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la révolution; consultez sur cette triste époque les plus pieux, les plus sages contemporains. Fénélon écrivait ces propres paroles le 15 mars 1712, trois ans avant la mort de Louis XIV: « Les mœurs présentes de la nation jettent chacun dans la plus << violente tentation de s'attacher au plus fort par toute sorte « de bassesses, de lâchetés, de noirceurs et de trahisons. » (Vie de Fénélon, tome III, p. 322). Je vote le rejet du titre Ier du projet de loi. M. ROYER-COLLARD.

L'éloquence, n'étant pas un genre de composition, mais une force de l'âme, pénètre et anime, selon l'occasion, les matières les plus diverses. Le genre oratoire, ou le discours public, n'en est que l'occasion la plus immédiate et la forme la plus complète. Mais l'éloquence n'en est pas moins, dans l'art d'écrire, une vertu spéciale, une beauté reconnaissable entre toutes les autres à certains caractères.

Elle s'associe, dans le besoin, à la philosophie, à la poésie : elle s'appuie de l'une, elle se pare de l'autre; mais elle n'est ni l'une ni l'autre. La poésie et la philosophie, prises dans leur pureté, se dégagent de la réalité pour s'élever à l'idée ; l'éloquence a pour objet la réalité, et poursuit un but pratique : les deux premières sont désintéressées; l'éloquence ne pent pas l'être; les deux premières contemplent; l'éloquence est une action. Le philosophe et le poëte s'adressent à ce qu'il y a en nous de spéculatif : l'orateur cherche à s'emparer de notre volonté. Sa tâche est une agression opiniâtre; notre âme est un fort qu'il assiége, mais qu'il ne prendrait jamais s'il ne s'était ménagé des intelligences dans la place; l'éloquence n'est qu'un appel à la sympathie; son secret consiste à démêler et à saisir dans l'âme d'autrui les parties qui correspondent à l'âme de l'orateur et à toute âme; son but est de s'emparer de la main qu'à notre insu nous lui tendons sans cesse. C'est de nous qu'elle obtient des armes contre nous; c'est de nos concessions qu'elle se fortific, de nos dons qu'elle se prévaut, avec notre aveu qu'elle nous accable. En d'autres termes, l'orateur invoque des principes, intellectuels et moraux, que nous tenons en commun avec lui, et il ne fait que réclamer avec instance les conclusions de ces prémisses; il nous prouve que nous sommes d'accord avec lui, il nous fait sentir et aimer cet accord; en un mot, comme on l'a dit avec énergic, on ne démontre aux gens que ce qu'ils croyaient déjà.

Ce talent de l'esprit, ou de l'âme plutôt, est un talent à part et dis tinct de tous les autres. Il tient à une sensibilité, à un don de vivre cu

autrui, qui ne saurait s'imiter ni s'enseigner. Rien ne le supplée. Quoi de plus simple pourtant? Mais précisément parce qu'il est très-simple, il est très-rare. Qu'est-ce que les traits les plus fameux d'un Démosthène, d'un Bossuet et d'un Fox, sinon des appels au bon sens de l'esprit, ou à la conscience, qui est le bon sens de l'âme? Quel est le vrai terrain de l'éloquence, si ce n'est le lieu commun? Quand l'éloquence se combine avec de hautes considérations philosophiques, ainsi que l'âge moderne nous en fournit des exemples (et le discours de M. Royer-Collard est un des plus beaux), on est tenté d'abord d'attribuer à la philosophie l'impression qu'on vient de recevoir; mais l'éloquence est quelque chose de plus populaire; l'élément populaire est présent aussi dans le discours sur le sacrilege; c'est son emploi qui rend ce discours éloquent; c'est à la puissance de faire vibrer en nous les cordes primitives de l'âme, ce qu'elle a de plus simplement humain, c'est à cela, et à nulle autre chose, que nous reconnaissons l'orateur.

PAMPHLET DES PAMPHLETS 1.

Pendant que l'on m'interrogeait à la préfecture de police sur mes noms, prénoms, qualités, comme vous avez pu voir dans les gazettes du temps, un homme se trouvant là sans fonctions apparentes m'aborda familièrement, me demanda confidem

1 Le procès intenté à Paul-Louis Courier au sujet de son Simple Discours (aux paysans de son canton contre l'acquisition de Chambord, 1819) donna lieu à l'écrit dont nous insérons ici une grande partie.

