Page images
PDF
EPUB

tant aimé le monde, qu'il lui a donné son fils unique. » Ne demandez plus ce qui a uni en Jésus-Christ le ciel et la terre, et la croix avec les grandeurs. « Dieu a tant aimé le monde. » Est-il incroyable que Dieu aime, et que la bonté se communique? Que ne fait pas entreprendre aux âmes courageuses l'amour de la gloire; aux âmes les plus vulgaires l'amour des richesses; à tous, enfin, tout ce qui porte le nom d'amour! Rien ne coûte, ni périls, ni travaux, ni peines; et voilà les prodiges dont l'homme est capable. Que si l'homme, qui n'est que faiblesse, tente l'impossible, Dieu, pour contenter son amour, n'exécutera-t-il rien d'extraordinaire? Disons donc pour toute raison dans tous les mystères : « Dieu a tant aimé le monde. » C'est la doctrine du maître, et le disciple bien-aimé l'avait bien comprise. De son temps, un Cérinthe, un hérésiarque, ne voulait pas croire qu'un Dieu eût pu se faire homme, et se faire la victime des pécheurs que lui répondit cet apôtre vierge, ce prophète du Nouveau Testament, cet aigle, ce théologien par excellence, ce saint vieillard qui n'avait de force que pour prêcher la charité, et pour dire : « Aimez-vous les uns les autres en Notre Seigneur; » que répondit-il à cet hérésiarque? quel symbole, quelle nouvelle confession de foi opposa-t-il à son hérésie naissante? Écoutez et admirez. « Nous croyons, dit-il, et nous confessons l'amour que Dieu a pour nous. » C'est là toute la foi des chrétiens; c'est la cause et l'abrégé de tout le symbole; c'est là que la princesse palatine a trouvé la résolution de ses anciens doutes. Dieu a aimé, c'est tout dire. Croyons donc avec saint Jean en l'amour d'un Dieu : la foi nous paraîtra douce, en la prenant par un endroit si tendre; mais n'y croyons pas à demi, à la manière des hérétiques, dont l'un en retranche une chose, et l'autre une autre ; l'un le mystère de l'incarnation, et l'autre celui de l'eucharistie; chacun ce qui lui déplait : faibles esprits, ou plutôt cœurs étroits et entrailles resserrées, que la foi et la charité n'ont pas assez dilatés pour comprendre toute l'étendue de l'amour d'un Dieu! Pour nous, croyons sans réserve, et prenons le remède entier, quoi qu'il en coûte à notre raison. Pourquoi veut-on que les prodiges coûtent tant à Dieu? Il n'y a plus qu'un seul prodige

que j'annonce aujourd'hui au monde : o ciel, o terre, étonnezvous à ce prodige nouveau! C'est que, parmi tant de témoignages de l'amour divin, il y ait tant d'incrédules et tant d'insensibles. N'en augmentez pas le nombre, qui va croissant tous les jours, n'alléguez plus votre malheureuse incrédulité, et ne faites pas une excuse de votre crime. Dieu a des remèdes pour vous guérir, et il ne reste qu'à les obtenir par des vœux continuels. Il a su prendre la sainte princesse dont nous parlons par le moyen qu'il lui a plu ; il en a d'autres pour vous jusqu'à l'infini, et vous n'avez rien à craindre que de désespérer de ses boutės. Vous osez nommer vos ennuis, après les peines terribles où vous l'avez vue! Cependant, si quelquefois elle désirait d'en étre un peu soulagée, elle se le reprochait à elle-même. «Je commence, disait-elle, à m'apercevoir que je cherche le paradis terrestre à la suite de Jésus-Christ, au lieu de chercher la montagne des Olives et le Calvaire, par où il est entré dans sa gloire. » Voilà ce qu'il lui servit de méditer l'Évangile nuit et jour, et de se nourrir de la parole de vie. C'est encore ce qui lui fit dire cette admirable parole: « qu'elle aimait mieux vivre et mourir sans consolation que d'en chercher hors de Dieu. » Elle a porté ces sentiments jusqu'à l'agonie, et, prête à rendre l'âme, on entendit qu'elle disait d'une voix mourante : « Je m'en vais voir comment Dieu me traitera; mais j'espère en ses miséricordes. » Cette parole de confiance emporta son âme sainte au séjour des justes. Arrêtons ici, chrétiens; et vous, Seigneur, imposez silence à cet indigne ministre qui ne fait qu'affaiblir votre parole: parlez dans les cœurs, prédicateur invisible, et faites que chacun se parle à soi-même. Parlez, mes frères, parlez : je ne suis ici que pour aider vos réflexions. Elle viendra cette heure dernière, elle approche, nous y touchons, la voilà venue. Il faut dire avec Anne de Gonzague: Il n'y a plus ni princesse, ni palatine : ces grands noms dont on s'étourdit ne subsistent plus. Il faut dire avec elle: Je m'en vais, je suis emporté par une force inévitable; tout fuit, tout diminue, tout disparaît à mes yeux. Il ne reste plus à l'homme que le néant; pour toute acquisition, le péché. Le reste, qu'on croyait tenir, échappe, semblable à de

