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fonctionner, ne s'exerce point suivant des lois identiques pour tous les animaux; elle offre dans ses phénomènes des modifications assez nombreuses correspondant à celles qui s'observent dans la disposition anatomique du système nerveux. La plus générale et la première de ces lois est celle-ci : l'innervation est d'autant plus centralisée que l'animal est plus haut placé dans l'échelle zoologique.

D'abord, il est évident qu'il ne saurait y avoir de centralisation chez les êtres les plus simples dont le système nerveux est, pour ainsi dire, disséminé. L'une quelconque des parties du corps ayant en soi ce que possèdent toutes les autres, il n'y a pas de raison pour que la première soit dépendante des secondes : aussi, quand une hydre vient à être coupée en deux, chaque moitié peut-elle vivre isolément comme elle vivait étant réunie à l'autre. Dès qu'apparaissent des renflements ganglionnaires, la centralisation se manifeste à un degré plus ou moins prononcé. S'ils forment une chaîne dans laquelle la même disposition se répète un grand nombre de fois, comme on le voit chez les articulés, chaque ganglion constitue un petit centre où aboutissent des sensations et d'où partent des influences motrices, de telle sorte que la division de l'animal en deux moitiés, par exemple, permet encore à celles-ci de vivre comme le faisait l'animal tout entier : c'est effectivement ce qui arrive chez les naïdes, les lombrics, d'après les observations de Trembley, de Bonnet, de Réaumur. Il n'en est plus de même chez la plupart des articulés et des mollusques dont les ganglions céphaliques acquièrent des proportions relatives considérables; néanmoins la centralisation nerveuse de ces auimaux n'est pas telle que l'ablation du collier œsophagien détermine immédiatement la mort. Dans les vertébrés, l'action nerveuse se concentre de plus en plus, et la dépendance qui existe entre ses divers éléments devient de plus en plus intime; mais il y a encore, sous ce rapport, une grande distance entre le reptile et le mammifère : la salamandre, par exemple, peut survivre des mois entiers à la décapitation, tandis qu'un animal à sang chaud meurt immédiatement après la destruction de la moelle allongée, bien que l'encéphale et la moelle épinière soient intacts.

La seconde des grandes lois de l'innervation peut être ainsi formulée : l'influence nerveuse est d'autant moins centralisée que l'animal est plus jeune ou moins avancé dans son développement.

Le fœtus se forme sans qu'il ait un système nerveux achevé; il arrive même à son complet développement, bien que quelquefois, ainsi que les acéphales le prouvent, le cerveau manque complétement ou n'existe qu'à l'état de vestige. Tous. les expérimentateurs ont remarqué que les jeunes animaux survivent plus aux mutilations des centres nerveux que les sujets adultes. J'ai décapité à la fois six jeunes rats qui n'avaient point encore la peau recouverte de poils; ils ont exécuté des mouvements spontanés pendant 20, 25, 30 minutes après l'opération; des sujets adultes, soumis par comparaison à la même expérience, n'exécutaient plus aucun mouvement au bout de 40 à 50 secondes.

Une troisième loi est que l'influence nerveuse ne tient pas toutes les fonctions dans une dépendance également intime.

Celles qui en dépendent le plus immédiatement sont les sensations, la locomotion et toutes les autres fonctions de relation. Il suffit du moindre trouble apporté dans l'action des centres pour que les sensations, les mouvements, soient per

vertis ou mis dans l'impossibilité de s'effectuer. Les fonctions de la vie organique y sont moins directement soumises : le mouvement nutritif, les sécrétions, l'absorption, continuent même un certain temps après que le centre cérébro-spinal a cessé d'agir. Toutefois plusieurs d'entre elles sont vivement impressionnées par les causes qui agissent sur le cerveau; et, pour n'en citer qu'un seul exemple, voyez les battements du cœur se précipiter, la digestion se suspendre, la peau se couvrir de sueur par suite d'une émotion subite, d'une passion violente, etc. Mais ici il faut tenir compte de l'intervention du système ganglionnaire, dont l'influence moins sensible modifie celle du cérébro-spinal.

Une quatrième loi est que l'influence nerveuse varie suivant les individus et les diverses conditions dans lesquelles ils peuvent se trouver.

Les principales variations sous ce rapport tiennent à l'état de veille ou de somneil, de santé ou de maladie, d'activité, d'engourdissement ou d'hibernation : nous les indiquerons à leur place quand l'occasion s'en présentera.

