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serve sur les animaux tués lorsqu'ils digèrent plus ou moins activement. Les parties antérieures, ayant continué à se contracter encore après la mort, ont poussé vers l'iléon ce qu'elles contenaient; et une fois à peu près vides, elles se sont disposées en cordon plus ou moins régulier ou noueux. Ce résultat constant a été considéré par Girard et d'autres auteurs comme un rétrécissement dérivé des privations et de la faim; mais c'est une erreur. Le rétrécissement d'une partie de l'intestin se dissipe par l'insufflation et par l'accumulation des gaz, dès que la rigidité cadavérique a cessé dans les viscères contractiles de l'abdomen.

Leur énergie n'est pas la même dans tous les animaux : elles ont une grande puissance chez les carnivores, dont la tunique musculeuse de l'intestin est trèsépaisse; aussi peuvent-elles, par moments, resserrer l'intestin, soit par places, soit dans son ensemble, au point de lui donner l'aspect funiculaire. Elles sont faibles chez les herbivores, qui ont, en général, les parois intestinales minces.

Il est à noter que la dernière partie de l'intestin grêle, chez les solipèdes, longue d'un mètre à un mètre et demi, est constamment contractée après la mort et à peu près vide. Celle-ci joue un rôle important relativement à la progression des aliments et à leur passage dans le gros intestin.

On conçoit, pour peu qu'on y réfléchisse, que le transport des matières alimentaires de l'estomac dans le gros intestin doit être assez ralenti pour que la bile, le suc pancréatique et le suc intestinal, aient le temps d'agir sur elles, et les villosités celui d'absorber les principes assimilables. Le but ne serait pas atteint si les mouvements péristaltiques étaient simplement ralentis; car il est indispensable que les matières soient sans cesse agitées et soumises vingt fois au contact des surfaces absorbantes; mais il l'est par le fait du rhythme des contractions intestinales, qui font osciller les aliments du duodénum vers l'iléon, et de l'iléon vers le duodénum ou plutôt d'une anse vers une autre. Les aliments, arrivés vers la dernière portion de l'intestin grèle, ne peuvent aisément passer dans le cæcum; car l'iléon, qui a un faible diamètre, des parois fort épaisses et presque toujours contractées, leur oppose une barrière puissante. Cet iléon, comparable pour l'épaisseur des parois et les contractions énergiques, à l'extrémité inférieure de l'œsophage des solipèdes, empêche évidemment tout le contenu de l'intestin grêle de passer dans le cæcum quand l'animal boit une grande quantité d'eau; il le pousse lentement dans le gros intestin lorsque le jéjunum est suffisamment distendu. Une particularité si remarquable n'est pourtant pas générale; elle manque aux ruminants, dont les aliments n'arrivent dans l'intestin grêle qu'en très-petites portions à la fois.

Les contractions de l'intestin grêle donnent lieu quelquefois à ce qu'on appelle l'invagination: une portion contractée ou très-rétrécie s'engage en dedans de la portion suivante, qui se trouve dilatée. Haller (1) eut l'occasion d'en voir une se produire sur un lapin dont l'abdomen était ouvert. On en trouve assez souvent plusieurs placées à une certaine distance les unes des autres chez les jeunes chiens. J'en ai observé quatre sur le trajet de l'intestin grêle d'un jeune singe. Peut-être ces invaginations sontelles très-fréquentes et disparaissent-elles souvent sans grandes difficultés. Le vol

(1) Mémoires sur la nature sensible, et irrit, des part. du corps, etc., t. I, p. 334.

ulus, qui n'est pas rare chez le cheval, paraît se lier à la disposition de l'intestin grêle et au resserrement de la dernière portion. J'en ai vu un, avec M. Bouley, lans lequel les dernières anses de l'intestin grêle s'étaient enroulées plusieurs fois autour de l'iléon contracté, de même qu'on le fait aisément sur le cadavre. On concoit le mécanisme de ce déplacement en se rappelant qu'à la suite de l'ingestion l'une grande quantité d'eau froide, celle-ci arrive bientôt jusqu'à l'iléon qui, par son resserrement, lui ferme l'entrée du cæcum. Alors la dernière anse, distendue et redressée par le liquide que chassent les contractions des parties antérieures, se renverse par son propre poids et se tord sur l'iléon, pour peu qu'elle soit sur un plan supérieur à celui-ci.

