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instant, passent le Mincio, et s'emparent de Valeggio, quartier-général de Beaulieu, qui venait seulement d'en partir. Cependant les ennemis, ébranlés, en partie en déroute, étaient rangés en bataille entre Valeggio et VillaFranca. Nous nous gardons bien de les suivre. Ils paraissent se rallier et prendre confiance, et déja leurs batteries se multiplient et se rapprochent de nous c'était justement ce que je voulais. J'avais peine à contenir l'impatience, ou, pour mieux dire, la fureur des gienadiers. Le général Augereau passa, sur ces entrefaites, avec sa division; il avait ordre de se porter, en suivant le Mincio, droit sur Peschiera, d'envelopper cet'e place, et couper aux ennemiş les gorges du Tyrol : Beaulieu et les débris de son armée, se seraient trouvés sans retraite. Pour empêcher les ennemis de s'appercevoir du mouvement du général Augereau, je les fis vivement canonner du village de Valeggio; mais les ennemis, instruits, par leurs patrouilles de cavalerie, du mouvement du général Augereau, se mirent aussitôt en route pour gagner le chemin de Castelnuovo. Un renfort de cavalerie qui leur arriva les mit à même de protéger leur retraite. Notre cavalerie, commandée par le général Murat, fit des prodiges de valeur ce général dégagea lui-même plusieurs chasseurs que l'ennemi était sur le point de faire prisonniers. Le chef de brigade du dixième régiment de chasseurs (Leclerc) s'est également distingué. Le général Augereau, arrivé à l'eschiera, trouva la place évacuée par l'ennemi.

« Le 12, à la pointe du jour, nous nous portâmes à Rivoli; mais déja l'ennemi avait passé l'Adige, et enlevé presque tous ses ponts, dont nous ne pûmes prendre qu'une partie. L'on évalue la perte de l'ennemi, dans cette journée, à quinze cents hommes et cinq cents chevaux, tant tués que prisonniers parmi ces derniers se trouve le prince Cuto, lieutenant général des armées du roi de Naples, commandant en chef la cavalerie napolitaine. Nous avons pris également cinq pièces de canon, dont deux de 12, et trois

de 6, avec sept ou huit caissons chargés de munitions de guerre. Nous avons trouvé à Castelnuovo des magasins, dont une partie était déja consumée par les flammes. Le général de division Kilmaine a eu un cheval blessé sous lui.

"

« Voilà donc les Autrichiens entièrement expulsés de PItalie. Nos avant-postes sont sur les montagnes de l'Allemagne. Je ne vous citerai pas les hommes qui se sont distingués par des traits de bravoure : il faudrait nommer tous les grenadiers et carabiniers de l'avant-garde. Ils jouent et rient avec la mort; ils sont aujourd'hui parfaitement accoutumés avec la cavalerie, dont ils se moquent rien n'égale leur intrépidité, si ce n'est la gaieté avec laquelle ils font les marches les plus forcées. Ils chantent tour-àtour la patrie et l'amour. Vous croiriez qu'arrivés à leurs bivouacs ils doivent au moins dormir? Point du tout: q chacun fait son conte, ou son plan de l'opération du lendemain ; et souvent l'on en rencontre qui voient très-justè. L'autre jour je voyais défiler une demi-brigade; un chasseur s'approcha de mon cheval: Général, me dit-il, il faut faire cela. Malheureux, lui dis-je, veux-tu bien te taire? Il disparait à l'instant : je l'ai fait en vain chercher. C'était justement ce que j'avais ordonné que l'on fît.

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Le 13 prairial, la division du général Massena s'empara June? de Vérone. C'était, peu de jours auparavant, le refuge de Louis Stanislas, frère du dernier roi des Français, et de sa petite cour d'émigrés, à qui les Vénitiens avaient non seulement donné l'asyle, mais fait beaucoup d'accueil. Leur générosité avait fait place à la peur; et le sénat de Venise, dans sa honteuse politique, s'était déja déterminé à transférer au vainqueur Buonaparte tous les égards qu'il avait eus pour la majesté du roi de Vérone. Déja le podestat de. Venise avait reçu l'ordre de déclarer à ce prince fugitif qu'il était nécessaire qu'il quittât les terres de sa domination; et lorsque la France avait pu se plaindre de l'y voir reçu et

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accueilli, il avait répondu que Louis étant noble Vénitien avait, en cette qualité, droit d'habiter son territoire, sans que les lois ni le sénat l'en pussent empêcher: mais les armées françaises alors n'avaient pas franchi les Apennins. A cette ambassade du podestat, le prétendant, dit-on, demanda qu'on lui envoyât le livre d'or, où sont inscrits les nobles, pour y rayer le nom de sa famille, et exigea qu'on lui rendît l'épée dont son ancêtre Henri IV avait fait présent à la république. I e podestat, respectant peu l'infortune et la grandeur passée du prétendant, répondit que, quant à la rad ation, le sénat, sur sa demande, n'aurait nulle difficulté de la faire; mais qu'une somme de douze millions étant encore due à la république par ce Henri, son épée lui serait remise s'il les voulait payer: réponse indécente pour le gouvernement dont il était l'organe, et digne, tout au plus, d'un prêteur sur gages. C'est de Vérone., où Buonaparte porta le 15 son quartier-général, qu'il écrivait

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au directoire :

« J'arrive dans cette ville pour en partir demain matin. Elle est très-grande et très-belle. J'y laisse une bonne garnison pour me tenir maître des trois ponts qui sont ici sur l'Adige.

