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trop-tôt. Pierre avoit le génie imitatif; il n'avoit pas le vrai génie, celui qui crée & fait tout de rien. Quelques-unes des chofes qu'il fit, étoient bien, la plupart étoient déplacées. Il a vu que fon peuple étoit barbare, il n'a point vu qu'il n'étoit pas mûr pour la police; il l'a voulu civiliser quand il ne falloit que l'agguerrir. Il a d'abord voulu faire des Allemands, des Anglois 3 quand il falloit commencer par faire des Ruf Les; il a empêché fes fujets de jamais devenir ce qu'ils pourroient être, en leur perfuadant qu'ils étoient ce qu'ils ne font pas. C'est ainsi qu'un Précepteur François forme fon éleve pour briller un moment dans fon enfance, & puis n'être jamais rien. L'empire de Ruffie voudra fubjuger l'Europe, & fera fubjugué lui-même. Les Tartares, fes fujets ou les voifins, deviendront fes maîtres & les nôtres: cette révolution me paroit infaillible; Tous les Rois de l'Europe travaillent de concert à l'accelerer,

CHAPITRE. IX.

Suite.

COMME la Nature a donné des termes à

la ftature d'un homme bien conformé, paffés lefquels elle ne fait plus què des géants ou des nains, il y a de même eu égard à la meilleure conftitution d'un Etat, des bornes à l'étendue qu'il peut avoir, afin qu'il ne foit ni trop grand pour pouvoir être bien gouverné, ni trop petit pour pouvoir fe maintenir par lui-même. Il y a dans tout cops politique un maximum de force qu'il ne fçauroit paffer, & duquel fouvent il s'éloigne à force de s'aggrandir. Plus le lien focial s'étend, plus i fe relâche, & en général un pétit Etat eft proportionnellement plus fort qu'un grand.

Mille raifons démontrent cette maxime. Premierement l'administration devient plus pénible dans les grandes distances, comme un poids dévient plus lourd au bout d'un

plus grand levier. Elle devient auffi plus onéreufe à mesure que les degrés fe multiplient: car chaque ville a d'abord la fienne que le peuple paye, chaque district la fienne encore payée par le peuple, enfuite chaque province, puis les grands gouvernemens, les Satrapies, les Vices royautés qu'il faut toujours payer plus cher à mefure qu'on monte, & toujours aux dépens du malheureux peuple; enfin vient l'administration suprême qui écrafe tout. Tant de furcharges. épuisent continuellement les fujets ; loin d'être mieux gouvernés par tous ces différens ordres, ils le font moins bien que s'il n'y en avoit qu'un feul au-deffus d'eux. Cependant à peine refte-il des reffources pour les cas extraordinaires, & quand il y faut recourir, l'Etat est toujours à la veille. de fa ruine.

Ce n'eft pas tout; non feulement le gouvernement a moins de vigueur & de celerité pour faire obferver les loix, empêcher les vexations, corriger les abus, prévenir les entreprises féditieufes qui peuvent le faire

dans les lieux éloignés; mais le peuple a moins d'affection pour les chefs qu'il ne voit jamais, pour la patrie qui eft à les yeux comme le monde, & pour fes concitoyens. dont la plupart lui font étrangers. Les mêmes loix ne peuvent convenir à tant de Provinces diverfes qui ont des mœurs différentes, qui vivent fous de climats oppofés, & qui ne peuvent fouffrir la même forme de gouvernement. Des loix différentes n'engendrent que trouble & confufion parmi des peuples qui, vivant fous les mêmes chefs & dans une communication continuelle, paffent ou le marient les uns chez les autres, &, foumis à d'autres coutumes, ne favent jamais fi leur patrimonie eft bien à eux. Les talens font enfouis, les vertus ignorées, les vices impunis, dans cette multitude d'hommes inconnus les uns aux autres, que le fiége de l'administration fupreme raffemble dans un même lieu. Les chefs accablés d'affaires ne voient rien par eux mêmes, des Commis gouvernent l'Etat. Enfin les mesures qu'il faut prendre, pour maintenir

l'autorité générale, à laquelle tant d'Officiers éloignés veulent se fouftraire ou en impofer, abforbe tous les foins publics, il n'en refte plus pour le bonheur du peuple, à peine en reste-t-il pour fa défenfe au besoin, & c'est ainsi qu'un corps trop grand pour fa conftitution s'affaiffe & périt écrasé fous fon propre poids.

D'un autre côté l'État doit le donner une certaine base pour avoir de la folidité, pour réfifter aux fecouffes qu'il ne manquera pas d'éprouver, & aux efforts qu'il fera contraint de faire pour le foutenir: car tous les peuples ont une espece de force centrifuge, par laquelle ils agiffent continuellement les uns contre les autres, & tendent à s'agran dir aux dépens de leurs voifins, comme les tourbillons de Defcartes. Ainfi les foibles rifquent d'être bientôt engloutis, & nul ne peut gueres fe conferver, qu'en fe mettant ave tous, dans une efpece d'équilibre, qui rende la compreffion par-tout à peu près égale.

On voit par-là qu'il y a des raisons de s'é

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