Les matières alimentaires et les boissons cheminent assez rapidement dans l'intestin grêle, car il suffit de cinq à quinze minutes pour qu'une partie des liquides qui sortent de l'estomac parcourent tout le trajet qui sépare le réservoir gastrique du cæcum. Ce trajet a cela de remarquable, chez les solipèdes, que les deux extrémités de l'intestin grêle se trouvent à un niveau plus élevé que la partie moyenne de cet organe, l'une étant fixée sous les piliers du diaphragme, et l'autre sous le rein droit, à l'arc du cæcum. Aussi les matières alimentaires doivent-elles suivre, dans l'ensemble de leur progression, d'abord une marche descendante, puis une marche ascendante.

Une fois que les matières alimentaires sont arrivées dans le cæcum, elles y séjournent plus ou moins, et n'en sortent que difficilement, par petites portions chez certains animaux, tandis qu'elles passent librement de là dans le côlon chez la plupart mais jamais elles ne refluent dans l'intestin grêle.

Ce cæcum, parfaitement circonscrit chez le cheval et les autres solipèdes, y présente un grand nombre de bosselures séparées par des plis transversaux. Sa pointe ou son fond descend vers l'appendice abdominal du sternum, et ses deux orifices, tout à fait supérieurs, se trouvent fort rapprochés de la colonne vertébrale; aussi les aliments et les liquides qu'il reçoit tombent-ils vers sa partie déclive, puis remontent, contre leur propre poids, lorsqu'ils passent dans le côlon, tandis que les gaz occupent l'arc ou la région la plus élevée. Les matières délayées, qui y sont tenues en dépôt, ne peuvent refluer dans l'intestin grêle, par suite de l'obstacle qu'oppose le prolongement saillant de l'iléon, si développé chez le porc et découpé en deux petites lèvres dans certaines espèces. Elles ne passent qu'avec lenteur et en très-petite quantité dans le côlon replié, en raison de la disposition singulière de l'orifice qui fait communiquer entre elles ces deux sections du gros intestin, orifice étroit, sinueux, courbé sur lui-même et à parois plissées. Dès qu'elles y acquièrent une grande consistance et qu'elles s'y dessèchent, elles ne franchissent plus ce détroit. Aussi le cæcum ne peut-il se désobstruer dans certaines indigestions, surtout lorsqu'il contient 30 à 40 kilogrammes d'aliments tassés et moulés dans ses cellules, comme M. Bouley me l'a fait voir il y a longtemps, sur deux chevaux morts à la suite de violentes coliques.

Le contenu du cæcum passe dans le côlon, soit lorsque le premier réservoir est trop plein, soit lorsque les parois de celui-ci se contractent de la pointe vers l'arc, c'est-à-dire de la partie déclive vers la plus élevée. Ces contractions, qui paroissent faibles sur l'animal dont l'abdomen est ouvert, doivent cependant jouir d'une énergie

considérable, puisqu'elles font remonter dans le côlon les balles de plomb, les billes de marbre assez lourdes qu'on fait avaler au cheval. Peut-être ne sont-elles pas étrangères au développement de cette invagination par laquelle la pointe de l'organe remonte dans l'arc et vient sortir dans le côlon replié.

La disposition si remarquable du cæcum des solipèdes n'est pas fort commune parmi les mammifères : elle se rapproche beaucoup de celle du cæcum du lièvre, du lapin et de plusieurs pachydermes; mais elle n'a plus rien de commun avec celle qu'on observe chez les ruminants et les carnivores, car chez ceux-ci le cæcum est cylindrique, sans replis, sans bosselures ni bandes longitudinales; et il n'y est séparé du côlon par aucun étranglement qui puisse empêcher les matières alimentaires de passer aisément de l'un daus l'autre. D'ailleurs chez les ruminants et les carnassiers il est réduit à un rôle d'une minime importance.

