Ceux dont le présent est l'idole Ne laissent point de souvenir : Dans un succès vain et frivole Ils ont usé leur avenir. Amants des roses passagères, Ils ont les grâces mensongères Et le sort des rapides fleurs ; Leur plus long règne est d'une aurore Mais le temps rajeunit encore L'antique laurier des neuf sœurs.
Jusques à quand de vils Procustes Viendront-ils au sacré vallon, Souillant ces retraites augustes, Mutiler les fils d'Apollon?
Le croirez-vous, races futures? J'ai vu Zoïle aux mains impures, Zoïle outrager Montesquieu ! Mais quand la Parque inexorable Frappa cet homme irréparable', Nos regrets en firent un dieu.
Quoi! tour à tour dieux et victimes, Le sort fait marcher les talents Entre l'Olympe et les abîmes, Entre la satire et l'encens!
Malheur au mortel qu'on renomme! Vivant, nous blessons le grand homme; Mort, nous tombons à ses genoux. On n'aime que la gloire absente : La mémoire est reconnaissante;
Les yeux sont ingrats et jaloux.
Buffon, dès que, rompant ses voiles, Et fugitive du cercueil,
1 En prose, irréparable ne se dit que des choses: une perte irréparable. Voici, chez des poètes, et même chez des prosateurs, quelques autres exemples de cette même liberté : « Et pourquoi? pour entendre un peuple injurieux ? » Racine. « Il était douteux, inquiet. » La Fontaine. « Aux rois ingrats, aux vastes conquérants. » Beranger. « Le plus grand homme de Rome, et le plus incompatible avec l'injustice. » Bossuet. « Il y a des gens qui sont douleureux partout. » Nicole. « Homme mémorable à jamais. » Hénault,
De ces palais peuplés d'étoiles
Ton âme aura franchi le seuil, Du sein brillant de l'Empyrée Tu verras la France éplorée T'offrir des honneurs immortels, Et le temps, vengeur légitime, De l'envie expier le crime, Et l'enchaîner à tes autels.
Moi, sur cette rive déserte Et de talents et de vertus, Je dirai, soupirant ma perte : Illustre ami, tu ne vis plus! La Nature est veuve et muette; Elle te pleure! et son poëte N'a plus d'elle que des regrets: Ombre divine et tutélaire, Cette lyre qui t'a su plaire,
Je la suspends à tes cyprès '
LES LOUANGES DE LA VIE CHAMPÊTRE.
Désert, aimable solitude,
Séjour du calme et de la paix,
Asile où n'entrèrent jamais Le tumulte et l'inquiétude,
Quoi! j'aurai tant de fois chanté Aux tendres accords de ma lyre Tout ce qu'on souffre sous l'empire De l'amour et de la beauté,
Et plein de la reconnaissance
De tous les biens que tu m'as faits,
Je laisserai dans le silence
Tes agréments et tes bienfaits!
C'est toi qui me rends à moi-même;
Tu calmes mon cœur agité;
Et de ma seule oisiveté
Tu me fais un bonheur extrême.
Du temple où notre Dieu se plaît d'être adoré. » Racire
Quel plaisir de voir les troupeaux, Quand le midi brûle l'herbette, Rangés autour de la houlette, Chercher le frais sous ces ormeaux,
Puis sur le soir à nos musettes Ouïr répondre les coteaux, Et retentir tous nos hameaux
De hautbois et de chansonnettes!
Mais, hélas! ces paisibles jours Coulent avec trop de vitesse; Mon indolence et ma paresse N'en peuvent suspendre le cours.
Déjà la vieillesse s'avance; Et je verrai dans peu la mort Exécuter l'arrêt du sort, Qui m'y livre sans espérance.
Fontenay, lieu délicieux
Où je vis d'abord la lumière, Bientôt au bout de ma carrière, Chez toi je joindrai mes aïeux.
Muses, qui dans ce lieu champêtre Avec soin me fites nourrir,
Beaux arbres, qui m'avez vu naître,
Bientôt vous me verrez mourir!
Cependant du frais de votre ombre Il faut sagement profiter,
Sans regret, prêt à vous quitter Pour ce manoir terrible et sombre
Où de ces arbres dont exprès, Pour un doux et plus long usage, Mes mains ornèrent ce bocage, Nul ne me suivra qu'un cyprès.
Naissez, mes vers, soulagez mes douleurs, Et sans efforts coulez avec mes pleurs.
Voici d'Emma la tombe solitaire; Voici l'asile où dorment ses vertus. Charmante Emma! tu passas sur la terre Comme un éclair qui brille et qui n'est plus. J'ai vu la mort dans une ombre soudaine Envelopper l'aurore de tes jours,
Et tes beaux yeux se fermant pour toujours A la clarté renoncer avec peine.
Naissez, mes vers, soulagez mes douleurs, Et sans effort coulez avec mes pleurs.
Ce jeune essaim, cette foule frivole D'adorateurs qu'enchaînait sa beauté, Ce monde vain dont elle fut l'idole Vit son trépas avec tranquillité. Les malheureux que sa main bienfaisante A fait passer de la peine au bonheur, N'ont pu trouver un soupir dans leur cœur Pour consoler son ombre gémissante.
Naissez, mes vers, soulagez mes douleurs, Et sans effort coulez avec mes pleurs.
L'amitié même, oui, l'amitié volage A retrouvé les ris et l'enjoûment; D'Emma mourante elle a chassé l'image; Son deuil trompeur n'a duré qu'un moment. Sensible Emma, douce et constante amie, Ton souvenir ne vit plus dans ces lieux; De ce tombeau l'on détourne les yeux, Ton nom s'efface, et le monde t'oublie.
Naissez, mes vers, soulagez mes douleurs, Et sans effort coulez avec mes pleurs.
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