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Au chien dont parle Esope il faut les renvoyer.
Ce chien, voyant sa proie en l'eau représentée,
La quitta pour l'image, et pensa se noyer.
La rivière devint tout d'un coup agitée;

A toute peine il regagna les bords,
Et n'eut ni l'ombre ni le corps,

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36. Les Animaux malades de la Peste

UN mal qui répand la terreur,

Mal que le ciel en sa fureur

Inventa pour punir les crimes de la terre,
La peste (puisqu'il faut l'appeler par son nom),
Capable d'enrichir en un jour l'Achéron,

Faisait aux animaux la guerre.

Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés:
On n'en voyait point d'occupés

A chercher le soutien d'une mourante vie;

Nul mets n'excitait leur envie ;
Ni loups ni renards n'épiaient

La douce et l'innocente proie;

in Marie de France the dog carries, not meat, but a cheese. La Fontaine does not specify what his dog carries, — sa proie, line 6.—7 La quitta pour l'image implies that he jumped into the water; pensa se noyer, cf. pensa perdre la vie, fable 18, line 4 (see vocab. under penser). — 10 ni l'ombre ni le corps, equivalent to ni l'image ni sa proie.

Les Animaux malades de la Peste, livre VII, fable 1. This fable, by many regarded as La Fontaine's masterpiece, was probably medieval in origin, although the same idea underlies an Oriental tale. There are a number of versions in Latin and French; those by Haudent and Gueroult (16th century) may have been La Fontaine's source (see Regnier, II, pp. 88, 484). Here the satire is against courts of justice (see line 64); in the older versions it was against corrupt priests.

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Les tourterelles se fuyaient:

Plus d'amour, partant plus de joie.

Le lion tint conseil, et dit : « Mes chers amis,
Je crois que le ciel a permis

Pour nos péchés cette infortune.

Que le plus coupable de nous

Se sacrifie aux traits du céleste courroux;
Peut-être il obtiendra la guérison commune.
L'histoire nous apprend qu'en de tels accidents
On fait de pareils dévouements.

Ne nous flattons donc point; voyons sans indulgence
L'état de notre conscience.

Pour moi, satisfaisant mes appétits gloutons,
J'ai dévoré force moutons.

Que m'avaient-ils fait? nulle offense;
Même il m'est arrivé quelquefois de manger
Le berger.

Je me dévouerai donc, s'il le faut : mais je pense
Qu'il est bon que chacun s'accuse ainsi que moi:
Car on doit souhaiter, selon toute justice,

Que le plus coupable périsse.

Sire, dit le renard, vous êtes trop bon roi;

Vos scrupules font voir trop de délicatesse.

Eh bien! manger moutons, canaille, sotte espèce,
Est-ce un péché? Non, non. Vous leur fites, seigneur,
En les croquant, beaucoup d'honneur;

Et quant au berger, l'on peut dire

Qu'il était digne de tous maux,
Étant de ces gens-là qui sur les animaux
Se font un chimérique empire.»

Ainsi dit le renard; et flatteurs d'applaudir.
On n'osa trop approfondir

Du tigre, ni de l'ours, ni des autres puissances,
Les moins pardonnables offenses.

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Tous les gens querelleurs, jusqu'aux simples mâtins,
Au dire de chacun, étaient de petits saints.
L'âne vint à son tour, et dit : « J'ai souvenance
Qu'en un pré de moines passant,

La faim, l'occasion, l'herbe tendre, et, je pense,
Quelque diable aussi me poussant,

Je tondis de ce pré la largeur de ma langue.

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Je n'en avais nul droit, puisqu'il faut parler net.»>
A ces mots on cria haro sur le baudet.

fie

mangy

Un loup, quelque peu clerc, prouva par sa harangue
Qu'il fallait dévouer ce maudit animal,
Ce pelé, ce galeux, d'où venait tout leur mal.
Sa peccadille fut jugée un cas pendable.

scuring

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Manger l'herbe d'autrui! quel crime abominable!
Rien que la mort n'était capable

D'expier son forfait : on le lui fit bien voir.

