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Le rat s'étonnait que les gens

Fussent touchés de voir cette pesante masse:

« Comme si d'occuper ou plus ou moins de place
Nous rendait, disait-il, plus ou moins importants!
Mais qu'admirez-vous tant en lui, vous autres hommes ?
Serait-ce ce grand corps qui fait peur aux enfants?
Nous ne nous prisons pas, tout petits que nous sommes,
D'un grain moins que les éléphants.»>

Il en aurait dit davantage;

Mais le chat, sortant de sa cage,
Lui fit voir, en moins d'un instant,
Qu'un rat n'est pas un éléphant.

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ΙΟ

42. Les deux Pigeons

DEUX pigeons s'aimaient d'amour tendre:
L'un d'eux, s'ennuyant au logis,
Fut assez fou pour entreprendre
Un voyage en lointain pays.

L'autre lui dit : « Qu'allez-vous faire?

Voulez-vous quitter votre frère?

L'absence est le plus grand des maux:

Non pas pour vous, cruel! Au moins, que les travaux,
Les dangers, les soins du voyage,

Changent un peu votre courage.

Encor, si la saison s'avançait davantage!

27 Taine (p. 130), commenting on this fable, says: "Le bourgeois sait qu'il est bourgeois, et s'en chagrine. Sa seule ressource est de mépriser les nobles ou de les imiter."

Les deux Pigeons, livre IX, fable 2. From the Livre des Lumières (quoted by Regnier, II, 512).— 1 Deux pigeons,-brothers (cf. line 6), though La Fontaine applies the fable (line 65) to lovers. — II Encor implies that it would be better if the season, etc.

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Attendez les zéphyrs: qui vous presse? un corbeau
Tout à l'heure annonçait malheur à quelque oiseau.
Je ne songerai plus que rencontre funeste,

Que faucons, que réseaux. «Hélas! dirai-je, il pleut:
<< Mon frère a-t-il tout ce qu'il veut,

« Bon souper, bon gîte, et le reste? »
Ce discours ébranla le cœur

De notre imprudent voyageur;

Mais le désir de voir et l'humeur inquiète
L'emportèrent enfin. Il dit : « Ne pleurez point ;
Trois jours au plus rendront mon âme satisfaite;
Je reviendrai dans peu conter de point en point
Mes aventures à mon frère;

Je le désennuierai. Quiconque ne voit guère
N'a guère à dire aussi. Mon voyage dépeint
Vous sera d'un plaisir extrême.

Je dirai: J'étais là; telle chose m'avint;

Vous y croirez être vous-même.»
A ces mots, en pleurant, ils se dirent adieu.
Le voyageur s'éloigne; et voilà qu'un nuage
L'oblige de chercher retraite en quelque lieu.
Un seul arbre s'offrit, tel encor que l'orage
Maltraita le pigeon en dépit du feuillage.
L'air devenu serein, il part tout morfondu,
Sèche du mieux qu'il peut son corps chargé de pluie;
Dans un champ à l'écart voit du blé répandu,
Voit un pigeon auprès: cela lui donne envie;
Il y vole, il est pris : ce blé couvrait d'un lacs

chilled

snare

12 zéphyrs: the season is indicated by the name of the wind; cf. bise, fable 1, line 4.- — un corbeau: one of the birds used in foretelling the future; cf. in another fable (II, 17):

Le corbeau sert pour le présage;

La corneille avertit des malheurs à venir.

38 un pigeon: i.e., a decoy.—39 lacs rhymes with appâts, and depends

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Les menteurs et traîtres appâts.

Le lacs était usé; si bien que, de son aile,

De ses pieds, de son bec, l'oiseau le rompt enfin ;
Quelque plume y périt; et le pis du destin

Fut qu'un certain vautour, à la serre cruelle,
Vit notre malheureux, qui, traînant la ficelle
Et les morceaux du lacs qui l'avait attrapé,
Semblait un forçat échappé.