l'eau gelée, dont le vil cristal se fond entre les mains qui le serrent et ne fait que les salir. Mais voici ce qui glacera le cœur, ce qui achèvera d'éteindre la voix, ce qui répandra la frayeur dans toutes les veines je m'en vais voir comment Dieu me traitera; dans un moment je serai entre ces mains dont saint Paul écrit en tremblant : « Ne vous y trompez pas, on ne se moque pas de Dieu; » et encore : « C'est une chose horrible de tomber entre les mains du Dieu vivant; » entre ces mains où tout est action, où tout est vie, rien ne s'affaiblit, ni ne se relâche, ni ne se ralentit jamais! Je m'en vais voir si ces mains toutes-puissantes me seront favorables ou rigoureuses; si je serai éternellement ou parmi leurs dons, ou sous leurs coups. Voilà ce qu'il faudra dire nécessairement avec notre princesse; mais pourrons-nous ajouter avec une conscience aussi tranquille : J'espère en sa miséricorde? » Car qu'aurons-nous fait pour la fléchir? quand aurons-nous écouté la voix de celui qui crie dans le désert: Préparez la voie du Seigneur? Comment? par la pénitence.

་་

BOSSUET.

Il ne semble pas que la critique ait rendu justice à l'oraison funèbre de la princesse palatine. Thomas, juge équitable d'ailleurs, n'y trouve que quelques grands traits; » et nous devons avouer que le morceau qu'on vient de lire n'est point au nombre de ceux qu'il distingue. Voltaire va jusqu'à blâmer le choix du sujet : « Qui n'a rien fait, dit-il, « doit être oublié... Qu'avait fait Anne de Gonzague, comtesse palatine « du Rhin, que Bossuet voulut aussi rendre immortelle ?... Il importe « peut-être assez peu aux nations qu'Anne de Gonzague se soit convertie pour avoir vu un aveugle, une poule et un chien en songe, et qu'elle soit morte entre les mains d'un directeur. »>

"

[ocr errors]

Ce que Bossuet a voulu rendre immortel, ce n'est pas Anne de Gonzague, mais le souvenir d'une merveille de la grâce divine; et peutêtre un tel souvenir importe plus aux nations que celui des batailles du grand Condé. Que n'est l'histoire de tous les princes, de tous les peuples, de tous les hommes, semblable à celle que raconte ici Bossuet! Que ne sont, au même titre, toutes les destinées humaines également ennuyeuses et obscures! Ne doutons pas, au surplus, que Voltaire

n'ait rangé, ou plutôt n'ait trouvé tout le monde du parti de ses dédains. L'esprit d'alors, cet esprit dont les préventions irréligieuses ont les caractères de l'hydrophobie, cet esprit qui, portant la bigoterie dans l'impiété, obligeait le traducteur des Nuits d'Young à reléguer dans des notes, comme de viles rognures, les passages les plus sublimes de son original, a jeté un voile sur les plus touchantes beautés de l'éloge d'Anne de Gonzague. Ces beautés, j'en conviens, appartiennent plus au sermon qu'à l'oraison funèbre telle que le xvne siècle et Bossuet l'avaient faite; mais c'était rentrer par un détour dans le vrai génie de la chaire chrétienne, et la ressaisir de tous ses avantages. Bossuet n'est ni tout entier ni de tout son cœur dans le genre mixte, et peut-être faux, du panégyrique. « L'opinion des gens du monde, dit « M. de Barante, fait souvent des oraisons funèbres de Bossuet son premier, son plus glorieux titre à l'éloquence. Sans doute le langage << en est admirable, mais ce qui leur a valu ce succès classique, c'est précisément un mérite littéraire et une habileté de panégyriste, qui, lorsqu'on y réfléchit sérieusement, ne sont pas en complète harmo«nie avec la chaire do vérité. Peut-être lui-même en jugeait-il ainsi... « Son génie se trouve dans ses sermons, plus peut-être qu'en aucune << autre production. » Cette dernière observation me semble aussi vraie qu'elle est nouvelle.