Selon que vous serez puissant ou misérable,

Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir.

37. Le Héron

UN jour, sur ses longs pieds, allait, je ne sais où,
Le héron au long bec emmanché d'un long cou.
Il côtoyait une rivière.

L'onde était transparente ainsi qu'aux plus beaux jours;
5 Ma commère la carpe y faisait mille tours

Avec le brochet son compère.

Le héron en eût fait aisément son profit:

Tous approchaient du bord; l'oiseau n'avait qu'à prendre.

64 blanc ou noir: i.e., innocent or guilty.

Le Héron, livre VII, fable 4. The idea of this fable is found in various versions; but in none of them is the heron used.

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Mais il crut mieux faire d'attendre

Qu'il eût un peu plus d'appétit :

Il vivait de régime, et mangeait à ses heures.
Après quelques moments l'appétit vint: l'oiseau,
S'approchant du bord, vit sur l'eau

Des tanches qui sortaient du fond de ces demeures.
15 Le mets ne lui plut pas; il s'attendait à mieux,
Et montrait un goût dédaigneux

Comme le rat du bon Horace.

« Moi, des tanches! dit-il, moi, héron, que je fasse Une si pauvre chère? Et pour qui me prend-on ? » 20 La tanche rebutée, il trouva du goujon.

« Du goujon! c'est bien là le dîner d'un héron!
J'ouvrirais pour si peu le bec! aux dieux ne plaise!»
Il l'ouvrit pour bien moins: tout alla de façon
Qu'il ne vit plus aucun poisson.

25 La faim le prit: il fut tout heureux et tout aise
De rencontrer un limaçon.

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Ne soyons pas si difficiles:

Les plus accommodants, ce sont les plus habiles;
On hasarde de perdre en voulant trop gagner.
Gardez-vous de rien dédaigner,

Surtout quand vous avez à peu près votre compte.
Bien des gens y sont pris. Ce n'est pas aux hérons
Que je parle: écoutez, humains, un autre conte;
Vous verrez que chez vous j'ai puisé ces leçons.

17 le rat du bon Horace: an allusion to Horace's version (Satires, II, vi, verse 87) of the fable of the town rat and the country rat (cf. fable 4 in this book).—33 un autre conte: another fable, La Fille, VI, 5, not included in this edition.

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38. Le Coche et la Mouche

DANS un chemin montant, sablonneux, malaisé,
Et de tous les côtés au soleil exposé,

Six forts chevaux tiraient un coche.
Femmes, moines, vieillards, tout était descendu;
L'attelage suait, soufflait, était rendu.

Une mouche survient, et des chevaux s'approche,
Prétend les animer par son bourdonnement,
Pique l'un, pique l'autre, et pense à tout moment
Qu'elle fait aller la machine,

S'assied sur le timon, sur le nez du cocher.
Aussitôt que le char chemine,

Et qu'elle voit les gens marcher,

Elle s'en attribue uniquement la gloire,

Va, vient, fait l'empressée : il semble que ce soit
Un sergent de bataille allant en chaque endroit d
Faire avancer ses gens et hâter la victoire.

La mouche, en ce commun besoin,

Se plaint qu'elle agit seule, et qu'elle a tout le soin;
Qu'aucun n'aide aux chevaux à se tirer d'affaire.
Le moine disait son bréviaire:

Il prenait bien son temps! une femme chantait:
C'était bien de chansons qu'alors il s'agissait!
Dame mouche s'en va chanter à leurs oreilles,
Et fait cent sottises pareilles.

Après bien du travail, le coche arrive au haut:
<< Respirons maintenant! dit la mouche aussitôt :
J'ai tant fait que nos gens sont enfin dans la plaine.
Çà, messieurs les chevaux, payez-moi de ma peine.»

Le Coche et la Mouche, livre VII, fable 9. Probably from Phaedrus, III, 6, Musca et mula; though neither this nor the similar fable of Aesop (Halm 235) is exactly like La Fontaine's.

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