Maintenant faut-il se demander par quelle force, quel agent, le système nerveux effectue ses merveilleuses actions sensitives et motrices. La question n'est pas moins insoluble aujourd'hui que par le passé, quoiqu'elle ait fait l'objet de nombreuses études de la part des physiologistes et des physiciens.

Les anciens, comme on le sait, s'imaginaient rendre compte des actions nerveuses en admettant des esprits animaux, ou des fluides subtils qui circulaient dans les nerfs et dans les centres nerveux. Mais ces fluides subtils, dont les particules pouvaient se mouvoir avec célérité pour mettre en jeu les muscles, ne rendent pas les explications plus faciles. Boerhaave (1) peut bien nous les représenter comme passant continuellement de l'encéphale dans de fins canalicules des fibres nerveuses, progressant d'un mouvement égal et régulier par le fait de l'impulsion du cœur, revenant se mêler au sang pour être remplacés par de nouvelles quantités : il ne nous donne aucune lumière sur le mécanisme de la plus simple action nerveuse. D'autre part, les expérimentateurs modernes, à compter des découvertes de Galvani, ne réussissent point à établir que la force nerveuse est une force électrique, et, à supposer qu'ils arrivent à les assimiler l'une à l'autre, on ne verrait guère comment l'électricité engendre la sensibilité, le mouvement avec tous les actes qui dépendent de l'instinct et de l'intelligence.

Il serait toutefois intéressant de savoir si, réellement, il se développe de l'électricité dans les organes nerveux, et si des courants de ce fluide parcourent les nerfs.

Or, MM. Prévost et Dumas n'ont pas constaté de courants dans la moelle, ni dans les nerfs vagues ou les sciatiques, en appliquant à ces organes les fils du galvanomètre. Person, puis Matteucci et M. Longet (2), en opérant sur les sciatiques du cheval lors de la contraction musculaire, n'y ont pas non plus observé d'indices de courants électriques.

Cependant du Bois-Reymond, qui s'est servi de galvanomètres extrêmement sensibles, est arrivé, en opérant sur des tronçons de nerfs, à constater un courant

(1) Hermann Boerhaave, Institutions de médecine, édit. de la Mettrie, t. III, § 284 et suiv. (2) Longet, Traité de physiologie, t. III, p. 276-277. Paris, 1869,

lorsqu'un électrode était appliqué à la face externe du nerf et l'autre sur la section; il a vu ce courant électro-moteur se produire dans toutes les espèces de nerfs et dans la moelle épinière. Mais, en admettant même leur existence, il n'est pas certain que l'action nerveuse soit produite par ces courants; ils peuvent en être un résultat ou même n'avoir rien de commun avec elle.

Ce qui tend à en affaiblir singulièrement la signification, c'est que les courants passent à travers une section, pourvu que les bouts du nerf se touchent, qu'ils se manifestent encore dans des nerfs écrasés ou altérés à la suite d'une section de date ancienne, alors qu'ils sont devenus impropres à fonctionner physiologiquement. D'ailleurs, on obtient des courants semblables, comme Matteucci l'a fait voir, en agissant sur des disques ou des segments de muscles superposés à la façon des éléments d'une pile.

Les courants électriques qu'on fait passer par les nerfs ne se comportent point comme les courants nerveux; ils se propagent à travers les ligatures, se transmettent par le névrilème comme par le nerf même, s'échappent souvent latéralement dans les muscles, tandis que les courants nerveux sont arrêtés par les liens, exclusivement transmis par les filets nerveux qu'ils ne quittent point, etc. En outre, la marche de l'influx nerveux, des incitations motrices dans les nerfs est lente, elle ne représente, d'après des approximations suffisamment exactes, que quelques mètres par seconde; celle de l'électricité est, comme on sait, de milliers de lieues dans le même temps.

Si quelquefois l'électricité transmise aux nerfs semble rétablir leurs fonctions, c'est parce qu'elle les stimule, et alors elle ne fait pas plus, à l'intensité près, que les incitations mécaniques ou chimiques.

Enfin, le dégagement de l'électricité par certains poissons, notamment la torpille, ne conduit nullement à assimiler le fluide électrique à ce qu'on pourrait appeler le fluide nerveux. Ces poissons ont un appareil spécial pour produire l'électricité, et cet appareil fonctionne, comme tous les autres, sous l'influence du système nerveux. La section ou la ligature de ses nerfs empêche ses décharges; l'électricité y est produite par l'appareil même, et non envoyée par les centres nerveux, car les nerfs de l'appareil électrique n'ont offert à Matteucci aucun indice de cou

rant.

