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nie, mais par le travail & la culture, feul figne de proprieté, qui au défaut de titres juridiques, doive être refpecté d'autrui.

En effet, accorder au befoin & au travail le droit de premier occupant, n'eft-ce pas l'étendre auffi loin qu'on peut aller. Peuton ne pas donner des bornes à ce droit ? Suffira-t'il de metre le pied fur un terrein commun pour s'en prétendre auffi-tôt le maître? Suffira-t'il d'avoir la force d'en écarter un moment les autres hommes pour leur ôter le droit d'y jamais revenir? Comment un homme ou un peuple peut-il s'emparer d'un territoire immense, & en priver tout le genre humain, autrement que par une ufurpation puniffable, puifqu'elle ôte au refte des hommes le féjour & les aliments' que la nature leur donne en commun? Quand Nunnez Balbao prenoit fur le rivage possesfion de la Mer du Sud & de toute l'Amérique méridionale, au nom de la Couronne de Caftille, étoit-ce affez pour en dépofleder tous les habitans, & en exclure tous les Princes du monde ? Sur ce pied-là ces cérémonies fe multiplioient affez vainement,

& le Roi Catholique n'avoit tout d'un coup qu'à prendre de fon cabinet poffeffion de tout l'univers, faut à retrancher enfuite de fon empire, ce qui étoit auparavant poffedé par les autres Princes,

On conçoit comment les terres des particuliers réunies & contigues deviennent le territoire public, & comment le droit de fouveraineté s'étendant au terrein qu'ils occupent, devient à la fois réel & personnel; ce qui met les poffeffeurs dans une plus grande dépendance, & fait de leurs forces même les garants de leur fidélité. Avantage qui ne paroît pas avoir été bien fenti des anciens Monarques, qui ne s'appellant que Rois des Perfes, des Scithes, des Macedoniens, fembloient fe regarder comme les chefs des hommes, plutôt que comme les maîtres du pays. Ceux d'aujourd'hui s'appellent plus habilement Rois de France, d'Espagne, d'Angleterre; &c. En tenant ainfi le terrein, ils font bien fürs d'en tenir les habitans.

Ce qu'il y a de fingulier dans cette aliénation, c'est que loin qu'en acceptant les biens des particuliers, la communauté les

en dépouille, elle ne fait que leur en affurer la légitime poffeffion, changer l'ufurpation en un véritable droit, & la jouiffance en propriété. Alors les poffeffeurs étant confiderés comme dépofitaires du bien. public, leurs droits étant refpectés de tous les membres de l'Etat, & maintenus de toutes fes forces contre l'Etranger, par une ceffion avantageufe au public, & plus encore à eux mêmes, ils ont, pour ainsi dire, acquis tout ce qu'ils ont donné. Paradoxe qui s'explique ai fément, par la distinction des droits que le Souverain & le propriétaire ont fur le même fonds, comme on verra ci-a◄ près.

Il peut arriver auffi que les hommes commencent à s'unir avant que de rien poffeder, & que s'emparant ensuite d'un terrein fuffifant pour tous, ils en jouiffent en commun, ou qu'ils le partagent entreux, foit également, foit felon des proportions établies le fouverain. De quelque maniere que fe faffe cette acquifition, le droit que chaque particulier a fur fon propre fonds, est toujours fubordonné au droit que la commu

par

nauté

munauté a fur tous, fans quoi il n'y auroit ni folidité dans le lien focial; ni force réelle dans l'exercice de la Souveraineté.

Je terminerai ce chapitre & ce livre par une remarque qui doit fervir de bafe à tout le fiftême focial; c'eft, qu'au lieu de détruire l'égalité naturelle, le pacte fondamental fubftitue au contraire une égalité morale & légitime à ce que la nature avoit pu mettre d'inégalité phyfique entre les hom mes, & que pouvant être inégaux en force ou en génie, ils deviennent tous égaux par convention & de droit. *

Sous les mauvais Gouvernemens cette égalité n'eft qu'apparente & illufoire; elle ne fert qu'à maintenir le pauvre dans la mifere, & le riche dans fon ufurpation. Dans le fait les Loix font toujours utiles à ceux qui poffedent, & nuisibles à ceux qui n'ont rien: D'où il fuit que l'état social n'est avantageux aux hommes qu'autant qu'ils ent tous quelque chofe & qu'aucun d'eux n'a rien de trop.

Fin du Livre premier.

D

PRINCIPES

DU DROIT

POLITIQUE.

LIVRE SECOND.

CHAPITRE I.

QUE la Souveraineté eft inalienable:

LA premiere & la plus importante con

féquence des principes ci-devant établis eft que la volonté générale peut feule diriger les forces de l'Etat felon la fin de fon inf titution, qui eft le bien commun; car f

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