en dépouille, elle ne fait que leur en affurer la légitime poffeffion, changer l'ufurpation en un véritable droit, & la jouiffance en propriété. Alors les poffeffeurs étant confiderés comme dépofitaires du bien public, leurs droits étant refpectés de tous les membres de l'Etat, & maintenus de toutes les forces contre l'Etranger, par une ceffion avantageufe au public, & plus encore à eux mêmes, ils ont, pour ainsi dire, acquis tout ce qu'ils ont donné. Paradoxe qui s'explique ai fément, par la distinction des droits que le Souverain & le propriétaire ont fur le même fonds, comme on verra ci-a◄ près. Il peut arriver auffi que les hommes commencent à s'unir avant que de rien poffeder, & que s'emparant enfuite d'un terrein fuffilant pour tous, ils en jouiffent en commun, ou qu'ils le partagent entreux, foit également, foit felon des proportions établies par le fouverain. De quelque maniere que fe faffe cette acquifition, le droit que chaque particulier a fur fon propre fonds, est toujours fubordonné au droit que la commu nauté munauté a fur tous, fans quoi il n'y auroit ni folidité dans le lien focial; ni force réelle dans l'exercice de la Souveraineté. Je terminerai ce chapitre & ce livre par une remarque qui doit fervir de bafe à tout le fiftême focial; c'eft, qu'au lieu de détruire l'égalité naturelle, le pacte fondamental fubftitue au contraire une égalité morale & légitime à ce que la nature avoit pu mettre d'inégalité phyfique entre les hom mes, & que pouvant être inégaux en force ou en génie, ils deviennent tous égaux par convention & de droit. * Sous les mauvais Gouvernemens cette égalité n'eft qu'apparente & illufoire; elle ne fert qu'à maintenir le pauvre dans la mifere, & le riche dans fon ufurpation. Dans le fait les Loix font toujours utiles à ceux qui poffedent, & nuifibles à ceux qui n'ont rien: D'où il fuit que l'état focial n'eft avantageux aux hommes qu'autant qu'ils ent tous quelque chofe & qu'aucun d'eux n'a rien de trop. Fin du Livre premier. D CHAPITRE I. QUE la Souveraineté eft inalienable: LA premiere & la plus importante con féquence des principes ci-devant établis est que la volonté générale peut feule diriger les forces de l'Etat felon la fin de fon inf titution, qui eft le bien commun; car G l'oppofition des intêrets particuliers a rend du néceffaire l'établiffement des fociétés ; c'eft l'accord de ces mêmes intérêts qui l'a rendu poffible. C'est ce qu'il y a de commun dans ces différents intérêts qui forment le lien focial; & s'il n'y avoit pas quelque point dans lequel tous les intérêts s'accordent, nulle fociété ne fçauroit exister. Or c'eft uniquement fur cet intérêt commun que la fociété doit être gouvernée. Je dis donc que la fouveraineté n'étant que l'exercice de la volonté générale, ne peut jamais s'aliéner, & que le Souverain, qui n'eft qu'un Etre collectif, ne peut être repréfenté que par lui-même; le pouvoir peut fe tranfmettre, mais non pas la volonté. En effet, s'il n'est pas impoffible qu'une volonté particuliere s'accorde fur quelque point avec la volonté générale, il est impoffible au moins que cet accord foit du rable & conftant; car la volonté particu liere tend par fa nature aux préférences, & la volonté générale à l'égalité. Il est plus impoffible encore qu'on ait un garant de D. cet accord, quand même il devroit toujours exifter; ce ne feroit pas un effet de l'art, mais du hazard. Le Souverain peut bien dire je veux actuellement ce que veut un tel homme, ou dumoins ce qu'il doit vouloir, mais il ne peut pas dire: ce que cet homme voudra demain, je le voudrai encore; puifqu'il eft abfurde que la volonté se donne des chaînes pour l'avenir, & puisqu'il ne dépend d'aucune volonté de confentir à rien de contraire au bien de l'Etre qui veut. Si donc le peuple promet fimplement d'obéir, il fe diffout par cet acte, il perd fa qualité de peuple; à l'inftant qu'il y a un Maître il n'y a plus de Souverain, & dèslors le corps politique eft détruit. Ce n'eft point à dire que les ordres des chefs ne puiffent paffer pour des volontés générales, tant que le Souverain libre de s'y oppofer ne le fait pas. En pareil cas, du filence univerfel, on doit préfumer le confentement du peuple. Ceci s'expliquera plus au long. |