Page images
PDF
EPUB

La digestion gastrique, si elle est assez lente chez les carnivores, s'y effectue, pour ainsi dire, par la seule intervention du suc dissolvant. Les aliments ont été à peine divisés et traversés de quelques coups de dents, car on sait que le chien avale sans les mâcher des morceaux de chair énormes. Ces aliments. n'ont pas été sensiblement imprégnés de salive; leur surface a été enduite de mucosités pour en faciliter la déglutition; enfin, ils ne sont point habituellement baignés de liquides, car ces animaux boivent très-peu. Mais une fois la chymification opérée, les phénomènes essentiels du travail digestif sont accomplis; les principes azotés, la fibrine, l'albumine, etc., sont aptes à être absorbés dès qu'ils arrivent dans l'intestin. Il n'en sera point de même, à beaucoup près, pour les animaux · herbivores chez lesquels nous verrons l'aliment, sorti de l'estomac, éprouver de profondes élaborations dans les diverses parties d'un immense intestin.

La digestion des boissons, ou, si l'on veut, leur passage de l'estomac à l'intestin, se fait bien plus lentement chez les carnivores que chez les herbivores monogastriques. Ainsi, un premier chien à jeun, auquel j'avais fait avaler 60 grammes d'eau tenant en dissolution un peu de cyanure de fer, avait encore, au bout d'une demiheure, la plus grande partie du liquide dans l'estomac, mais une petite quantité s'en était répandue déjà dans toute la longueur de l'intestin grêle et même dans le côlon; sur un autre, également à jeun, l'eau était encore, au bout d'une heure, en grande partie dans l'estomac, sauf quelques faibles portions déjà versées dans la moitié antérieure de l'intestin grêle. Lorsque ces liquides ont été injectés par l'œsophage, comme dans les expériences de toxicologie, ils sortent moins vite encore, car les contractions antipéristaltiques de l'estomac tendent à les retenir dans le viscère, même à y ramener ceux qui ont pu franchir le pylore. Ainsi, par exemple, dans une expérience de ce genre, 400 grammes d'eau chargée d'iodure de potassium, se retrouvaient au bout de deux heures presque intégralement dans le ventricule; le duodénum seul en avait reçu quelques minces filets, et non les portions suivantes qui étaient fortement resserrées; du reste, sur les animaux à jeun, les liquides ingérés ne passent que fort lentement dans l'intestin grêle et leur absorption en est très-retardée, particularité dont il faut se souvenir en thérapeutique. S'ils sont en très-petite quantité, ils séjournent dans le sac gauche et non dans le droit, comme chez les solipèdes.

Chez les omnivores nourris de viande, la digestion gastrique offre une physionomie analogue à celle des carnassiers; elle y est aussi très-lente, mais moins complète. Un porc auquel j'avais donné 1 kilogramme de viande crue, en conservait encore 600 grammes au bout de six heures, et il en avait dans l'intestin grêle des morceaux de 1 à 2 centimètres de longueur au milieu de la pulpe. Un autre qui en avait reçu 3 kilogrammes avec un litre d'eau, n'en avait digéré que 300 dans la même période de six heures. Les 2700 qui restaient nageaient au milieu de 8 décilitres d'eau ou de bouillie très-claire. Si le porc reçoit de très-fortes rations de viande, il la digère fort mal, et par conséquent n'en tire que peu de profit.

Il ne se développe pas habituellement, pendant la digestion gastrique des carnivores, d'infusoires analogues à ceux de l'estomac de divers autres animaux, cependant on y voit fréquemment des bactéries et des monades. J'en ai trouvé, par exemple, trois heures après un repas composé de pain, de haricots et de viande cuite,

et des quantités prodigieuses, en été, sur des chiens qui avaient mangé de la viande faisandée les bactéries étaient longues et analogues à celles du sang charbonneur Ainsi, les actions digestives les plus importantes chez les carnassiers se passen dans l'estomac. Cet organe, d'une grande capacité et d'une vaste surface, verse sur l'aliment, par toute l'étendue de sa muqueuse, une grande quantité de suc gastrique. Son orifice pyloriqué, étroit et dans une constriction presque complète retient longtemps les matières alimentaires et ne les laisse passer qu'après une dissolution plus ou moins parfaite. L'estomac du carnivore, investi d'une telle préémi nence, devient encore le siége d'une absorption très-active et jouit d'une sensibilite remarquable que prouvent assez les vomissements provoqués avec tant de facilite par les aliments indigestes, les corps étrangers ou les substances irritantes.

