lonté, j'ai auffi donné les principes fur lefquels on peut le déterminer. La différence d'une feule voix rompt l'égalité, un feul oppofant rompt l'unanimité; mais entre l'unanimité & l'égalité il y a plufieurs par'tages inégaux, à chacun defquels on peut fixer ce nombre felon l'état & les befoins du corps politique. Deux maximes générales peuvent fervir à regler ces rapports: l'une que plus les délibérations font importantes & graves, plus l'avis qui l'emporte doit approcher de l'unanimité: l'autre, que plus l'affaire agitée exige de célérité, plus on doit refferrer la différence prefcrite dans le partage des avis, dans les délibérations qu'il faut terminer fur le champ, l'excédent d'une feule voix doit fuffire. La premiere de ces maximes paroit plus convenable aux loix, & la feconde aux affaires. Quoiqu'il en soit, c'est sur leur combinaison que s'établiffent les meilleurs rapports qu'on peut donner à la pluralité pour prononcer. A L'égard des élections du Prince & des Magiftrats qui font, comme je l'ai dit des actes complexes, il y a deux voyes pour y procéder; fçavoir, le choix & le fort. L'une & l'autre ont été employées en diverfes Républiques: & l'on voit encore actuellement un mélange très-compliqué des deux, dans l'élection d'un Doge de Vénife. Le fuffrage par le fort, dit Montefquieu, eft de la nature de la Démocratie. J'en conviens, mais comment cela? Le fort, continue-t'il, eft une façon d'élire qui n'afflige perfonne; il laiffe à chaque Citoyen une efpérance raifonable de fervir la Patrie. Ce ne font pas là des raifons. Si l'on fait attention que l'élection des Chefs eft une fonction du Gouvernement, & non de la fouveraineté, on verra pourquoi la voie du fort eft plus dans la nature S 3 de la Démocratie, où l'administration est d'autant meilleure, que les actes en font moins multipliés. Dans toute véritable Démocratie la Magiftrature n'eft pas un avantage; mais une charge onéreufe, qu'on ne peut justement impofer à un particulier plûtôt qu'à un autre. La Loi feule peut imposer cette charge à celui fur lequel le fort tombera. Car alors la condition étant égale pour tous, & le choix ne dépendant d'aucune volonté humaine, il n'y a point d'application particuliere qui altére l'univerfité de la loi. Dans l'Ariftocratie, le Prince choifit le Prince, le Gouvernement fe conferve par lui-même, & c'eft-là que les fuffrages font bien placés. L'exemple de l'élection du Doge de Venife confirme cette diftinction loin de la 'détruire: cette forme mêlée convient dans un Gouvernement mixte. Car c'est une erreur de prendre le Gouvernement de Venife pour une véritable Ariftocratie. Si le peuple n'y a nulle part au Gouvernement, la Nobleffe y eft peuple elle-même. Une multitude de pauvres Barnabotes n'approcha jamais d'aucune Magiftrature, & n'a de fa nobleffe que le vain titre d'excellence & le droit d'affifter au grand Confeil. Ce grand Confeil étant auffi nombreux que notre Confeil général à Généve, fes illuftres membres n'ont pas plus de priviléges que nos fimples Citoyens. Il est certain qu'ôtant l'extreme disparité des deux Républiques, la Bourgeoifie de Genève représente exactement le Patriciat Venitien, nos natifs & habitans repréfentent les Citadins & le peuple de Venife, nos pay fans repréfentent les fujets de terre-ferme: enfin, de quelque maniere que l'on confidere cette République, abftraction faite de fa grandeur, fon Gouvernement n'eft pas plus ariftocratique que le nôtre. Toute la différence eft que n'ayant aucun chef à vie, nous n'avons pas le mê me befoin du fort. Les élections par fort auroient peu d'in convenient dans une véritable Démocratie où tout étant égal, auffi bien par les mœurs Si & par les talents que par les maximes & par la fortune, le choix deviendroit prefqu'indifférent. Mais j'ai déjà dit qu'il n'y auoit point de véritable Démocratie. Quand le choix & le fort fe trouvent mèlés, le premier doit remplir les places qui demandent des talents propres, telles que les emplois militaires; l'autre convient à celles où fuffisent le bon sens, la justice, l'intégrité, telles que les charges de judicature; parce que dans un État bien constitué ces qualités fout communes à tous les Ci toyens. Le fort ni les fuffrages n'ont aucun lieu 'dans le Gouvernement monarchique. Le Monarque étant de droit feul Prince & feul Magiftrat, le choix de fes Lieutenants n'appartient qu'à lui. Quand l'Abbé de St. Pierre propofoit de multiplier les Conseils du Roi de France, & d'en élire les membres par Scrutin, il ne voyoit pas qu'il proposoit de changer la forme du Gouvernement. Il me resteroit à parler de la maniere de 'donner & de recueillir les voix dans l'af femblée du peuple mais peut-être l'histori: |