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Aux parfums des roses mourantes,
Aux vapeurs des coupes fumantes,
Ils volaient à nous tour à tour,
Et sur leurs ailes nuancées
Égaraient nos molles pensées
Dans les dédales de l'amour!

Mais dans leur insensible pente,
Les jours, qui succédaient aux jours,
Entraînaient comme une eau courante
Et nos songes et nos amours:
Pareil à la fleur fugitive

Qui du front joyeux d'un convive
Tombe avant l'heure du festin,
Ce bonheur que l'ivresse cueille,
De nos fronts tombant feuille à feuille,
Jonchait le lugubre chemin !

Et maintenant sur cet espace
Que nos pas ont déjà quitté,
Retourne-toi; cherchons la trace
De l'amour, de la volupté.
En foulant leurs rives fanées,
Remontons le cours des années,
Tandis qu'un souvenir glacé,
Comme l'astre adouci des ombres,
Éclaire encor de teintes sombres
La scène vide du passé.

Ici, sur la scène du monde
Se leva ton premier soleil.
Regarde quelle nuit profonde
A remplacé ce jour vermeil !

Tout sous les cieux semblait sourire.
La feuille, l'onde, le zéphire

Murmuraient des accords charmants!
Écoute la feuille est flétrie,
Et les vents, sur l'onde tarie,
Rendent de sourds mugissements.

Reconnais-tu ce beau rivage,
Cette mer aux flots argentés

Qui ne fait que bercer l'image
Des bords dans son sein répétés ?
Un nom chéri vole sur l'onde !...
Mais pas une voix qui réponde,
Que le flot grondant sur l'écueil.
Malheureux! quel nom tu prononces !
Ne vois-tu pas parmi ces ronces
Ce nom gravé sur un cercueil ?...

Plus loin, sur la rive où s'épanche
Un fleuve épris de ces coteaux,
Vois-tu ce palais qui se penche

Et jette une ombre au sein des eaux?
Là, sous une forme étrangère,

Un ange exilé de sa sphère

D'un céleste amour l'enflamma.

Pourquoi trembler? quel bruit t'étonne?
Ce n'est qu'une ombre qui frissonne
Aux pas du mortel qu'elle aima.

Hélas! partout où tu repasses,
C'est le deuil, le vide où la mort,
Et rien n'a germé sur nos traces
Que la douleur ou le remord.
Voilà ce cœur où ta tendresse
Sema des fruits que ta vieillesse,
Hélas! ne recueillera pas :
Là l'oubli perdit ta mémoire,

Là l'envie étouffa ta gloire,

Là ta vertu fit des ingrats.

Là l'illusion éclipsée

S'enfuit sous un nuage obscur,
Ici l'espérance lassée

Replia ses ailes d'azur.

Là, sous la douleur qui le glace,
Ton sourire perdit sa grâce,
Ta voix oublia ses concerts;
Tes sens épuisés se plaignirent,
Et tes blonds cheveux se teignirent
Au souffle argenté des hivers.

Ainsi, des rives étrangères,
Quand l'homme, à l'insu des tyrans,
Vers la demeure de ses pères
Porte en secret ses pas errants,
L'ivraie a couvert ses collines,
Son toit sacré pend en ruines,
Dans ses jardins l'onde a tari;
Et sur le seuil qui fut sa joie,
Dans l'ombre un chien féroce aboie
Contre les mains qui l'ont nourri.

Mais ces sens qui s'appesantissent
Et du temps subissent la loi,

Ces yeux, ce cœur qui se ternissent,
Cette ombre enfin, ce n'est pas toi.
Sans regret, au flot des années,
Livre ces dépouilles fanées
Qu'enlève le souffle des jours :
Comme on jette au courant de l'onde
La feuille aride et vagabonde

Que l'onde entraîne dans son cours!

Ce n'est plus le temps de sourire
A ces roses de peu de jours,
De mêler aux sons de la lyre
Les tendres soupirs des amours;
De semer sur des fonds stériles
Ces vœux, ces projets inutiles,
Par les vents du ciel emportés,
A qui le temps qui nous dévore,
Ne donne pas l'heure d'éclore
Pendant nos rapides étés.

Levons les yeux sur la colline
Où luit l'étoile du matin.
Saluons la splendeur divine
Qui se lève dans le lointain.

Cette clarté pure et féconde

Aux yeux de l'âme éclaire un monde Où la foi monte sans effort.

D'un saint espoir ton cœur palpite;

Ami, pour y voler plus vite,

Prenons les ailes de la mort.

En vain, dans ce désert aride,
Sous nos pas tout s'est effacé,
Viens; où l'éternité réside,
On retrouve jusqu'au passé!
Là sont nos rêves pleins de charmes,
Et nos adieux trempés de larmes,
Nos vœux et nos soupirs perdus!
Là refleuriront nos jeunesses;
Et les objets de nos tristesses
A nos regrets seront rendus!

Ainsi, quand les vents de l'automne
Ont dissipé l'ombre des bois,
L'hirondelle agile abandonne
Le faîte du palais des rois !
Suivant le soleil dans sa course,
Elle remonte vers la source
D'où l'astre nous répand les jours,
Et sur ses pas retrouve encore
Un autre ciel, une autre aurore,
Un autre nid pour ses amours.

Ce roi dont la sainte tristesse
Immortalisa les douleurs,
Vit ainsi sa verte jeunesse
Se renouveler sous ses pleurs.
Sa harpe, à l'ombre de la tombe,
Soupirait comme la colombe
Sous les verts cyprès du Carmel;
Et son cœur, qu'une lampe éclaire,
Résonnait comme un sanctuaire

Où retentit l'hymne éternel.

M. DE LAMARTINE.

Nous aimons à citer, comme complément et peut-être comme correctif de

la pensée de ces vers, les strophes suivantes du Crucifix.

LE CRUCIFIX.

Tu sais, tu sais mourir, et tes larmes divines,
Dans cette nuit terrible où tu prias en vain,
De l'olivier sacré baignèrent les racines
Du soir jusqu'au matin.

De la croix, où ton œil sonda ce grand mystère,
Tu vis ta mère en pleurs et la nature en deuil ;
Tu laissas comme nous tes amis sur la terre,
Et ton corps au cercueil!

Au nom de cette mort, que ma faiblesse obtienne
De rendre sur ton sein ce douloureux soupir :
Quand mon heure viendra, souviens-toi de la tienne,
O toi qui sais mourir!

LOUIS XVII.

I

En ces temps-là, du ciel les portes d'or s'ouvrirent;
Du Saint des Saints ému les feux se découvrirent :
Tous les cieux un moment brillèrent dévoilés ;
Et les élus voyaient, lumineuses phalanges,
Venir une jeune âme entre de jeunes anges
Sous les portiques étoilés.

C'était un bel enfant qui fuyait de la terre;
Son œil bleu du malheur portait le sigue austère;
Ses blonds cheveux flottaient sur ses traits pâlissants;
Et les vierges du ciel, avec des chants de fête,
Aux palmes du martyre unissaient sur sa tête
La couronne des Innocents.

II

On entendit des voix qui disaient dans la nue :

་་

- Jeune ange, Dieu sourit à ta gloire ingénue;

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