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Le même cas arrive auffi quand les mem bres du Gouvernement ufurpent féparément le pouvoir qu'ils ne doivent exercer qu'en corps; ce qui n'est pas une moindre infraction des loix, & produit encore un plus grand defordre. Alors, on a, pour ainsi dire, autant de Princes que de Magiftrats, & l'État, non moins divifé que le Gouver acment, périt ou change de forme.

Quand l'État fe diffout, l'abus du Gou vernement, quel qu'il foit, prend le nom commun d'Anarchie. En diftinguant, la Démocratie dégénere en Ochlocratie, l'Arifto. cratie en Olygarchie; j'ajoûterois que la Royauté dégénere en Tyrannie; mais ce der nier mot eft équivoque & demande explication.

Dans le fens vulgaire un Tyran est un Roi qui gouverne avec violence & fans égard à la juftice & aux loix. Dans le fens précis un Tyran eft un particulier qui s'arroge l'autorité royale fans y avoir droit. C'eft ainfi que les Grecs entendoient ce mot de Tyran: ils le donnoient indifféremment aux bons & aux mauvais Princes dont l'autorité n'étoit

pas légitime *. Ainfi, Tyran & Ufurpateur font deux mots parfaitement fynonimes. Pour donner différents noms à différentes chofes; j'appelle Tyran l'ufurpateur de l'autorité royale, & Defpote l'ufurpateur du pouvoir Souverain. Le Tyran eft celui qui s'ingére contre les loix à gouverner felon les loiy; le Defpote eft celui qui fe met audeffus des loix mêmes. Ainfi, le Tyran peut n'être pas Defpote; mais le Defpote est toujours Tyran.

* Omnes enim, & habentur & dicuntur Tyranni, qui poteftate utuntur perpetuâ, in ea Civitate que libertate ufa eft. Corn. Nep. in Militiad. Il eft vrai qu'Ariftote, Mor. Nicom. L. VIII. c. 10. diftingue le Tyran du Roi, en ce que le premier gouverne pour fa propre utilité, & le fecond feulement pour l'utilité de ses sujets ; mais outre que généralement tous les Auteurs Grecs ont pris le mot Tyran, dans un autre fens, comme il paroît fur-tout par le Hieron de Xenophon, il s'enfuivroit de la diftinction d'Ariftote, que depuis le commencement du monde, il n'auroit pas encore existé un seul Roi.

CHAPITRE XI.

De la mort du corps politique.

TELLE eft la pente naturelle & inéví

table des Gouvernements les mieux conftitués. Si Sparte & Rome ont peri, quel État peut efperer de durer toujours? Si nous voulons former un établiffement durable, ne fongeons donc point à le rendre éternel. Pour réuffir il ne faut pas tenter l'impoffible, ni fe flatter de donner à l'ouvrage des hommes une folidité que les choses humaines ne comportent pas.

Le corps politique, auffi bien que le corps 'de l'homme, commence à mourir dès fa naiffance & porte en lui-même les caufes de fa deftruction. Mais l'un & l'autre peut avoir une conftitution plus ou moins robufte & propre à le conferver plus ou moins long-temps. La conftitution de l'homme eft l'ouvrage de la nature, celle de l'État eft l'ouvrage de l'art. Il ne dépend pas des hom

mnes de prolonger leur vie, il dépend d'eux de prolonger celle de l'État auffi loin qu'il eft poffible, en lui donnant la meilleure conftitution qu'il puiffe avoir : Le mieux conftitué finira, mais plus tard qu'un au tre, fi nul accident imprévu n'amene fa te avant le temps.

per

Le principe de la vie politique eft dans l'autorité fouveraine. La puiffance légiflative eft le cœur de l'État, la puiffance exécutive en eft le cerveau, qui donne le mouvement à toutes les parties. Le cerveau peut tomber en paralyfie & l'individu vivre encore. Un homme refte imbécille & vit: mais fi-tôt que le cœur a ceffé fes fonctions, l'animal est mort.

Ce n'est point par les loix que l'État fub fifte, c'est par le pouvoir l'égislatif. La loi ́ d'hier n'oblige pas aujourd'hui, mais le confentement tacite eft préfumé du filence, & le Souverain eft cenfé confirmer inceffamment les loix qu'il n'abroge pas, pouvant le faire. Tout ce qu'il a déclaré vouloir une fois, il le veut toujours, à moins qu'il ne le revoque.

Pourquoi donc porte-t-on tant de respect aux anciennes loix? C'est pour cela même. On doit croire qu'il n'y a que l'excellence des volontés antiques qui les ait pu conferver fi long-tems; fi le Souverain ne les eût reconnu constamment salutaires, il les eût mille fois révoquées. Voila pourquoi, loin de s'affoiblir, les loix acquierent fans ceffe une force nouvelle dans tout Etat bien conftitué, le préjugé de l'antiquité les rend chaque jour plus vénerables; au lieu que par tout où les lotx s'affoibliffent en vieilliffant, cela prouve qu'il n'y a plus de pouvoit légiflatif, & que l'Etat ne vit plus.

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