[blocks in formation]

Il suffit de jeter un coup d'œil sur la disposition générale de l'appareil digestil des solipèdes, pour voir que les phénomènes si nombreux des fonctions qu'il remplit doivent offrir des modifications profondes, plus difficiles à analyser que celles qui caractérisent la digestion des carnassiers.

La simplicité et la petitesse de l'estomac de ces animaux, l'énorme développement de leur cæcum, la vaste capacité de leur côlon bosselé et pourvu de nombreux replis valvulaires, sont des particularités qui se retrouvent, avec quelques variantes, chez plusieurs autres herbivores. Parmi les pachydermes, l'éléphant s'éloigne peu de ce type; et parmi les rongeurs, le lièvre et le lapin, avec leur estomac uniloculaire, leur cæcum monstrueux, pourvu de glandes et d'une valvule spéciale, leur côlon bosselé et parcouru par des bandes longitudinales; enfin, la marmotte et le cochon d'Inde, dont le tube gastro-intestinal est construit sur un plan analogue, peuvent être considérés comme formant un groupe très-naturel sous le rapport physiologique. L'identité de régime, l'uniformité de structure de l'appareil digestif, doivent inévitablement entraîner une similitude fonctionnelle que les recherches des expérimentateurs peuvent démontrer..

La digestion des solipèdes tire sa physionomie: 1° de la lenteur de la manducation; 2o de la rapidité du travail de l'estomac effectué, en grande partie et d'une manière à peu près continue, pendant le repas; 3o de la rapidité du passage des liquides dans l'intestin et de leur dépôt dans le réservoir cæcal; 4o enfin du durcissement et de la forme pelotonnée des résidus alimentaires dans les parties postérieures du gros intestin.

La mastication, qui était presque insignifiante chez les carnivores, où elle n'avait guère pour but que de fractionner la proie et d'en rendre les parties aptes à être déglutics, devient ici, comme pour tous les herbivores, un acte de première importance. L'herbe, le foin, la paille, le grain, ne peuvent se digérer qu'après une division, une trituration très-complète. C'est qu'en effet chaque partie du végétal a une enveloppe épidermique qui n'est point endosmotique, et qui rend inaccessibles aux sucs digestifs les parties solubles. Cette enveloppe qui, pendant la vie, protége les parties contre l'action de l'humidité et des divers agents atmos

[ocr errors]

phériques, empêche la salive, le suc gastrique d'arriver aux fibres, aux cellules, aux méats où se trouvent emprisonnées les substances nutritives. L'accès de ces matières solubles, légumine, gluten, amidon, sucre, etc., est rendu difficile par l'incrustation du ligneux, de la cellulose, dans les parois utriculaires ou fibreuses. Si toutes les parties végétales ne sont fractionnées, fissurées, percées dans tous les sens, les sucs dissolvants ne peuvent parvenir aux matières nutritives, ni les dégager de leur gangue aussi quand le carnassier avale l'herbe ou les grains, il les rend indigérés. L'herbivore ne les digère pas sensiblement, si ses mâchoires ne sont plus aptes au broiement, ou si les grains, par leur petitesse, échappent à l'action de ces organes. Alors, au microscope, les petites parties végétales se voient intactes, et la graine est si peu altérée, qu'elle n'a point perdu, en traversant le tube intestinal, sa faculté germinative.

Cette mastication, si nécessaire à l'herbivore, est lente et parfaite chez les solipèdes. Leurs molaires à larges tables, hérissées de saillies transverses, broient parfaitement, mais en définitive moins bien que chez les rongeurs et chez les ruminants lors de la trituration mérycique. Quoiqu'elles aient une puissance énorme, elles broient peu d'aliments en un temps donné.

