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Eh bien près de Patras, près du rivage même

« Il est un champ, nommé le champ de l'Anathème, Qu'une secrète haine a marqué de son sceau.

ང་

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Là, des pierres sans nombre élèvent un monceau;

Là, chaque Grec qui passe, irrité d'impuissance,

"En jette une, et dévoue un Turc à la vengeance.

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Chaque pierre est un vou, chaque pierre est un sort, . Et représente un glaive, et désigne une mort.

« L'Anathème s'amasse, et la plaine est comblée. Ah! lorsque viendra l'heure, en secret appelée, «Que l'Osmanli tremblant se recommande à Dieu, « Oui, mais non pas à moi, non pas aux Grecs. Adieu. "Mon nom t'est inconnu tu le pourras connaître; « Les cris des musulmans te l'apprendront peut-être. Adieu, Frank. » Il a dit; sa main presse ma main : Et d'un pied bondissant il frappe le chemin.

:

Il s'éloigne du sol on dirait qu'il s'empare,
Qu'il marche confident d'un combat qu'on prépare,
Que déjà, dans son âme, il s'est senti vainqueur;
Et l'espoir qui l'inspire a passé dans mon cœur.

Cependant le vaisseau m'écarte de la terre.
Auprès du gouvernail je suis monté m'asseoir,
Hélas! non sans tourner un œil involontaire
Vers le bord décroissant sous le soleil du soir.
J'ai regardé longtemps, troublé par ma mémoire,
Derrière Sunium baisser le globe d'or,

Et quand fut obscurci l'antique promontoire,
Le temple au ciel luisait encor.

Du sein de l'Archipel, tout à coup frappé d'ombre,
Comme un vaste miroir qu'un souffle aurait terni,
Mes yeux encore au ciel pouvaient compter le nombre
Des colonnes debout, sur l'azur embruni.
Dernier reflet du jour, enfin leur blanche image
Par degrés s'est éteinte, et sous l'ombre a passé.
La Grèce à l'horizon n'est plus qu'un beau nuage;
Je regarde: il est effacé.

La lampe est allumée auprès de la boussole,
Jaune sous l'éclat pur de la lune qui luit;

L'autre lampe, éclairant l'image qui console,
Commence à balancer sa veille de la nuit;
La coupe de parfum au matelot qui prie
A présenté du soir l'encens habituel;
C'est l'heure sainte où l'ange a salué Marie :
Vénus se lève dans le ciel.

Quel silence descend des tranquilles étoiles!
Lui-même le malheur n'oserait pas gémir.
Mouvantes lentement, sur les muettes voiles
Je les vois se bercer; et tout semble dormir.
Beau soir! calme de l'air! à peine sous la proue
La mer roule le bruit d'un paisible ruisseau :
L'air pur et velouté vient caresser ma joue
Doux comme l'aile d'un oiseau.

J'ai senti dans mon cœur ce silence descendre,
Comme sur le vaisseau tout bruit s'évanouir.
L'Albanais seul en moi se fait encore entendre.
Grèce, de tes beaux soirs quand pourras-tu jouir?
A cette heure, elle dort! tandis qu'avec tristesse
Je poursuis sur la mer mon nocturne chemin :
Sommeille en paix! et moi, belles îles de Grèce,
Où m'éveillerai-je demain?

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Le soleil prolongcait sur la cime des tentes
Ces obliques rayons, ces flammes éclatantes,
Ces larges traces d'or qu'il laisse dans les airs,
Lorsqu'en un lit de sable il se couche aux déserts.
La pourpre et l'or semblaient revêtir la campagne.
Du stérile Nébo gravissant la montagne,
Moïse, homme de Dieu, s'arrête, et, sans orgueil,
Sur le vaste horizon promène un long coup d'œil.
Il voit d'abord Phasga que des figuiers entourent,
Puis, au delà des monts que ses regards parcourent,
S'étend tout Galaad, Ephraïm, Manassé

Dont le pays fertile à sa droite est placé;

Vers le midi, Juda, grand et stérile, étale
Ses sables où s'endort la mer occidentale;
Plus loin, dans un vallon que le soir a pâli,
Couronné d'oliviers, se montre Nephtali;
Dans des plaines de fleurs magnifiques et calmes
Jéricho s'aperçoit ; c'est la ville des palmes;
Et prolongeant ses bois, des plaines de Phogor
Le lentisque touffu s'étend jusqu'à Ségor.
Il voit tout Chanaan, et la terre promise,
Où sa tombe, il le sait, ne sera point admise.
Il voit, sur les Hébreux étend sa grande main,
Puis vers le haut du mont il reprend son chemin.

Or, des champs de Moab couvrant la vaste enceinte,
Pressés au large pied de la montagne sainte,
Les enfants d'Israël s'agitaient au vallon
Comme les blés épais qu'agite l'aquilon.

