie ; et le lendemain le général Murat, à la tête de l'avant-garde, suivi du général de division Vaubois, marchant avec la 75° demi-brigade, passa l'Arno à Fucechio, laissant à Pistoie le reste de la division Vaubois.

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Le 10, au sortir de Fucechio, au lieu de se diriger sur Sienne, cette troupe changea brusquement de route, et marcha à grands pas vers Livourne. Il est probable que Manfredini, dans sa conférence à Bologne, n'avait pas reçu la confidence de cette expédition; mais Buonaparte, en arrivant à Pistoie, en prévint le grand duc en ces termes.

Buonaparte, général en chef de l'armée d'Italie, à son altesse royale le grand duc de Toscane.

Au quartier-général de Pistoja, le 8
messidor, au 4.

« Le pavillon de la république française est constamment insulté dans le port de Livourne; les propriétés des négocians français y sont violées; chaque jour y est marqué par un attentat contre la France, aussi contraire aux intérêts

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de la république qu'au droit des gens. Le directoire exécutif a porté plusieurs fois ses plaintes au ministre de votre altesse royale à Paris, qui a été obligé d'avouer l'impossibilité où se trouvait votre altesse royale de réprimer les Anglais, et de maintenir la neutralité dans le port de Livourne.

« Le directoire exécutif a senti dès lors qu'il était de son devoir de repousser la force par la force, de faire respecter son commerce, et il m'a ordonné de faire marcher une division de l'armée que je commande pour prendre possession de Livourne.

« J'ai l'honneur de prévenir votre altesse royale que le ro de ce mois une division de l'armée entrera à Livourne; elle se conduira dans cette ville d'après les principes de neutralité que nous venons maintenir. Le pavillon, la garnison ' les propriétés de votre altesse royale et de ses peuples, seront scrupuleusement respectés.

« Je suis en outre chargé d'assurer votre altesse royale du desir qu'a le gouvernement français de voir continuer l'amitié qui unit les deux états, et de la conviction où il est que votre altesse royale, témoin chaque jour des excès auxquels se portent les vaisseaux anglais sans pouvoir y porter remède, applaudira aux mesures justes, utiles et nécessaires qu'a prises le directoire exécutif,

« Je suis, etc. »

Ce même jour Buonaparte informa le directoire de l'armistice qu'il avait accordé au pape, moyennant sa renonciation aux légations de Bologne et de Ferrare, la remise de la ville et citadelle d'Ancône, le paiement de vingt millions, et l'abandon de cent objets d'arts choisis dans les musées de Rome, et de cinq cents manuscrits de la bibliothèque du Vatican. Il lui annonçait également l'armistice accordé à Naples, et le départ du prince Pignatelli Belmonte pour Paris, où il allait, au nom du roi de Naples, solliciter la paix.

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