c'est Phèdre même ; que c'est sur elle que le poëte a voulu attirer notre intérêt; qu'Hippolyte n'est ici qu'un personnage secondaire, auquel l'auteur a donné aussi peu de saillie qu'il était possible. Ce point reconnu, les critiques de M. Schlegel deviennent des éloges; l'espèce de nullité d'Hippolyte est plus que rachetée par l'importance du personnage de Phèdre; les rapports changent nécessairement avec le sujet; et quant au sujet lui-même, il est permis de croire qu'il est plus beau chez Racine que chez Euripide. Intéresser à un innocent persécuté, c'est quelque chose; mais inspirer de l'intérêt pour le persécu teur, et un intérêt si pur que le sentiment moral le plus délicat n'en est point blessé, c'est, ce nous semble, mieux encore. Elle n'appartient qu'au christianisme, cette pitié supérieure, cette pitié sublime, qui s'attache à la personne du criminel, par cela même qu'il est criminel. Faire du péché le plus déplorable des malheurs, c'est une idée uniquement chrétienne; et la religion seule qui a inventé une telle infortune pouvait inventer une telle compassion. C'est en considérant Phèdre de ce point de vue que nous concevons qu'elle ait obtenu, quoique tout imprégnée d'amour, l'approbation du pieux Arnauld, qui croyait y voir un vivant tableau de l'âme abandonnée à elle-même, et privée des influences de la grâce. ACTE IT, SCÈNE III. PHEDRE. N'allons point plus avant. Demeurons, chère OEnone. Et mes genoux tremblants se dérobent sous moi. (Elle s'assied.) OENONE. Dieux tout-puissants, que nos pleurs vous apaisent! PUÈDRE. Que ces vains ornements, que ces voiles me pèsent! OENONE. Comme on voit tous ses vœux l'un l'autre se détruire! Tantôt à vous parer vous excitiez nos mains; Noble et brillant auteur d'une triste famille, OENONE. Quoi! vous ne perdrez point cette cruelle envie! PHÈDRE. Dieux, que ne suis-je assise à l'ombre des forêts! Quand pourrai-je, au travers d'une noble poussière, Suivre de l'œil un char fuyant dans la carrière? OENONE. Quoi, madame' PHEDRE. Insensée, où suis-je, et qu'ai-je dit? Où laissé-je égarer mes vœux et mon esprit? Je l'ai perdu. Les dieux m'en ont ravi l'usage. OEnone, la rougeur me couvre le visage. Je te laisse trop voir mes honteuses douleurs; Et mes yeux, malgré moi, se remplissent de pleurs. OENONE. Ah! s'il vous faut rougir, rougissez d'un silence Qui de vos maux encore aigrit la violence. Vous trahissez enfin vos enfants malheureux, PHEDRE. Ah dieux! OENONE. Ce reproche vous touche! Malheureuse, quel nom est sorti de ta bouche? OENONE. Eh bien, votre colère éclate avec raison. Commande au plus beau sang de la Grèce et des dieux. Réparez promptement votre force abattue, PHEDRE. J'en ai trop prolongé la coupable durée. OENONE. Quoi! de quelques remords êtes-vous déchirée? Grâces au ciel, mes mains ne sont point criminelles. OENONE. Et quel affreux projet avez-vous enfanté, Dont votre cœur encor doive être épouvanté? PHEDRE. Je t'en ai dit assez. Épargne-moi le reste. Je meurs, pour ne point faire un aveu si funeste. OENONE. Mourez donc, et gardez un silence inhumain. Mais, pour fermer vos yeux, cherchez une autre main. Quoiqu'il vous reste à peine une faible lumière, PHEDRE. Quel fruit espères-tu de tant de violence? OENONE. Et que me direz-vous qui ne cède, grands dieux, PHEDRE. Quand tu sauras mon crime, et le sort qui m'accable, OENONE. Madame, au nom des pleurs que pour vous j'ai versés, Par vos faibles genoux que je tiens embrassés, Délivrez mon esprit de ce funeste doute. PHEDRE. Tu le veux lève-toi. OENONE. Parlez, je vous écoute. PHEDRE. Ciel! que lui vais-je dire? et par où commencer? OENONE. Par de vaines frayeurs cessez de m'offenser. PHÈDRE. O haine de Vénus! ô fatale colère! Dans quels égarements l'amour jeta ma mère ! OENONE. Oublions-les, madame; et qu'à tout l'avenir PHÈDRE. Ariane, ma sœur! de quel amour blessée OENONE. Que faites-vous, madame? et quel mortel ennui PHEDRE. Puisque Vénus le veut, de ce sang déplorable Je péris la dernière, et la plus misérable. Tu vas ouïr le comble des horreurs. J'aime... A ce nom fatal je tremble, je frissonne. Tu connais ce fils de l'Amazone, Ce prince si longtemps par moi-même opprimé. Hippolyte? Grands dieux! OENONE. PHEDRE. C'est toi qui l'as nommé ! OENONE. Juste ciel! tout mon sang dans mes veines se glace! O désespoir! O crime! O déplorable race! PHÈDRE. Mon mal vient de plus loin. A peine au fils d'Égée |