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perfonne n'a pas ratifiée eft nulle; ce n'eft point une loi. Le peuple Anglois pense être libre; il fe trompe fort, il ne l'eft que durant l'Élection des Membres du Parlement fi-tôt qu'ils font élus, il est esclave, il n'est rien. Dans les courts moments de fa liber té, l'ufage qu'il en fait mérite bien qu'il la perde.

L'idée des Repréfantans eft moderne: elle nous vient du Gouvernement féodal, de cet inique & abfurde Gouvernement dans lequel l'efpece humaine eft dégradée, & où le nom d'homme eft en deshonneur. Dans les anciennes Républiques, & même dans les Monarchies, jamais le peuple n'eut de Représentans; on ne connoiffoit pas ce mot-là. Il est très-fingulier qu'à Rome où les Tribuns étoient fi facrés on n'ait pas même imaginé qu'ils puffent ufurper les fonctions du peuple; & qu'au millieu d'une fi grande multitude, ils n'aient jamais tenté de paffer de leur chef un feul Plébifcite. Qu'on juge cependant l'embarras que caufoit quelquefois la foule, par ce qui arriva

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du temps des Gracques, où une partie des Citoyens donnoit fon fuffrage de deffus les toits.

Où le droit & la liberté font toutes chofes, les inconvenients ne font rien. Chez ce fage peuple tout étoit mis à sa juste méfure: il laiffoit faire à fes Licteurs ce que ces Tribuns n'eussent ofé faire, il ne craignoit pas que les Licteurs vouluffent le repréfeuter,

Pour expliquer cependant comme les Tribuns le repréfentoient quelque fois, il fuffic de concevoir comment le Gouvernement repréfente le Souverain, La Loi n'étant que la déclaration de la volonté générale, il est clair que dans la puissance législative le peuple ne peut être repréfenté; mais il peut & doit l'être dans la puiflance exécutive, qui n'eft que la force appliquée à la Loi, Ceci fait voir qu'en examinant bien les chofes on trouveroit que très-peu de Nations ant des loix. Quoi qu'il en foit, il est sur que les Tribuns, n'ayant aucune partie du pouvoir exécutif, ne purent jamais repré

$ fenter le peuple Romain par les droits de s leurs charges, mais feulement en ufurpant fur ceux du Sénat.

Chez les Grecs tout ce que le peuple avoit à faire il le faifoit par lui-même; il étoit fans ceffe affemblé fur la place. H habitoit un climat doux, il n'étoit point avide, des efclaves faifoient fes travaux, fa grande affaire étoit fa liberté. N'ayant plus les mêmes avantages, comment conferver les mêmes droits? Vos climats plus durs vous donnent plus de befoins *, fix moix de l'année n'eft pas tenable, vos langues fourdes ne peuvent fe faire entendre en plein air, vous donnez plus à votre gain qu'à votre liberté, & vous craignez bien moins l'esclavage que la mifere.

Quoi! la liberté ne se maintient qu'à l'appui de la fervitude? Peut-être les deux excès fe touchent. Tout ce qui n'eft point dans la nature, a fes inconvenients, & la fociété civile plus que tout le refte. Il y a telles

* Adopter dans les pays froids le luxe & la moleffe des orientaux, c'eft vouloir fe donner leurs chaines; 'eft s'y foumettre encore plus néceffairement qu'eux.

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pofitions malheureuses où l'on ne peut conferver fa liberté qu'aux dépens de celle d'autrui, & où le citoyen ne peut être parfaitement libre, que l'efclave ne foit extrêmement efclave. Telle étoit la pofition de Sparte. Pour vous, peuples modernes, vous n'avez point d'efclaves, mais vous l'êtes; vous payez leur liberté de la vôtre. Vous avez beau vanter cette préference; j'y trouve plus de lâcheté que d'humanité.

Je n'entends point par tout cela qu'il faille avoir des efclaves ni que le droit d'efclavage foit légitime, puifque j'ai prouvé le contraire. Je dis feulement les raifons pourquoi les peuples modernes, qui fe croyent libres, ont des Repréfentans, & pourquoi les peuples anciens n'en avoient pas. Quoiqu'il en foit, à l'infant qu'un peuple fe donne des repréfentants, il n'eft plus libre, il n'eft plus.

Tout bien examiné, je ne vois pas qu'il foit déformais poffible au Souverain de conferver parmi nous l'exercice de fes droits, fi la Cité n'eft très petite. Mais fi elle est très petite elle fera fubjuguée? Non. Je ferai

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voir ci-après comment on peut réunir la puiffance extérieure d'un grand Peuple avec la police aifée & le bon ordre d'un petit

Etat.

* C'est ce que je m'étois propofé de faire dans la fuite de cet ouvrage, lorsqu'en traitant des rélations externes j'en ferois venu aux confédérations: matiere toute neuve & où les principes font encore à établir.

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