"

[ocr errors]

ང་

Il y a, dans cette même oraison funèbre, des familiarités de récit et de style qui prêtent à la dérision des esprits profanes. Ce n'est pas que les détails familiers ne leur plaisent quelquefois. Ils pourront célébrer en chœur avec le cardinal Maury, dans un hymne de quinze pages, trois petits mots où Bossuet rappelle délicatement le don d'une bague; mais le récit fidèle des songes touchants qui amenèrent l'éveil de la princesse palatine à la véritable vie. n'appelle sur leurs lèvres que le sourire du mépris. « C'est donc là, s'écrie Voltaire, ce que rapporte «< cet illustre Bossuet, qui s'élevait dans le même temps avec un achar«nement si impitoyable contre les visions de l'élégant et sensible archevêque de Cambrai ! O Démosthène et Sophocle! ô Cicéron ct Virgile! qu'eussiez-vous dit si, dans votre temps, des hommes, d'ailleurs « éloquents, avaient débité sérieusement de pareilles pauvretés? » Démosthène n'est pas ici une fort heureuse rencontre : lui qui, dans une de ses Philippiques, a tiré un de ses plus heureux effets d'éloquence de l'histoire imaginaire d'un âne.—Il est d'ailleurs superflu de discuter cette critique : les superstitions littéraires du xvine siècle sont mortes; l'antique et la nature ont cessé de nous étonner; et nous n'en sommes plus à ne trouver de noblesse que dans les éticences, de poésic que dans la périphrase.

་་

DISCOURS DE MIRABEAU SUR L'EXERCICE DU DROIT DE LA PAIX ET DE LA GUERRE.

Deux systèmes, qui vont s'exposer d'eux-mêmes dans les pages suivantes, furent soutenus tour à tour dans une mémorable discussion, où les deux plus célèbres orateurs de l'assemblée constituante, Barnave et Mirabeau, mesurèrent l'un contre l'autre des forces qui passaient alors pour s'égaler mutuellement. Le talent de Barnave et la popularité de son opinion lui valurent un triomphe dont Mirabeau ne le laissa pas jouir longtemps. Ce puissant orateur vint, le lendemain même, défendre son projet de décret, et l'arracha, déchiré il est vrai, des mains de son habile adversaire. Nous avons cru devoir donner, ne fût-ce que comme introduction, le discours de Barnave '.

« Messieurs, dit Barnave, jamais objet plus important n'a fixé les regards de cette assemblée; la question qui s'agite aujourd'hui intéresse essentiellement votre constitution; c'est d'elle que dépend son salut. Il ne vous reste plus à constituer que la force publique; il faut le faire de manière qu'elle s'emploie avec succès pour repousser les étrangers et arrêter les invasions, mais qu'elle ne puisse jamais être tournée contre le pays. Au point où nous sommes arrivés, il ne s'agit-plus de disputer sur les principes et sur les faits historiques, ou sur toute autre considération : il faut réduire la question à ses termes les plus simples, en chercher les difficultés, et tâcher de les résoudre. Je laisse de côté tous les projets de décret qui attribuent au roi le droit de faire la guerre; ils sont incompatibles avec la liberté ; ils n'ont pas besoin d'être approfondis ; la contestation existe entre les décrets puisés dans le système général de notre constitution. Plusieurs opinants, MM. Pétion, de Saint-Fargeau, de Menou, ont présenté des décrets qui, avec des différences de rédaction, arrivent au même but. M. de Mirabeau en a offert un autre qui, destiné, je le crois, à remplir le même objet, ne paraît pas répondre suffisamment aux in

1 Voir, sur cette discussion et sur son résultat, l'Histoire de l'assemblée constituante, par A, Lameth, t. II, pages 96 et suivantes.

« PreviousContinue »