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raifon des Afiatiques. Quelques-uns attri buent la fobriété des Perfans à ce que leur pays eft moins cultivé, & moi je crois au contraire que leur pays abonde moins en denrées parce qu'il en faut moins aux habitans. Si leur frugalité, continue-t'il, étoit un effet de la difette du pays, il n'y auroit que les pauvres qui mangeroient peu, au lieu que c'est généralement tout le monde, & on mangeroit plus ou moins en chaque province, felon la fertilité du pays; au lieu que la même fobriété fe trouve par tout le Royaume. Ils fe louent fort de leur maniere de vivre, difant qu'il ne faut que regarder leur teint pour reconnoitre combien elle eft plus excellente que celle des Chrétiens. En effet le teint des Perfans eft uni, ils ont la peau belle, fine & polie; au lieu que le teint des Arméniens, leur fujets, qui vivent à l'Européenne, eft rude, couperofé, & que leurs corps font gros & pefants.

Plus on approche de la ligne, plus les peuples vivent de peu. Ils ne mangent pref que pas de viande : le ris, le mays, le cuzcuz, le mil, la caffaye, font leurs alimens

ordinaires. Il y a aux Indes des millions d'hommes dont la nourriture ne coûte pas un fol par jour. Nous voyons en Europe même des différences fenfibles pour l'appétit entre les peuples du nord & ceux du midi. Un espagnol vivra huit jours du dîner d'un Allemand. Dans les pays où les hommes font plus voraces, le luxe fe tourne auffi vers les chofes de consommation. En Angleterre il fe montre fur une table chargée de viandes; en Italie on vous régale de fucre & de fleurs.

Le luxe des vêtemens offre encore de femblables différences. Dans les climats où les changemens des faifons font prompts & violens, on a des habits meilleurs & plus fimples; Dans ceux où l'on ne s'habille que pour la parure, on y cherche plus d'éclat que d'utilité, les habits eux-mêmes y font un luxe. A Naples, vous verrez tous les jours fe promener au Paufylipe des hommes en vefte dorée & point de bas. C'est la même chofe pour les bâtimens; on donne tout à la magnificence quand on n'a rien à craindre des injures de l'air. A Paris, à Londres, on

veut être logé chaudement & commodement. A Madrid on a des fallons superbes, mais point de fenêtres qui ferment, & l'on couche dans des nids-à-rats.

Les alimens font beaucoup plus fubftantiels & fucculents dans les pays chauds; c'est une troifiéme différence qui ne peut manquer d'influer fur la feconde. Pourquoi mange-t'on tant de légumes en Italie? Parce qu'ils y font bons, nourriffants, d'excellent goût? En France où ils ne font nourris que d'eau, ils ne nourriffent point, & font prefque comptés pour rien fur les tables. Ils n'occupent pourtant pas moins de terrein, & coûtent du moins autant de peine à cultiver. C'est une expérience faite, que les bleds de Barbarie, d'ailleurs inférieurs à ceux de France, rendent beaucoup plus en farine, & que ceux de France à leur tour rendent plus que les bleds du Nord. D'où l'on peut inférer qu'une gradation semblable s'observe généralement dans la même direction de la ligne au pôle. Or n'eft-ce pas un défavantage vifible d'avoir dans un produit égal une moindre quantité d'alimens?

A toutes ces différentes confidérations j'en puis ajouter une qui en découle, & qui les fortifie; c'eft que les pays chauds ont moins befoin d'habitans que les pays froids, & pourroit en nourrir davantage; ce qui produit un double fuperfu, toujours à l'avantage du defpotifine. Plus le même nombre d'habitans occupe une grande surface, plus les révoltes deviennent difficiles; parce qu'on ne peut fe concerter ni promptement ni fecrétement, & qu'il eft toujours facile au Gouvernement d'éventer les projets & de couper les comunications; mais plus un peuple nombreux fe raproche, moins le Gouvernement peut ufurper fur le Souverain; les chefs déliberent auffi fûrement dans leurs chambres que le prince dans fon confeil; & la foule s'affemble auffi-tôt dans les places que les troupes dans leurs quartiers. L'avantage d'un Gouvernement tyrannique est donc en ceci d'agir à grandes distances. A l'aide des points d'appui qu'il fe donne, fa force augmente au loin comme celle des leviers *. Celle du peuple au contraire n'a

Ceci ne contredit pas ce que j'ai dit ci-devant L. II.

git que concentrée, elle s'évapore & fe perd en s'étendant, comme l'effet de la poudre éparse à terre & qui ne prend feu que grain à grain. Les pays les moins peuplés font ainfi les plus propres à la tyrannie; les bêtes féroces ne regnent que dans les déferts.

Chap. IX. Sur les inconvénients des grands Etats: car il s'agiffoit-là de l'autorité du Gouvernement fur les membres, & il s'agit ici de fa force contre les fuet. Ses membres épras lui fervent de points d'appui pour agir au loin fur le peuple, mais il n'a nul point d'appui pour agir directement fur les membres. Ainsi dans l'un des cas la longueur du levier en fait la foibleffe, la force dans l'autre cas.

༞,

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