Le vautour s'en allait le lier, quand des nues
Fond à son tour un aigle aux ailes étendues.
Le pigeon profita du conflit des voleurs,
S'envola, s'abattit auprès d'une masure,

Crut, pour ce coup, que ses malheurs
Finiraient par cette aventure;

Mais un fripon d'enfant (cet âge est sans pitié)
Prit sa fronde, et du coup tua plus d'à moitié
La volatile malheureuse,
Qui, maudissant sa curiosité,
Traînant l'aile, et tirant le pied,
Demi-morte et demi-boiteuse,
Droit au logis s'en retourna :
Que bien, que mal, elle arriva

Sans autre aventure fâcheuse.

Voilà nos gens rejoints; et je laisse à juger
De combien de plaisirs ils payèrent leurs peines.

Amants, heureux amants, voulez-vous voyager?
Que ce soit aux rives prochaines.
Soyez-vous l'un à l'autre un monde toujours beau,
Toujours divers, toujours nouveau ;

upon it grammatically; in Regnier these words are spelled las and appas.54 cet âge, etc.: often quoted to show that La Fontaine did not like children.-58 pied: Regnier has pié.

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Tenez-vous lieu de tout, comptez pour rien le reste.
J'ai quelquefois aimé: je n'aurais pas alors,

Contre le Louvre et ses trésors,

Contre le firmament et sa voûte céleste,

Changé les bois, changé les lieux

Honorés par les pas, éclairés par les yeux
De l'aimable et jeune bergère

Pour qui, sous le fils de Cythère, Cythera or Cytherea = Venu
Je servis, engagé par mes premiers serments.

Hélas! Quand reviendront de semblables moments?
Faut-il que tant d'objets si doux et si charmants
Me laissent vivre au gré de mon âme inquiète ?
Ah! si mon cœur osait encor se renflammer!
Ne sentirai-je plus de charme qui m'arrête?
Ai-je passé le temps d'aimer?

43. L'Huître et les Plaideurs

UN jour deux pèlerins sur le sable rencontrent
Une huître, que le flot y venait d'apporter :
Ils l'avalent des yeux, du doigt ils se la montrent;
A l'égard de la dent il fallut contester.

L'un se baissait déjà pour amasser la proie;
L'autre le pousse, et dit : « Il est bon de savoir
Qui de nous en aura la joie.

70 quelquefois has here the obsolete meaning "once."- 75 bergère: a conventional term, due to the popularity of pastoral poetry, in which lovers were called bergers and bergères. 83 Ai-je passé: in 1679, when this fable appeared, La Fontaine was 58 years old.

L'Huître et les Plaideurs, livre IX, fable 9. This fable was first published in 1671. Two years before, a fable on the same subject had been inserted by Boileau in his first Epistle; he afterwards transferred

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Celui qui le premier a pu l'apercevoir
En sera le gobeur; l'autre le verra faire.
-Si par là l'on juge l'affaire,

Reprit son compagnon, j'ai l'œil bon, Dieu merci.
- Je ne l'ai pas mauvais aussi,

Dit l'autre; et je l'ai vue avant vous, sur ma vie.
Eh bien! vous l'avez vue; et moi je l'ai sentie.»>
Pendant tout ce bel incident,

Perrin Dandin arrive: ils le prennent pour juge.
Perrin, fort gravement, ouvre l'huître, et la gruge,
Nos deux messieurs le regardant.

Ce repas fait, il dit d'un ton de président :

<< Tenez, la cour vous donne à chacun une écaille
Sans dépens; et qu'en paix chacun chez soi s'en aille.»

Mettez ce qu'il en coûte à plaider aujourd'hui;
Comptez ce qu'il en reste à beaucoup de familles,
Vous verrez que Perrin tire l'argent à lui,

Et ne laisse aux plaideurs que le sac et les quilles. mine
it to the second Epistle. La Justice, playing the part that Perrin takes
in La Fontaine's version, addresses these words to the two travellers:
"Tenez; voilà, dit-elle, à chacun une écaille.
Des sottises d'autrui nous vivons au Palais.

Messieurs, l'huître était bonne. Adieu. Vivez en paix."

The Palais is the Palais de Justice, or Court-house. Compare this fable with No. 9, Les Frelons et les Mouches à Miel.— 16 Perrin Dandin, a character in Rabelais, Pantagruel, chosen as a referee. In Racine, Les Plaideurs (published in 1668), a judge. 22 Mettez... coûte: see coûter. En stands indefinitely for some expression like d'argent.

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