Les aliments, une fois arrivés dans le côlon, s'y accumulent en grande quantité, surtout chez les vieux chevaux et les animaux qui digèrent mal. Ils sont encore très-délayés dans les premières sections, depuis le cæcum jusqu'à la courbure sussternale et de celle-ci à la courbure pelvienne; mais ils prennent de la consistance à mesure qu'ils se rapprochent du côlon flottant. Leur marche est favorisée, au lieu d'être ralentie, par les plis appelés improprement valvules conniventes, valvules qui divisent la masse, l'ébranlent portion par portion, par un mécanisme analogue à celui des palettes d'une roue hydraulique. Le ralentissement de cette progression tient à l'étendue du trajet que les matières parcourent, puis au rétrécissement de la courbure pelvienne, et de l'origine du côlon flottant, dans lequel elles ne parviennent qu'après avoir été privées d'une forte proportion de leur véhicule aqueux. Elles s'arrêtent même au niveau des rétrécissements si elles sont sèches; elles s'y durcissent et forment les pelotes stercorales qui occasionnent si fréquemment des coliques graves ou mortelles; mais ce n'est pas dans ces points que séjournent ces calculs énormes dont le poids s'élève jusqu'à 8 à 10 kilogrammes, sans que leur présence soit incompatible avec l'entretien régulier des fonctions digestives.

Les contractions du gros intestin n'ont pas la vivacité qui appartient à celles de l'intestin grêle; cependant leur énergie est quelquefois très-considérable. On les voit très-bien sur un animal tué depuis quelques minutes et dont l'intestin est étalé hors de la cavité abdominale. On les voit de même sur un animal vivant dont le côlon modérément lesté est mis à découvert. Dès que l'impression de l'air s'est fait sentir depuis quelques instants, les contractions, auparavant très-faibles, prennent une vivacité graduellement croissante. Les bosselures se changent en dépressions, les dépressions deviennent des bosselures, suivant une succession souvent assez rapide. Le côlon, dans ses parties déjà rétrécies, se resserre et se dilate tour à tour, au point que, par moments, la courbure pelvienne arrive à n'avoir plus que e tiers de son diamètre normal.

Ces contractions, d'autant plus sensibles que l'intestin est moins distendu, ont besoin d'une grande énergie pour faire progresser des masses énormes d'aliments, et souvent contre les lois de la pesanteur, comme de la courbure sus-sternale à la courbure pelvienne, et de la courbure diaphragmatique à la naissance du côlon flottant. Les fibres circulaires qui les déterminent prennent des points d'appui sur les fortes bandes longitudinales dont l'usage essentiel est, comme l'avait remarqué

Galien, de donner de la solidité aux parois intestinales. Quant à ces rubans euxmêmes, ils ne paraissent pas se contracter sur le côlon replié et le cæcum, mais leur contraction devient parfois sensible sur le côlon flottant, où ils sont très-évidemment et exclusivement de nature musculaire.

Les matières parvenues dans le côlon flottant ont cédé aux absorbants une grande partie des liquides qui les imprégnaient. A mesure qu'elles cheminent dans cette dernière section du tube digestif, elles acquièrent une plus grande consistance. Les valvules conniventes divisent la masse en petites pelotes qui se tassent progressivement et se recouvrent d'une légère couche de mucus. En passant d'une cellule dans la cellule suivante, chaque pelote conserve sa forme et son volume, sans jamais se réunir avec celles qui l'avoisinent. Elles s'entassent dans le rectum en quantité plus ou moins considérable, jusqu'au moment de leur élimination.

Chez un grand nombre d'animaux, le côlon, au lieu d'offrir la disposition si remarquable qui appartient aux solipèdes, aux pachydermes et à quelques rongeurs, conserve l'aspect de l'intestin grêle. Il n'a dans les ruminants et les carnassiers, par exemple, ni dilatations ni resserrements alternatifs; il y est dépourvu de bosselures, de valvules, de bandes longitudinales. Cependant les matières stercorales s'y rassemblent en petites pelotes, comme on le voit chez le mouton, la chèvre, le dromadaire, le lièvre, le lapin, etc. Ce résultat, dont la cause ne réside point dans une disposition anatomique, tient au mode spécial de contraction des dernières parties du gros intestin qui s'étranglent de distance en distance, de manière à prendre l'aspect moniliforme d'une corde noueusc. Les pelotes, souvent assez espacées, peuvent s'amasser dans le rectum sans se confondre les unes avec les autres.