« Je n'ai pas caché aux habitans que si le roi de France n'eût évacué leur ville avant mon passage du Pô, j'aurais mis le feu à une ville assez audacieuse pour se croire la capitale de l'empire français.

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Je viens de voir l'amphithéâtre : ce reste du peuple romain est digne de lui. Je n'ai pu m'empêcher de me trouver humilié de la mesquinerie de notre champ de Mars : ici cent mille spectateurs sont assis, et entendraient facilement l'orateur qui leur parlerait.

« Les émigrés fuient de l'Italie; plus de quinze cents sont partis cinq jours avant notre arrivée; ils courent en Allemagne porter leurs remords et leur misère. »

C'était assez pour Buonaparte d'avoir forcé les Autrichiens à rassembler et cacher dans les montagnes du Tyrol les débris d'une armée hors d'état de tenir la campagne devant lui, et il se proposa de profiter de l'impuissance à laquelle il l'avait réduite pour consolider ses conquêtes par la prise du château de Milan et de Mantoue, dans l'espoir sans doute que les ennemis ne se renforceraient pas assez vite pour le gêner dans les opérations du siège qu'exigeait cette dernière place. Le cabinet de Vienne, qui savait qu'avec Mantoue l'Autriche perdait décidément ses possessions en Italie, et l'empereur le peu de prérogatives et d'autorité que son vain titre lui avait encore conservé dans cette contrée " employa tous ses moyens pour tromper les espérances de Buonaparte, et redoubla d'efforts pour rétablir cette armée qu'il avait détruite. L'activité de ses mesures ne fut pas cette fois sans succès. A son général Beaulieu, qui avait été si constamment malheureux, elle allait faire succéder le vieux maréchal Wurmser, qui n'avait pas eu plus de bonheur à la guerre, mais qui l'avait beaucoup faite, et qu'on verra du moins finir par une belle défense.

L'investissement de Mantoue se faisait, et le général de l'armée d'Italie l'annonçait ainsi au directoire:

« Après le combat de Borghetto, le passage du Mincio, la prise de Peschiera, et la fuite de l'ennemi dans le Tyrol, nous avons investi la ville de Mantoue.

"

Le 16, à cinq heures du matin, le général Dallemagne,Juni 4 avec le chef de brigade Lasnes, se portèrent, avec six cents grenadiers, sur le fauxbourg de Saint-George. Je me rendis à la Favorite, superbe palais du duc de Mantoue, à une demilieue de la forteresse. Je fis avancer une demi-brigade avec le général Serrurier, pour soutenir le général Dallemagne, qui, ayant apperçu l'ennemi dans les retranchemens de SaintGeorge, l'avait attaqué, et s'était rendu maître du fauxbourg et de la tête du pont. Déja, malgré la mitraille de la place, les grenadiers s'avançaient en tirailleurs sur la chaussée. Ils

prétendaient même se former en colonne pour enlever Mantoue; et quand on leur montra les batteries que l'ennemi avait sur les remparts: A Lodi, disaient-ils, il y en avait bien davantage. Mais, les circonstances n'étant pas les mêmes, je les fis retirer. I a journée a été assez belle pour une affaire d'avant-postes, et extrêmement intéressante pour nous. L'ennemi a perdu cent hommes, tant tués que prisonniers.

«Le général Augereau était parti, à la pointe du jour, de Castiglione Mantovano. Après avoir passé le Mincio audelà du lac, il se porta sur le fauxbourg du Cheriale; il enleva les retranchemens, la tour, et obligea les ennemis de se retirer dans le corps de la place de Mantoue. Un tambour de douze ans, dont je vous enverrai le nom, s'est particulièrement distingué : il a grimpé, pendant le feu, au haut de la tour pour en ouvrir la porte.

« Je ne dois pas vous taire un trait qui peint la barbarie qui règne encore dans ces contrées. A San-Giorgio il y a un couvent de religieuses : elles s'étaient sauvées, car il était exposé aux coups de canon. Nos soldats y entrent pour s'y réfugier et prendre poste: ils entendent des cris; ils accourent dans une basse-cour, enfoncent une méchante cellule, et trouvent une jeune personne assise sur une mauvaise chaise, les mains garrottées par des chaînes de fer. Cette infortunée demandait la vie; l'on brise ses fers. Elle a sur sa physionomie vingt-deux ans. Elle était depuis quatre ans dans cet état, pour avoir voulu s'échapper, et obéir, dans l'age et le pays de l'amour, à l'impulsion de son cœur. Nos grenadiers en eurent un soin particulier. Elle montre beaucoup d'intérêt pour les Français. Elle a été belle, et joint à la vivacité du climat la mélancolie de ses malheurs. Toutes les fois qu'il entrait quelqu'un, elle paraissait inquiète: l'on sut bientôt qu'elle craignait de voir revenir ses tyrans. Elle demanda, en grace, à respirer l'air pur : on lui observa que la mitraille pleuvait autour de la maison. Ah! dit-elle, mourir, c'est rester ici! »

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