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Il courbait sous les fruits. Cependant pour salaire
Un rustre l'abattait: c'était là son loyer;
Quoique, pendant tout l'an, libéral il nous donne

Ou des fleurs au printemps, ou du fruit en automne,
L'ombre l'été, l'hiver les plaisirs du foyer.

Que ne l'émondait-on, sans prendre la cognée?
De son tempérament, il eût encor vécu.

L'homme, trouvant mauvais que l'on l'eût convaincu,
Voulut à toute force avoir cause gagnée.

« Je suis bien bon, dit-il, d'écouter ces gens-là ! »
Du sac et du serpent aussitôt il donna

Contre les murs, tant qu'il tua la bête.

On en use ainsi chez les grands:

La raison les offense; ils se mettent en tête
Que tout est né pour eux, quadrupèdes et gens,
Et serpents.

Si quelqu'un desserre les dents,

Constitution

C'est un sot.-J'en conviens: mais que faut-il donc faire?
Parler de loin, ou bien se taire.

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78 de son tempérament: thanks to its strength; eût has conditional force. The tree taken as judge speaks for others which have been cut down. 90 de loin: i.e., so as not to be heard. The moral is not heroic; La Fontaine seems in this fable to sympathise with the oppressed, but his only advice to them is to submit.

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47. Le Paysan du Danube

Il ne faut point juger des gens sur l'apparence.
Le conseil en est bon, mais il n'est pas nouveau.
Jadis l'erreur du souriceau

Me servit à prouver le discours que j'avance:
J'ai, pour le fonder à présent,

Le bon Socrate, Ésope, et certain paysan
Des rives du Danube, homme dont Marc-Aurèle
Nous fait un portrait fort fidèle.

On connaît les premiers: quant à l'autre, voici
Le personnage en raccourci.

Son menton nourrissait une barbe touffue;
Toute sa personne velue

Représentait un ours, mais un ours mal léché:
Sous un sourcil épais il avait l'œil caché,
Le regard de travers, nez tortu, grosse lèvre,
Portait sayon de poil de chèvre,

Et ceinture de joncs marins.

Cet homme ainsi bâti fut député des villes

Que lave le Danube. Il n'était point d'asiles

Le Paysan du Danube, livre XI, fable 7. The earliest known version is in a Spanish work by Antonio de Guevara, Marco Aurelio con el Relox de Principes, 1529, which was probably known to La Fontaine in one of the various French translations, as well as in an adaptation by Cassandre, 1680. He derived from these models the ideas and many of the actual words of the fable.—3 Reference to another fable, VI, 5.—7 Marc-Aurèle (see vocab.) left various writings, 'but in none of them is this story found; he is a character, however, in the Spanish work mentioned above.—9 les premiers: i.e., Socrates and Aesop were proverbially unprepossessing in appearance. — 13 léché: see note on fable 9, line 22.- 18 villes... Danube: Roman colonies, as is recalled to-day by the name Roumania, and the language spoken in that country.

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Où l'avarice des Romains

Ne pénétrât alors, et ne portât les mains.

Le député vint donc, et fit cette harangue :
<< Romains, et vous, sénat assis pour m'écouter,
Je supplie avant tout les dieux de m'assister:
Veuillent les immortels, conducteurs de ma langue,
Que je ne dise rien qui doive être repris!

Sans leur aide, il ne peut entrer dans les esprits
Que tout mal et toute injustice:

Faute d'y recourir, on viole leurs lois.

Témoin nous que punit la romaine avarice:

Rome est, pour nos forfaits, plus que par ses exploits,
L'instrument de notre supplice.

Craignez, Romains, craignez que le ciel quelque jour
Ne transporte chez vous les pleurs et la misère;
Et mettant en nos mains, par un juste retour,
Les armes dont se sert sa vengeance sévère,

Il ne vous fasse, en sa colère,

Nos esclaves à votre tour.

Et pourquoi sommes-nous les vôtres ? Qu'on me die
En quoi vous valez mieux que cent peuples divers.
Quel droit vous a rendus maîtres de l'univers?
Pourquoi venir troubler une innocente vie?

Nous cultivions en paix d'heureux champs; et nos mains
Étaient propres aux arts, ainsi qu'au labourage.
Qu'avez-vous appris aux Germains?

Ils ont l'adresse et le courage:

S'ils avaient eu l'avidité,

Comme vous, et la violence,

Peut-être en votre place ils auraient la puissance,

Et sauraient en user sans inhumanité.

39 die: an old form for dise, pres. subj. of dire.-45 Germains is applied to the Germanic tribes of ancient times; the modern French word for German is Allemand.

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Celle que vos préteurs ont sur nous exercée

N'entre qu'à peine en la pensée. can scarcely be imagined
La majesté de vos autels

Elle-même en est offensée;

Car sachez que les immortels

Ont les regards sur nous. Grâces à vos exemples,
Ils n'ont devant les yeux que des objets d'horreur,
De mépris d'eux et de leurs temples,

D'avarice qui va jusques à la fureur.

Rien ne suffit aux gens qui nous viennent de Rome:
La terre et le travail de l'homme

Font pour les assouvir des efforts superflus.
Retirez-les :
: on ne veut plus

Cultiver pour eux les campagnes.

Nous quittons les cités, nous fuyons aux montagnes ;
Nous laissons nos chères compagnes ;

Nous ne conversons plus qu'avec des ours affreux,
Découragés de mettre au jour des malheureux,
Et de peupler pour Rome un pays qu'elle opprime.
Quant à nos enfants déjà nés,

Nous souhaitons de voir leurs jours bientôt bornés:
Vos préteurs au malheur nous font joindre le crime.
Retirez-les: ils ne nous apprendront

Que la mollesse et que le vice;

Les Germains comme eux deviendront

Gens de rapine et d'avarice.

C'est tout ce que j'ai vu dans Rome à mon abord.
N'a-t-on point de présent à faire,

Point de pourpre à donner, c'est en vain qu'on espère
Quelque refuge aux lois: encor leur ministère
A-t-il mille longueurs. Ce discours, un peu fort,
Doit commencer à vous déplaire.

51 celle refers to inhumanité. — 78 N'a-t-on : cf. note on fable 39, 1. 42

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Je finis. Punissez de mort

Une plainte un peu trop sincère.»>

A ces mots, il se couche; et chacun étonné
Admire le grand cœur, le bon sens, l'éloquence
Du sauvage ainsi prosterné.

On le créa patrice; et ce fut la vengeance
Qu'on crut qu'un tel discours méritait. On choisit
D'autres préteurs; et par écrit

Le sénat demanda ce qu'avait dit cet homme,
Pour servir de modèle aux parleurs à venir.
On ne sut pas longtemps à Rome
Cette éloquence entretenir.

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48. Le Cerf malade

EN pays pleins de cerfs, un cerf tomba malade.
Incontinent maint camarade

Accourt à son grabat le voir, le secourir,
Le consoler du moins: multitude importune.
«Eh! messieurs, laissez-moi mourir:
Permettez qu'en forme commune

La Parque m'expédie; et finissez vos pleurs.»><
Point du tout: les consolateurs

De ce triste devoir tout au long s'acquittèrent,
Quand il plut à Dieu s'en allèrent:
Ce ne fut pas sans boire un coup,

C'est-à-dire sans prendre un droit de pâturage.
Tout se mit à brouter les bois du voisinage.

Le Cerf malade, livre XII, fable 6. Perhaps from Desmay, l'Ésope du temps, Paris, 1677; or Lokman, whose Arabic fables appeared in a Latin translation in 1673.—1 pays: as a hunting-term is used in the plural rather than the singular.

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