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On voit encore qué la loi réunissant l'u niverfalité de la volonté & celle de l'objet, ce qu'un homme, quel qu'il puiffe être ordonne de fon chef n'eft point une loi; ce qu'ordonne même le Souverain fur un objet particulier n'eft pas non plus une loi, mais un décret; ni un acte de fouveraineté, mais une magistrature.

J'appelle donc République tout Etat régi par des loix, fous quelque forme d'adminif tration que ce puifle être: car alors feulement l'intérêt public gouverne, & la chofe publique eft queique chofe. Tout Gouvernement légitime est républicain *: j'expliquerai ci-après ce que c'eft que Gouver

nement.

Les loix ne font proprement que les con 'ditions de l'affociation civile. Le peuple fou mis aux loix en doit être l'auteur; il n'ap

* Je n'entends pas feulement par ce mot une Ariftocratie ou une Démocratie, mais en général tot gouvernement guidé par la volonté générale, qui eft la loi. Pour être légitime il ne faut pas que le Gouvernement fe confonde avec le Souverain, mais qu'il en foit le miniftre: alors la monarchie elle-même eft république. Ceci s'éclaicira dans Le livre fuivant.

partient qu'à ceux qui s'affocient de régler les conditions de la fociété: mais comment les régleront-ils ? Sera ce d'un commun accord, par une infpiration fubite? Le corps politique a-t-il un organe pour énoncer fes volontés? Qui lui donnera la prévoyance néceffaire pour en former les actes & les publier d'avance, ou comment les prononcera-t'il au moment du befoin? Comment une multitude aveugle qui fouvent ne fçait ce qu'elle veut, parce qu'elle fait rarement ce qui eft bon exécuteroit-elle d'ellemême une entreprife auffi grande, auffi dif ficile qu'un fyftême de légiflation? De luimême le peuple veut toujours le bien; mais de lui-même il ne le voit pas toujours. La volonté générale est toujours droite, mais le jugement qui les guide n'eft pas toujours éclairé. Il faut lui faire voir les objets tels qu'ils font, quelquefois tels qu'ils doivent lui paroître, lui montrer le bon chemin qu'elle cherche, la garantir de la féduction des volontés particulieres, rapprocher à fes yeux les lieux & les temps, balancer l'attrait des

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avantages préfens & fenfibles, par le dan ger des maux éloignés & cachés. Les particuliers voient le bien qu'ils rejettent; le public veut le bien qu'il ne voit pas. Tous ont également befoin de guides: il faut obliger Ies uns à conformer leurs volontés à leur raifon il faut apprendre à l'autre à connoître ce qu'il veut. Alors des lumieres publiques réfulte l'union de l'entendement & de la volonté dans le corps focial, de-là l'exact concours des parties, & enfin la plus grande force du tout. Voilà d'où naît la néceffité 'd'un Législateur.

CHAPITRE VII.

Du Législateur.

POUR découvrir les meilleures regles de

fociété qui conviennent aux Nations, il faudroit une intelligence fupérieure, qui vît toutes les paffions des hommes & qui n'en éprouvât aucune, qui n'eût aucun rapport avec notre nature & qui la connût à fond, dont le bonheur fût indépendant de nous & qui pourtant voulût bien s'occuper du notre; enfin qui, dans le progrès des temps fe ménageant une gloire éloignée, pût travailler dans un fiécle & jouir dans un autre*. Il faudroit des Dieux pour donner des loix aux hommes.

Le même raisonnement que faifoit Caligula quant au fait, Platon le faifoit quant au droit pour définir l'homme civil au royal

*Un peuple ne devient célebre que quand fa législation commence à décliner. On ignore durant combien de fieclés l'inftitution de Lycurgue fit le bonheur des Spartiates ¿ avant qu'il fût question d'eux dans le refte de la Grece

qu'il cherche dans fon regne; mais s'il eft vrai qu'un grand Prince eft un homme rare, que fera-ce d'un grand Législateur? Le premier n'a qu'à fuivre le modéle que l'autre doit propofer. Celui-ci eft le méchanicien qui invente la machine, celui-là n'eft que l'ouvrier qui la monte & la fait marcher. Dans la naiffance des fociétés, dit Montefquieu, ce font les chefs des Répu-. bliques qui font l'inftitution, & c'est enfuite l'institution qui forme les chefs des Ré publiques.

Celui qui ofe entreprendre d'inftituer un peuple, doit fe fentir en état de changer, pour ainfi dire, la nature humaine, de transformer fon individu, qui par lui-même est un tout parfait & folitaire, en partie d'un plus grand tout dont cet individu reçoive en quelque forte fa vie & fon être; d'altérer la conftitution de l'homme pour la renforcer; de fubftituer une existence partielle & morale à l'existence phyfique & indépendante que nous avons tous reçue de la nature. Il faut, en un mot, qu'il ôte à l'homme fes

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