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qu'il ne doit que protéger. L'énorme pou voir des Ephores, qui fut fans danger tant que Sparte conferva fes mœurs, en accéléra la corruption commencée. Le sang d'Agis égorgé par ces tyrans, fut vengé par fon fucceffeur: le crime & le châtiment des Ephores hâterent également la perte de la République, & après Cléomene Sparte ne fut plus rien. Rome périt encore par la même voie, & le pouvoir exceffif des Tribuns, ufurpé par dégrés, fervit enfin, à l'aide des loix faites par la liberté, de fauvegarde aux Empereurs qui la détruifirent. Quand au Confeil des Dix à Venife, c'est un Tribunal de fang, horrible également aux Patriciens & au Peuple, & qui, loin de protéger hautement les loix, ne fert plus, après leur aviliffement, qu'à porter dans les ténébres des coups qu'on n'ofe appercevoir.

Le Tribunat s'affoiblit comme le Gouvernement, par la multiplication de fes membres. Quand les Tribuns du Peuple Romain, d'abord au nombre de deux, puis de cinq, voulurent doubler ce nombre, le

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Sénat les laiffa faire, bien für de contenir les uns par les autres; ce qui ne manqua pas d'arriver.

Le meilleur moyen de prévenir les ufurpations d'un fi rédoutable corps, moyen dont nul Gouvernement ne s'eft avifé jufqu'ici, feroit de ne pas rendre ce corps permanent, mais de régler des intervalles, durant lefquels il refteroit fupprimé. Ces intervalles, qui ne doivent pas être affez grands pour laiffer aux abus le temps de s'affermir, peuvent être fixés par la loi, de maniere qu'il foit aifé de les abréger au befoin par des commiffions extraordinaires.

Ce moyen me paroît fans incovenient, parce que, comme je l'ai dit, le Tribunat ne faisant point partie de la conftitution peut être ôté fans qu'elle en fouffre ; & il me paroit efficace, parce qu'un Magiftrat nouvellement rétabli, ne part point du pouvoir qu'avoit fon prédéceffeur, mais de celui que la loi lui donne.

CHAPITRE IV.

De la Dictature.

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INFLEXIBILITÉ des loix, qui les empêche de fe plier aux événements peut en certains cas les rendre pernicieuses, & caufer par elles la perte de l'Etat dans sa crife. L'ordre & la lenteur des formes demandent une espece de temps que les circonftances refufent quelquefois. Il peut fe préfenter mille cas aufquels le législateur n'a point pourvu, & c'est une prévoyance très-néceffaire de fentir qu'on ne peut tout prévoir.

Il ne faut donc pas vouloir affermir les inftitutions politiques jufqu'à 'ôter le pouvoir d'en fufpendre l'effet. Sparte elle-même a laiffé dormir fes loix.

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Mais il n'y a que les plus grands dangers qui puiffent balancer celui d'altérer l'ordre public, & l'on ne doit jamais arrêter le pouvoir facré de loix, que quand il s'agit du falut de la Patrie. Dans ces ces rares & ma

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nifeftes on pourvoit à la sûreté publique par un acte particulier qui en remet la charge au plus digne. Cette commiffion peut fe donner de deux manieres felon l'efpece du danger.

Si pour y remédier il fuffit d'augmenter l'activité du Gouvernement, on le concentre dans un ou deux de fes membres: ainfi ce n'eft pas l'autorité des loix qu'on altére, mais feulement la forme de leur adminiftration. Que fi le péril eft tel que l'appareil des loix foit un obftacle à s'en garentir, alors on nomme un chef fuprême qui faffe taire toutes les loix, & fufpende un moment l'autorité fouveraine; en pareil cas la volonté générale n'eft pas douteufe; & il est évident que la premiere intention du peuple eft que l'Etat ne periffe pas. De cette maniere la fufpenfion de l'autorité l'égiflative ne l'abor lit point; le Magiftrat qui la fait taire ne peut la faire parler, il la domine fans pouvoir la répresenter; il peut tout faire excepté des loix.

Le premier moyen s'employoit par le SéBat Romain, quand il chargeoit les Confuls

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par une formule confacrée du pouvoir au falut de la République; le fecond avoit lieu, quand un des deux Confuls nommoit un Dictateur *; ufage dont Albe avoit don né l'exemple à Rome.

Dans les commencements de la République on eut très fouvent recours à la Dictature, parce que l'Etat n'avoit pas encore une affiete assez fixe pour pouvoir le foutenir par la feule force de fa conftitution. Les mœurs rendant alors fuperflues bien de précautions qui euffent été néceffaires dans un autre temps, on ne craignoit ni qu'un Dictateur abusât de fon autorité, ni qu'il tentât de la garder au delà du terme. Il fembloit au contraire, qu'un fi grand pouvoir fût à charge à celui qui en étoit revêtu, tant il se hâtoit de s'en défaire; comme fi ç'eût été un pofte trop pénible & trop périlleux de tenir la place des loix.

Auffi n'eft ce pas le danger de l'abus, mais celui de l'aviliffemet, qui me fait

* Cette nomination fe faifoit de nuit & en fecret. comme fi l'on avoit eu honte de mettre un homme au deffus des loix.

blâmer

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