Le cheval ne peut, d'ordinaire, manger 2500 grammes de foin en moins d'une henre, et il ne les mange souvent qu'en une heure et demie, et même en deux, si ses dents sont unies ou irrégulières. Il lui faut, au minimum, vingt minutes, terme moyen trente minutes et quelquefois une heure, pour manger la même quantité d'avoine. Il fait de cette quantité de foin 200 bols, et de 40 à 90 bols d'avoine. Les bols de foin chargés de 4 équivalents en poids de salive pèsent 12 500; les bols d'avoine chargés de l'équivalent et quart de ce liquide pèsent environ 5400 grammes. C'est à cause de l'importance de la mastication des fourrages qu'on a cherché à faciliter cet acte souvent imparfait par une division préalable, opérée à l'aide du hache-paille, du concasseur et d'autres instruments; mais cette division préliminaire n'a pas d'effets sensibles chez les animaux adultes dont le système dentaire fonctionne régulièrement; et elle est insuffisante pour ceux dont les dents sont lisses, irrégulières ou usées. Il résulte d'expériences (1) que j'ai faites, il y a quelques années, que le hachage des fourrages, le concassage, l'aplatissement des grains, n'ont pas d'influence bien sensible sur leur digestion, chez les chevaux, dans les conditions ordinaires. Ces opérations coupent les tiges ou brisent les grains en parcelles dont le volume est énorme relativement à celui des parcelles qui résultent de la mastication; elles ne peuvent briser irrégulièrement, perforer, fissurer, réduire en fragments ténus comme le font les dents; conséquemment elles ne sont que des préparations à peu près inutiles toutes les fois que l'appareil masticateur fonctionne bien. Aussi, que le fourrage soit intact ou préalablement haché, que l'avoine n'ait subi aucune préparation ou qu'elle ait été aplatie, concassée, l'animal, comme le montre le tableau suivant, met à peu près le même temps à les manger; il les imprègne d'une égale quantité de salive, en fait le même nombre de bols, et ultérieurement les digère avec la même perfection.

(1) G. Colin, Études expérimentales sur les effets et le degré d'utilité de la division et du mélange des aliments, mémoire adressé à la Société d'agriculture le 8 janvier 1862, inséré en partie dans le Recueil de méd, vétérin., 1864, p. 271, 443; et 1865, p. 272.

[merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][ocr errors][merged small][merged small][ocr errors][merged small][merged small][subsumed][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][ocr errors][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][ocr errors][merged small][merged small][merged small][ocr errors][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][ocr errors][merged small][merged small]

L'insalivation, qui jouait un faible rôle chez les carnassiers, est ici, comme la mastication, d'une importance majeure. Elle hydrate l'aliment sec; elle traite ses parties solubles par une masse d'eau égale à quatre fois le poids total de l'aliment; puis elle rend soluble, en la convertissant en dextrine et en sucre, une masse énorme de fécule, 44 centièmes dans le foin, le sucre compris, et 61 centièmes dans l'avoine: elle commence cette transformation dans la bouche, la continue dans l'estomac et l'achève très-activement dans l'intestin.

En raison de la très-grande utilité de ces actes préparatoires, mastication et insalivation, il y a tout avantage à ne point chercher à réduire la durée des repas. La digestion se fait d'autant mieux, chez les solipèdes, que la manducation est plus lente. Aussi le cheval profite-t-il beaucoup plus de la paille jetée dans son râtelier que de celle qu'on associe aux autres aliments; il la mange avec nonchalance, l'insalive parfaitement, en trie les parties fines, les sommités des tiges, les épis avec quelques grains, les herbes adventices, et, à cause de cette lenteur de la manducation, l'aliment arrive en petites quantités à la fois dans l'estomac, y fait un séjour suffisant, sans le dilater outre mesure ni le surcharger.