Dès l'heure où la rosée humecte l'or des sables,
Et balance sa perle au sommet des érables,
Prophète centenaire, environné d'honneur,
Moïse était parti pour trouver le Seigneur.
On le suivait des yeux aux flammes de sa tête,
Et, lorsque du grand mont il atteignit le faite,
Lorsque son front perça le nuage de Dieu
Qui couronnalt d'éclairs la cime du haut lieu,
L'encens brûla partout sur les autels de pierre.
Et six cent mille Hébreux, couchés dans la poussière,
A l'ombre du parfum par le soleil doré,
Chantèrent d'une voix le cantique sacré;

Et les fils de Lévi, s'élevant sur la foule,
Tels qu'un bois de cyprès sur le sable qui roule,
Du peuple avec la harpe accompagnant les voix
Dirigeaient vers le ciel l'hymne du Roi des Rois.

Et, debout devant Dieu Moïse ayant pris place,
Dans le nuage obscur lui parlait face à face.

Il disait au Seigneur : « Ne finirai-je pas?
Où voulez-vous encor que je porte mes pas?
Je vivrai donc toujours puissant et solitaire?
Laissez-moi m'endormir du sommeil de la terre.
Que vous ai-je donc fait pour être votre élu?

J'ai conduit votre peuple où vous avez voulu.
Voilà que son pied touche à la terre promise;
De vous à lui qu'un autre accepte l'entremise,
Au coursier d'Israël qu'il attache le frein;
Je lui lègue mon livre et la verge d'airain.

Pourquoi vous fallut-il tarir mes espérances,
Ne pas me laisser homme avec mes ignorances,
Puisque du mont Horeb jusques au mont Nébo
Je n'ai pas pu trouver le lieu de mon tombeau?
Hélas! vous m'avez fait sage parmi les sages!
Mon doigt du peuple errant a guidé les passages.
J'ai fait pleuvoir le feu sur la tête des rois;
L'avenir à genoux adorera mes lois;

Des tombes des humains j'ouvre la plus antique,
La mort trouve à ma voix une voix prophétique,
Je suis très-grand, mes pieds sont sur les nations,
Ma main fait et défait les générations.

Hélas! je suis, Seigneur, puissant et solitaire;
Laissez-moi m'endormir du sommeil de la terre!

Sitôt que votre souffle a rempli le berger,
Les hommes se sont dit: Il nous est étranger;

Et leurs yeux se baissaient devant mes yeux de flamme,
Car ils venaient, hélas ! d'y voir plus que mon âme.

J'ai vu l'amour s'éteindre et l'amitié tarir,

Les vierges se voilaient et craignaient de mourir.
M'enveloppant alors de la colonne noire,

J'ai marché devant tous, triste et seul dans ma gloire,
Et j'ai dit dans mon cœur : Que vouloir à présent?
Pour dormir sur un sein mon front est trop pesant,
Ma main laisse l'effroi sur la main qu'elle touche;
L'orage est dans ma voix, l'éclair est dans ma bouche;
Aussi, loin de m'aimer, voilà qu'ils tremblent tous;
Et quand j'ouvre les bras on tombe à mes genoux.
- O Seigneur! j'ai vécu puissant et solitaire,
Laissez-moi m'endormir du sommeil de la terre. »>

Or, le peuple attendait, et, craignant son courroux, Priait sans regarder le mont du Dieu jaloux :

Car, s'il levait les yeux, les flancs noirs du nuage
Roulaient et redoublaient les foudres de l'orage,
Et le feu des éclairs, aveuglant les regards,
Enchaînait tous les fronts courbés de toutes parts.
Bientôt le haut du mont reparut sans Moïse.

Il fut pleuré. — Marchant vers la terre promise,
Josué s'avançait pensif et pâlissant,

Car il était déjà l'élu du Tout-Puissant.

M. DE VIGNY

ÉPITRE A LA MARQUISE DU CHATELET,

SUR LA PHILOSOPHIE DE NEWTON, PAR VOLTAire (1758).

Tu m'appelles à toi, vaste et puissant génie,
Minerve de la France, immortelle Émilie;
Je m'éveille à ta voix, je marche à ta clarté,
Sur les pas des Vertus et de la Vérité.

Je quitte Melpomène et les jeux du théâtre,
Ces combats, ces lauriers, dont je fus idolâtre ;

De ces triomphes vains mon cœur n'est plus touché.
Que le jaloux Rufus, à la terre attaché,

Traîne au bord du tombeau la fureur insensée
D'enfermer dans un vers une fausse pensée;
Qu'il arme contre moi ses languissantes mains
Des traits qu'il destinait au reste des humains;
Que quatre fois par mois un ignorant Zoïle
Élève en frémissant une voix imbécile :

Je n'entends point leurs cris, que la haine a formés ;
Je ne vois point leurs pas, dans la fange imprimés.
Le charme tout-puissant de la philosophie

Élève un esprit sage au-dessus de l'envie.

Tranquille au haut des cieux que Newton s'est soumis,
Il ignore en effet s'il a des ennemis :

Je ne les connais plus. Déjà de la carrière
L'auguste Vérité vient m'ouvrir la barrière;
Déjà ces tourbillons, l'un par l'autre pressés,

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