Page images
PDF
EPUB

tion? Celui qui, fe trouvant déja lié par quel que union d'origine, d'intérêt ou de convention, n'a point encore porté le vrai joug des loix; celui qui n'a ni coutumes, ni fuperftitions bien enracinées; celui qui ne craint pas d'être accablé par une invasion fu bite, qui, fans entrer dans les querelles de fes voifins, peut réfifter feul à chacun d'eux, ou s'aider de l'un pour repouffer l'autre celui dont chaque membre peut être connu de tous, & où l'on n'eft point forcé de charger un homme d'un plus grnd fardeau qu'un homme ne peut porter; celui qui peut fe paffer des autres peuples & dont tout autre peuple peut se paffer*; celui qui n'eft ni riche ni pauvre & peut fe fuffire à lui-même;

* Si de deux peuples voisins l'un ne pouvoit se paffer de l'autre, ce feroit une fituation très-dure pour le premier & très-dangereufe pour le fecond. Toute nation fage, en pareil cas, s'efforcera bien vite de délivrer l'autre de cette dépendance. La République de Thlafcala enclavée dans l'Empire de Mexique, aima mieux fe paffer de fel, que d'en acheter aux Mexicains, & même que d'en accepter gratuitement. Les fages Thlafcalans virent le piege caché fous cette libéralité. Ils fe conferverent libres, & ce pezit État, enfermé dans ce grand Empire, fut enfin l'inftry ment de fa ruine,

[ocr errors]

enfin celui qui réunit la consistance d'un an cien peuple avec la docilité d'un peuple nouveau. Ce qui rend pénible l'ouvrage de la légiflation, eft moins ce qu'il faut établir que ce qu'il faut détruire; & ce qui rend le fuccès fi rare, c'est l'impoffibilité de trouver la fimplicité de la nature jointe aux befoins de la fociété. Toutes ces conditions, il eft vrai, se trouvent difficilement raffemblées. Auffi voit-on peu d'États bien conftitués.

Il est encore en Europe un pays capable 'de législation; c'est l'lfle de Corfe. La valeur & la conftance avec laquelle ce brave peuple a fçu recouvrer & défendre fa liberté, mériteroit bien que quelque homme fage lui apprît à la conferver. J'ai quelque pref fentiment qu'un jour cette petite Ifle étonnera l'Europe.

SI

CHAPITRE XI.

Des divers fyflèmes de Législation.

I l'on recherche en quoi confifte précifement le plus grand bien de tous, qui doit être la fin de tout fyftême de légiflation, on trouvera qu'il fe reduit à ces deux objets principaux, la liberté & l'égalité. La liberté, parce que toute dépendance particuliere est autant de force ôtée au corps de l'État, l'é galité parce que la liberté ne peut fubfifte fans elle.

J'ai déjà dit ce que c'eft que la liberté civile; à l'égard de l'égalité, il ne faut pas entendre par ce mot que les degrés de puiffance & de richeffe foient abfolument les mêmes; mais que, quant à la puiffance, elle foit audeffous de toute violence & ne s'exerce jamais qu'en vertu du rang & des loix, & quant à la richesse, que nul citoyen ne soit affez opulent pour en pouvoir acheter un autre. & nul affez pauvre pour être contraint de Le vendre. Ce qui fuppofe du côté des grands

modération de biens & de crédit, & du côté des petits, modération d'avarice & de convoitife *.

Cette égalité, difent-ils, eft une chimere de spéculation qui ne peut exister dans la pratique mais fi l'abus eft inévitable, s'enfuit-il qu'il ne faille pas au moins le régler? C'eft précisément parce que la force des chofes tend toujours à détruire l'égalité, que la force de la légiflation doit toujours tendre à la maintenir.

Mais ces objets généraux de toute bonne inftitution doivent être modifiés en chaque pays par les rapportsqui naiffent, tant de la fituation locale, que du caractere des habitans; & c'est sur ces rapports qu'il faut affigner à chaque peuple un systême particulier d'inftitution, qui foit le meilleur, non

* Voulez-vous donc donner à l'État de la confiftance? rapprochez les degrés extrêmes autant qu'il eft poffible: ne fouffrez ni des gens opulents ni des gueux. Ces deux états, naturellement inféparables, font également funeftes au bien commun; de l'un fortent les fauteurs de ty rannie, de l'autre les tyrans; c'est toujours entre eux que Te fait le trafic de ¡la liberté publique; l'un l'achette & L'autre la vendr

peut-être en lui-même, mais pour l'Etat ay quel il est destiné. Par exemple, le fol eftil ingrat & ftérile, ou le pays trop ferré pour les habitans Tournez-vous du côté de l'industrie & des arts, dont vous échangerez les productions contre les denrées qui vous manquent. Au contraire, occupez-vous de riches plaines & des côteaux fertiles; Dans un bon terrein, manquez-vous d'habitants? Donnez tous vos foins à l'agriculture qui multiplie les hommes, & chaffés les arts qui ne feroient qu'achever de dépeupler le pays, en attroupant fur quelques points du territoire le peu d'habitans qu'il a *. Occupez-vous des rivages étendus & commodes; Couvrés la mer de vaiffeaux, cultivez le commerce & la navigation; vous aurez une exif tance brillante & courte. La mer ne baigne-telle fur vos Côtes que de rochers inacceffibles? reftés Barbares & Ichtyophages, vous en vivrez plus tranquilles; meilleurs peut

* Quelque branche de commerce extérieur, dit le M. d'A, ne répand guéres qu'une fauffe utilité pour un Royaume en général; elle peut enrichir quelques particu liers même quelques villes, mais la nation entiere n'y gagne rien, & le peuple n'en est pas mieux.

« PreviousContinue »