Les aliments qui arrivent à l'estomac après avoir été bien divisés et imprégnés de salive sont déposés à la petite courbure. Ils poussent devant eux, du côté de la grande, tant à droite qu'à gauche, ceux qui les ont précédés. Comme le viscère est peu ample, d'une capacité moyenne de 15 à 18 litres, il ne peut admettre tout ce qui est consommé en un repas. Lorsque le cheval mange en un repas de deux heures 5 kilogrammes de foin représentant la moitié de la ration diurne, il les imprègne de vingt litres de salive, qui donnent, par conséquent, une masse du poids de 25 kilogrammes capable d'occuper un espace de 28 à 30 décimètres cubes. Or, pendant ce repas, l'estomac a de quoi se remplir trois fois; car, dans les conditions physiologiques, pour bien fonctionner, il ne se distend qu'aux deux tiers de sa capacité maximum, soit dix litres; conséquemment, lorsque après ce laps de deux à trois beures, le cheval finit son repas, l'estomac a dû se vider deux fois pour con

server le tiers de la ration. Les deux premières fournées n'ont donc pu séjourner qu'une heure, à peu près, dans le réservoir gastrique; la dernière seule a, pour passer dans l'intestin, tout le temps qui s'écoule entre les deux repas. En vingt-quatre heures, ces deux repas donnent, comme on le voit, 50 kilogrammes de matières. pouvant remplir cinq à six fois l'estomac.

Si ce cheval entièrement nourri de foin est soumis à un service qui exige un supplément de ration de 5 kilogrammes, c'est bien autre chose: la durée de ses deux repas s'élève à six, sept heures et plus; il doit fournir 60 kilogrammes de salive au lieu de 40; l'estomac a de quoi se remplir neuf fois au lieu de six; partant l'animal ne peut manquer de prendre un ventre énorme, de devenir mou; il ne peut que faire le travail lent d'une ferme.

Mais si, au contraire, la ration supplémentaire du cheval qui travaille lui est donnée en avoine, la substitution a pour conséquence de réduire la durée du repas, la somme de salive, le volume de la masse introduite dans le tube digestif; par suite, les aliments séjournent plus longtemps dans l'estomac et y éprouvent une élaboration plus complète.

Ainsi le cheval qui reçoit, au lieu de 15 kilogrammes de foin, 7500 grammes de fourrage et 3500 gram. d'avoine remplaçant le foin supprimé, fera des repas dont la durée sera abrégée de trois heures, économisera 26 kilogrammes de salive, et son estomac aura trois fournées de moins à recevoir.

La différence serait plus marquée si le foin était entièrement remplacé par l'avoine, 12 kilogrammes du premier par 6 kilogrammes et demi de la seconde. La ration de foin pèserait avec sa salive 60 kilogrammes, et pourrait remplir sept fois et demie l'estomac; la ration équivalente d'avoine insalivée n'en pèserait que 13 et remplirait seulement une fois et demie l'estomac; elle pourrait, par conséquent, y séjourner cinq fois autant que son équivalent de foin.

La faible capacité gastrique a donc pour résultat forcé de réduire la durée de la chymification en raison directe du volume des aliments; elle abrége de beaucoup la digestion des fourrages, mais elle permet aux grains de séjourner dans l'estomac cinq fois plus que ces derniers. Cette inégalité du séjour des aliments dans le viscère est justifiée par les différences de composition qui existent entre les fourrages et les grains.

En effet, le cheval, qui se nourrit de foin de prairie, trouve dans cet aliment 44 centièmes d'amidon, de sucre ou d'autres substances analogues, lesquelles ont été modifiées par l'action de la salive et seront, en grande partie, transformées dans l'intestin; puis 4 centièmes de matières grasses, dont la digestion s'opérera également dans le tube intestinal; enfin 7 centièmes d'albumine, de légumine ou de caséine, de plus des sels et des principes insolubles. Or, ces 7 centièmes de matières azotées sont les seules qui aient besoin d'éprouver l'action du suc gastrique. Par ce que nous savons sur la manière dont ce liquide modifie les substances albuminoïdes, en les attaquant, couche par couche, de l'extérieur à l'intérieur, il est facile de concevoir qu'il opérera sans peine la dilution de ces mêmes matières, puisqu'elles sont en quantités minimes, très-divisées, éparpillées, réduites, si je puis ainsi dire, à l'état moléculaire au milieu d'une masse qui a subi une trituration complète. De même le cheval, nourri de luzerne verte, trouve dans ce fourrage 9 centièmes - Physiol. comp., 2o édit.

G. COLIN.

- 47

1.

[ocr errors]
« PreviousContinue »