Nous sommes évidemment ici en présence d'une inconnue; les propriétés inhé. rentes au système nerveux, la sensibilité, la motricité et les autres sont mystérieuses dans leur essence. Si nous ne pouvons en reconnaître la cause, la nature, cherchons à en bien constater les caractères et les effets.

CHAPITRE II

FONCTIONS DE L'ENCÉPHALE

Les parties essentielles du système nerveux central, renfermées dans le crâne, constituent l'encéphale. Ce sont les hémisphères cérébraux, le cervelet, le mésocéphale et le bulbe rachidien (fig. 1), dont il faut déterminer les propriétés et les fonctions. Quoique liées entre elles et composées d'éléments semblables, elles ont

chacune leur forme, leurs particularités de structure, comme aussi leurs propriétés et leur rôle. Il en est d'insensibles, d'autres d'une sensibilité exquise, d'excitables et de non excitables. Elles se partagent le travail complexe de l'intelligence, de la volonté, de la motricité, des sensations et des perceptions diverses. Le grand problème physiologique qui se pose ici est de préciser la fonction de chaque partie, d'après les données de l'anatomie comparée, de l'expérimentation et des faits pathologiques.

Pour procéder suivant l'ordre le plus naturel, il faudrait partir de la moelle allongée qui est la partie centrale la plus importante, puis passer au cervelet et au cerveau qui semblent en former des expansions. Cependant, pour rendre peut-être l'exposition des fonctions encéphaliques plus simple, on peut commencer par le cerveau pour descendre progressivement sans interruption jusqu'à la moelle épinière et aux nerfs. C'est dans le dédale des actions nerveuses la voie qui nous paraît la plus directe et la plus facile à suivre.

DU CERVEAU OU DES HEMISPHERES CÉRÉBRAUX.

Les hémisphères cérébraux qui, dans l'homme (fig. 2) et les vertébrés supérieurs, représentent la plus grande partie de l'encéphale, forment deux masses plus ou moins arrondies, creusées d'une double cavité ventriculaire et continues à l'isthme par deux pédoncules. Ils sont formés par un amas des deux substances nerveuses, la grise à l'extérieur et la blanche au centre, substances dont les fibres se continuent, en certaines proportions, mais non en totalité, avec celles du mésocéphale et du bulbe, de telle sorte qu'ils ne peuvent être considérés comme une simple expansion. de ce bulbe. Ils semblent se subdiviser en quatre parties distinctes par leurs propriétés et leurs fonctions: 1o les circonvolutions; 2° les corps striés; 3° les couches optiques; 4° les pédoncules. Avant de les décomposer ainsi, il convient d'en examiner en bloc les propriétés.

Les anciens, Aristote et Galien, instruits probablement par quelques observations pathologiques, et peut-être déjà par quelques expériences, croyaient le cerveau insensible. Lorry, M. Flourens (1) et M. Longet (2) ont établi scientifiquement, par des expériences exactes, le fait de l'insensibilité de la substance cérébrale. Ils ont vu, et la plupart des expérimentateurs ont constaté comme eux, que le cerveau peut être touché, piqué, incisé, cautérisé, enlevé même, couche par couche, sans que l'animal paraisse en éprouver une douleur marquée. Il m'est arrivé souvent, pour vérifier ce fait, de mettre à découvert le cerveau du cheval dans une assez grande étendue, puis d'appliquer sur les circonvolutions un pinceau imprégné d'acide azotique, d'y enfoncer ensuite à plusieurs reprises une aiguille, un stylet ou un autre instrument tranchant, dans diverses directions et à diverses profondeurs, et enfin d'enlever des couches de substance cérébrale sans que l'animal

(1) Flourens, Recherches expérimentales sur les fonctions du système nerveux, 2o édition, P. 18. (2) Longet, Anatomie et physiologie du système nerveux. Paris, 1842, et Traité de physiologie, 3e édit., t. III.

parût en éprouver la moindre douleur, sans qu'il fit le moindre effort pour se soustraire à ces actions mécaniques. Il en a été de même, le plus souvent, lorsque A

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(") A, couche olfactive; 1, racine interne de la couche olfactive; 2, racine externe de cette conche; B, chiasma des nerfs optiques; C, nerf oculo-moteur commun; D, nerf oculo moteur interne; E, trifacial; F, oculo-moteur externe; G, facial; H, nerf acoustique; I, glosso-pharyngien; J, pneumogastrique; K, accessoire de Willis; L, bypoglosse; N, glande pituitaire; 0, un des pédoncules cérébraux; P, protubérance annulaire; Q, moelle allongée,

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