Chez les carnivores dont le côlon est extrêmement court, ce mode de contrac tion ne s'observe pas. Le gros intestin reste dilaté uniformément. Les excréments, s'ils sont consistants, s'y moulent sous la forme d'un cylindre, que coupent en plusieurs segments les contractions du sphincter.

Les matières stercorales, lorsqu'elles se sont entassées dans le rectum, font naître une sensation spéciale qui exprime le besoin de la défécation. Le sphincter de l'anus, jusqu'alors resserré, sans l'intervention de la volonté, se relâche volontairement; le rectum se contracte d'avant en arrière; le diaphragme et les muscles abdominaux viennent an secours du dernier segment intestinal, dont l'action isolée resterait le plus souvent impuissante, bien qu'elle ne manque pas d'énergie, car Haller, Legallois et d'autres l'ont vue chez le chien suffire à l'expulsion des fèces, pendant que l'abdomen était ouvert. Il est à noter que souvent cette évacuation a lieu sans que le rectum soit rempli sur toute sa longueur. On voit, en effet, assez fréquemment chez le bœuf, au moment où l'anus s'ouvre, les matières venir de loin et remplir bientôt les parties postérieures de cet intestin momentanément dilatées.

Les matières alimentaires, pour traverser toutes les sections du tube digestif, c'est-à-dire pour parcourir, chez le cheval, un trajet moyen de 30 mètres, chez le mouton, de 32 mètres, et chez le bœuf, de 56 mètres, n'emploient pas un temps bien considérable. Nous avons vu, en effet, que les petits tubes, les boules creuses, que Réaumur et Spallanzani faisaient avaler à des moutons, étaient quelquefois rendus avec les excréments, trente, trente-trois heures après leur ingestion, et pourPhysiol. comp., 2e édit.

G. COLIN.

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tant ces corps étrangers avaient probablement séjourné plus que les aliments dans les compartiments gastriques. Les petits sachets, les masses de chair, les boules de verre, les billes de marbre, que je faisais avaler à des chevaux, étaient rendus avec les matières stercorales, de la vingt-deuxième à la trentième heure, rarement au bout d'une période plus longue.

Le travail de la digestion est maintenant achevé. Tous les actes si variés de cette importante fonction n'étaient destinés, en définitive, qu'à préparer les matières alimentaires à céder aux absorbants une partie de leurs principes assimilables. Par l'analyse rapide que nous venons d'en faire, on a pu voir combien d'opérations combinées étaient nécessaires pour arriver à un tel résultat. Il a fallu aux animaux des instincts pour les guider dans la recherche et le choix de leurs aliments, des sensations pour les avertir du besoin d'en prendre, pour régler la mesure suivant laquelle ils doivent en user, et en apprécier les diverses qualités; il a fallu l'action d'organes spéciaux pour saisir l'aliment, celle d'autres organes pour le diviser et le broyer, l'imprégner de salive et l'amener dans les réservoirs gastriques ou intestinaux; il a fallu enfin les produits de nombreuses glandes pour l'élaborer, une immense surface pour en saisir les principes nutritifs, des expansions contractiles pour le mettre en mouvement et en expulser les résidus.

Nous avons vu avec quelle harmonie ces actions s'accomplissent simultanément ou successivement. Nous avons fait la part des forces vitales et des forces chimiques dans ces opérations complexes qui transforment la substance étrangère en matière organisée. Les puissances vitales ont présidé au travail dans son ensemble et dans tous ses détails; elles ont déterminé les conditions dans lesquelles les autres pouvaient agir; elles ont donné aux sensations leur caractère, aux sécrétions leur cachet spécial, aux mouvements leur rhythme si bien coordonné. Dès que les sucs modificateurs ont été versés, et que ces réactifs ont été mis en contact avec l'aliment, il s'est transformé mieux qu'il ne l'aurait fait dans un réservoir inerte, car ses transformations s'effectuent dans un appareil admirablement organisé, sorte de vaisseau qui se meut de lui-même, reçoit et garde les matières à élaborer, produit les fluides dissolvants, absorbe les principes réparateurs, et expulse les résidus; vaisseau servant d'atelier mystérieux où les puissances chimiques travaillent silencieusement sous la direction des forces, d'ordre supérieur, qui président aux actions digestives comme à toutes les autres fonctions de l'économie animale.

FIN DU TOME PREMIER.

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