« C'est seulement à la lecture de ses derniers écrits politiques, dit l'éditeur des OEuvres de Courier, qu'on sent que ce lumineux et mordant génie a rencontré enfin la langue qui convient à ses amères impressions sur les hommes et les choses de son temps... A mesure que Courier a produit, on a pu remarquer son allure plus dégagée, plus libre, sa manière se séparant de plus en plus de celle des écrivains auxquels on a pu d'abord le comparer, jusqu'à ce qu'enfin elle soit tout à fait l'expression de l'originalité de son esprit et de la trempe un peu sauvage de son caractère. Le Pamphlet des Pamphlels fut le chant du cygne.... C'est là seulement que la lente formation de ce talent de premier ordre est accomplie. »

Ces observations de M. Armand Carrel nous paraissent très-justes. Longtemps le talent si original de P. L. Courier s'assujettit à la recherche d'une manière. On aperçoit dans la plupart de ses écrits la lime passant sur la forme première, puis repassant, pour les faire disparaitre, sur les traces que sa dent a laissées. On y voit la verve satirique, d'ordinaire si pressée de jaillir, attendre patiem

ment si je n'étais point auteur de certaines brochures; je m'en défendis fort. « Ah! monsieur, me dit-il, vous êtes un grand génie, vous êtes inimitable. » Ce propos, mes amis, me rappela un fait historique peu connu que je vous veux conter par forme d'épisode, digression, parenthèse, comme il vous plaira; ce m'est tout un.

Je déjeunais chez mon camarade Duroc, logé en ce temps-là, mais depuis peu, notez, dans une vieille maison fort laide, selon moi, entre cour et jardin, où il occupait le rez-de-chausséc. Nous étions à table, plusieurs, joyeux, en devoir de bien faire, quand tout à coup arrive, et sans être annoncé, notre camarade Bonaparte, nouveau propriétaire de la vieille maison, habitant le premier étage. Il venait en voisin, et cette bonhomie nous étonna au point que pas un des convives ne savait ce qu'il faisait. On se lève, et chacun demandait : « Qu'y a-t-il? » Le héros nous fit rasseoir. Il n'était pas de ces camarades à qui l'on peut dire Mets-toi et mange avec nous. Cela eût été bon avant l'acquisition de la vieille maison. Debout à nous regarder, ne sachant trop que dire, il allait et venait. « Ce sont des artichauts dont vous déjeunez là? — Oui, général. — Vous, Rapp, vous les mangez à l'huile ? Oui, général. - Et vous, Savary, à la

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ment, de forme en forme, que la plus complète et surtout la plus vive ait été rencontrée ; toute cette lenteur a eu lieu au profit de la rapidité. Aucun style n'a le mouvement si alerte, les articulations plus rapprochées ; on dirait d'un char élancé qui serre au plus près tous les angles de la route, sans les effleurer jamais. Chaque phrase, artistement élaborée, prend la tournure d'un proverbe, et souvent en a la valeur. Courier ne craint pas de joncher sa prose de vers de toute mesure, fortement rhythmés ; a-t-il quelque pensée notable a recommander à votre mémoire, vous la voyez, comme d'elle-même, se tourner en alexandrin. Il ne s'est pas trompé : ses paragraphes sont des couplets, qu'on a retenus comme ceux de Béranger. Ces deux auteurs sont devenus populaires, plus par la surface toutefois que par l'intimité des choses. C'est au moins bien à tort qu'on a fait de Paul-Louis une espèce de poëte des campagnes rien de moins poétique en général ni de moins champêtre que ses tableaux de la vie agricole: ses champs et ses forėis sont une manufacture; ses paysans, des industriels; il ne voit dans la nature qu'un fonds à exploiter; le ton de ses peintures, si du moins il est peintre, est grisâtre, dur et froid: peut-être cette manière ne lui était pas naturelle; mais la tâche qu'il s'était faite en politique avait pu la lui faire préférer à toute autro.

Ah! général, répond celui

sauce; moi, je les mange au sel.

qui s'appelait alors Savary, vous êtes un grand homme, vous êtes inimitable. »

Voilà mon trait d'histoire que je rapporte exprès, afin de vous faire voir, mes amis, qu'une fois on m'a traité comme Bonaparte, et par les mêmes motifs. Ce n'était pas pour rien qu'on flattait le consul, et quand ce bon monsieur, avec ses douces paroles, se mit à me louer si démesurément que j'en faillis perdre 'contenance, m'appelant homme sans égal, incomparable, inimitable, il avait son dessein, comme m'ont dit depuis des gens qui le connaissent, et voulait de moi quelque chose, pensant me louer à mes dépens. Je ne sais s'il eut contentement. Après maints discours, maintes questions, auxquelles je répondis le moins mal que je pus: « Monsieur, me dit-il en me quittant, monsieur, écoutez, croyez-moi ; employez votre grand génie à faire autre chose que des pamphlets.

