(6) partient au Genre humain; & il paroit dans tout fon Livre pancher pour le premier avis: c'eft auffi le fentiment de Hobbès. Ainfi voilà l'efpece humaine divifée en troupeaux de bêtail, dont chacun a fon chef, qui le garde pour les devorer. Comme un Patre eft d'une nature fupérieure à celle de fon troupeau, les pasteurs d'hommes, qui font leurs chefs, font auffi d'une nature supérieure à celle de leurs peuples. Ainfi raifonnoit, au rapport de Philon, l'Empereur Caligula; concluant affez bien de cette analogie que les Rois étoient des Dieux, ou que les peuples étoient des bêtes. Le raisonnement de ce Caligula revient à celui d'Hobbès & de Grotius. Ariftote; avant eux tous, avoit dit auffi que les hommes ne font point naturellement égaux, mais que les uns naiffent pour l'esclavage, & les autres pour la domination. Ariftote avoit raifon, mais il prenoit l'effet pour la caule. Tout homme né dans l'efclavage naît pour l'efclavage, rien n'eft plus certain. Les efclaves perdent tout dans les fers, jufqu'au défir d'en fortir: ils aiment leur fervitude comme les compagnons d'U lyffe aimoient leur abrutiflement. * S'il y a donc des efclaves par nature, c'est parce qu'il y a eu des efclaves, contre nature. La force a fait les premiers efclaves, leur lâ cheté les a perpetués. Je n'ai rien dit du Roi Adam, ni de l'Em pereur Noé, pere de trois grands Monarques qui fe partagerent l'Univers, comme firent les enfans de Saturne, qu'on a crû réconnoître en eux. J'efpere qu'on me faura gré de cette modération; car defcendant directement de l'un de ces Princes, & peutêtre de la branche aînée, que fais-je si par la vérification de mes titres, je ne mc trouverois point le légitime Roi du Genre humain? Quoiqu'il en foit, on ne peut dif convenir qu'Adam n'ait été Souverain du monde, comme Robinson de fon Isle, tant qu'il en fut le feul habitant; & ce qu'il y avoit de commode dans cet empire, étoit que le Monarque affûré fur fon trône, n'avoit à craindre ni rébellions, ni guerres, ni confpirations. I *Voyez un petit Traité de Plutarque inutilé: Que les Bêtes ufent de la raison, CHAPITRE III. Du droit du plus fort. LE plus fort n'eft jamais assez fort pour être toûjours le Maître, s'il ne transforme fa force en droit. & l'obéillance en devoir. De-là le droit du plus fort; droit pris ironiquement en apparence, & réellement établi en principe: Mais ne nous expliquera-ton jamais ce mot? La force eft une puissance phyfique : Je ne vois point quelle moralité peut réfulter de fes effets. Céder à la force eft un acte de néceffité, non de volonté; c'est tout au plus un acte de prudence. En quel fens pourra-ce être un devoir? Suppofons un moment ce prétendu droit. Je dis qu'il n'en résulte qu'un galimathias inexpliquable. Car fi-tôt que c'est la force qui fait le droit, l'effet change avec la caufe; toute force qui furmonte la premiere, fuccéde à fon droit. Si-tôt qu'on peut défobéir impunement on le peut légitimément; & puifque le plus fort a toujours raison, il ne s'agit que de faire enforte qu'on foit le plus fort. Or qu'est-ce qu'un droit qui périt quand la force ceffe? S'il faut obéir par force, on n'a pas befoin d'obéir par devoir; & fi l'on n'eft plus forcé d'obéir, on n'y eft plus obligé. On voit donc que ce mot de droit n'ajoûte rien à la force; il ne fignifie rien du tout. Obéiffez aux puiffances. Si cela veut dire, cedez à la force, le précepte eft bon, mais fuperflu; je répons qu'il ne fera jamais violé. Toute puiffance vient de Dieu, je l'avoue; mais toute maladie en vient auffi. Eft-ce à dire qu'il foit défendu d'appeller le Médecin? Qu'un brigand me furprenne au coin d'un bois, non-feulement il faut par force donner la bourse, mais quand je pourrois la fouftraire, fuis-je en confcience obligé de la donner? Car enfin, le pistolet qu'il tient est auffi une puissance. Convenons donc que force n'eft pas droit, & qu'on n'eft obligé d'obéir qu'aux puiflances légitimes. Ainfi ma question primitive revient toujours, CHAPITRE IV. De l'Esclavage. PUISQU'AUCUN homme n'a aucune autorité naturelle fur fon femblable, & puifque la force ne produit aucun droit, reftent donc les conventions pour base de toute autorité légitime parmi les hommes. Si un particulier, dit Grotius, peut aliéner fa liberté & fe rendre efclave d'un maître, pourquoi tout un peuple ne pourroitil pas aliéner la fienne, & fe rendre fujet d'un Roi il y a là bien de mots équivoques qui auroient befoin d'explication, mais tenons-nous en à celui d'aliéner. Aliéner, c'est donner ou vendre. Or un homme qui fe fait efclave d'un autre, ne fe donne pas, il fe vend, tout au moins pour fa fubfiftance: mais un peuple, pourquoi fe vend-il ? Bien loin qu'un Roi fournisse à ses sujets la fubfiftance, il ne tire la fienne que d'eux, & felon Rabelais, un Roi ne vit pas de peu. Les sujets donnent donc leur person |