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Nobleffe y eft peuple elle-même. Une multitude de pauvres Barnabotes n'approcha jamais d'aucune Magiftrature, & n'a de fa nobleffe que le vain titre d'excellence & le droit d'affifter au grand Confeil. Ce grand Confeil étant auffi nombreux que notre Confeil général à Généve, fes illuftres membres n'ont pas plus de priviléges que nos fimples Citoyens. Il eft certain qu'ôtant l'extreme disparité des deux Républiques, la Bourgeoifie de Genève repréfente exactement le Patriciat Venitien, nos natifs & habitans repréfentent les Citadins & le peuple de Venife, nos pay fans repréfentent les fujets de terre-ferme: enfin, de quelque maniere que l'on confidere cette République, abstraction faite de fa grandeur, fon Gouvernement n'eft pas plus ariftocratique que lè nôtre. Toute la différence eft que n'ayant aucun chef à vie, nous n'avons pas le mê me befoin du fort.

Les élections par fert auroient peu d'inconvenient dans une véritable Démocratie où tout étant égal, auffi bien par les mœurs

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&par les talents que par les maximes & par la fortune, le choix deviendroit prefqu'indifférent. Mais j'ai déjà dit qu'il n'y auoit point de véritable Démocratie.

Quand le choix & le fort fe trouvent mèlés, le premier doit remplir les places qui demandent des talents propres, telles que les emplois militaires; l'autre convient à celles où fuffifent le bon fens, la justice, l'intégrité, telles que les charges de judicature; parce que dans un État bien constitué ces qualités fout communes à tous les Citoyens.

Le fort ni les fuffrages n'ont aucun lieu 'dans le Gouvernement monarchique. Le Monarque étant de droit feul Prince & feul Magiftrat, le choix de fes Lieutenants n'appartient qu'à lui. Quand l'Abbé de St. Pierre propofoit de multiplier les Confeils du Roi de France, & d'en élire les membres par Scrutin, il ne voyoit pas qu'il proposoit de changer la forme du Gouvernement.

Il me resteroit à parler de la maniere de 'donner & de recueillir les voix dans l'af femblée du peuple mais peut-être l'hiftori:

que de la police Romaine à cet égard expliquera-t-il plus fenfiblement toutes les maximes que je pourrois établir. Il n'est pas indigne d'un lecteur judicieux de voir un peu en détail comment fe traitoient les affaires publiques & particulieres, dans un Confeil de deux-cent mille hommes.

CHAPITRE IV.

Des Comices Romains.

NOUS n'avons nuls monuments bien

affurés des premiers temps de Rome; il y a même grande apparence que la plûpart des chofes qu'on en debite font des fables *; & en général la partie la plus inftructive des annales des peuples, qui eft l'histoire de leur établiffement, eft ceile qui nous manque le plus. L'expérience nous apprend tous les jours de quelles caufes naiffent les révolutions des Empires; mais comme il ne fe forme plus de peuples, nous n'avons gueres que des conjectures pour expliquer comment ils fe font formés.

Les ufages qu'on trouve établis atteftent au moins qu'il y eut une origine à ces ufa

Le nom de Rome qu'on prétend venir de Romulus eft grec, & fignifie force; le nom de Numa eft Grec auffi, & fignifie Loi. Quelle apparence que les deux premiers Rois de cette ville aient porté d'avance des noms si bien rélatifs à ce qu'ils ont fait.

ges. Des traditions qui remontent à ces origines, celles qu'appuyent les plus grandes autorités & que de plus fortes raifons confirment, doivent paffer pour les plus certaines. Voilà les maximes que j'ai tâché de fuivre en recherchant comment le plus libre & le plus puiffant peuple de la terre exerçoit fon pouvoir fuprême.

Après la fondation de Rome la République naislante, c'est-à-dire, l'armée du fondateur, compofée d'Albains, de Sabins, & d'étrangers, fut divifée en trois classes, qui de cette divifion prirent le nom de Tribus. Chacune de ces Tribus fut fubdivifée en dix Curies, chaque Curie en Décuries, à la tête defquelles on mit des chefs, appellés Curions & Décurions.

Outre cela on tira de chaque Tribu un corps de cent Cavaliers ou Chevaliers, appelić Centurie; par où l'on voit que ces divifions, peu néceffaires dans un Bourg, n'étoient d'abord que militaires. Mais il femble qu'un instinct de grandeur portoit la petite ville de Rome à fe donner d'avance une police convenable à la capitale du monde

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