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J'y ai réfléchi et me souviens qu'avant lui M. de Broë, homme éloquent, zélé pour la morale publique, me conseilla de même, en termes moins flatteurs, devant la cour d'assises. Vil pamphlétaire... ce fut un mouvement oratoire des plus beaux, quand se tournant vers moi qui, foi de paysan, ne songeais à rien moins, il m'apostropha de la sorte: Vil pamplhétaire, etc.; coup de foudre, non, de massue, vu le style de l'orateur, dont il m'assomma sans remède. Ce mot soulevant contre moi les juges, les témoins, les jurés, l'assemblée (mon avocat lui-même en parut ébranlé), ce mot décida tout. Je fus condamné dès l'heure dans l'esprit de ces messieurs, dès que l'homme du roi m'eut appelé pamphlétaire, à quoi je ne sus que répondre. Car il me semblait bien en mon âme avoir fait ce qu'on nomme un pamphlet; je ne l'eusse osé nier. J'étais donc pamphlétaire à mon propre jugement, et voyant l'horreur qu'un tel nom inspirait à tout l'auditoire, je demeurai confus.

Sorti de là, je me trouvai sur le grand degré avec M. Arthus B***, libraire, un de mes jurés, qui s'en allait diner, m'ayant déclaré coupable. Je le sa!uai, il m'accueillit, car c'est le meilleur homme du monde, et chemin faisant, je le priai de me vouloir dire ce qui lui semblait à reprendre dans le Simple

discours condamné. « Je ne l'ai point lu, me dit-il; mais c'est un pamphlet, cela me suffit. » Alors je lui demandai ce que c'était qu'un pamphlet, et le sens de ce mot qui, sans m'être nouveau, avait besoin pour moi de quelque explication. « C'est, répondit-il, un écrit de peu de pages comme le vôtre, d'une feuille ou deux seulement. De trois feuilles, repris-je, serait-ce encore un pamphlet ?-Peut-être, me dit-il, dans l'acception commune; mais proprement parlant, le pamphlet n'a qu'une feuille seule; deux ou plus font une brochure.-Et dix feuilles? quinze feuilles? vingt feuilles? - Font un volume, dit-il, un ouvrage. » Moi, là-dessus : « Monsieur, je m'en rapporte à vous qui devez savoir ces choses; mais, hélas ! j'ai bien peur d'avoir fait en effet un pamphlet, comme le dit le procureur du roi. Sur votre honneur et conscience, puisque vous être juré, M. Arthus B***, mon écrit d'une feuille et demie est-ce pamphlet ou brochure? -Pamphlet, me dit-il, pamphlet sans nulle difficulté. — Je suis donc pamphlétaire ? Je ne vous l'eusse pas dit par égard, ménagement, compassion du malheur, mais c'est la vérité. Au reste, ajouta-t-il, si vous vous repentez, Dieu vous pardonnera (tant sa miséricorde est grande) dans l'autre monde. Allez, mon bon monsieur, et ne péchez plus; allez à Sainte-Pélagie. »

Voilà comme il me consolait.« Monsieur, lui dis-je, de grâce encore une question. - Deux, me dit-il, et plus, et tant qu'il vous plaira, jusqu'à quatre heures et demie qui, je crois, vont sonner. Bien, voici ma question. Si, au lieu de ce pamphlet sur la souscription de Chambord, j'eusse fait un volume, un ouvrage, l'auriez-vous condamné? - Selon. -J'entends; vous l'eussiez lu d'abord, pour voir s'il était condamnable. — Oui, je l'aurais examiné. - Mais le pamphlet, vous ne le lisez pas? -Non, parce que le pamphlet ne saurait être bon. Qui dit pamphlet, dit un écrit tout plein de poison.- De poison? - Oui, monsieur, et de plus détestable. Sans quoi on ne le lirait pas s'il n'y avait du poison? Non, le monde est ainsi fait; on aime le poison dans tout ce qui s'imprime. Votre pamphlet que nous venons de condamner, par exemple, je ne le connais point; je ne sais en vérité ni ne veux savoir ce que c'est, mais on le lit; il y a du poison. M. le procureur du roi nous l'a dit,

COREST LITT. DE LA JEUNESSE,

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