XI, pour lui, & le rend irréconciliable. CHAR C'est une chose monftrueufe que le goût & la facilité qui eft en nous de zrailler, d'improuver & de méprifer les autres ; & tout ensemble la colere que nous reflentons eontre ceux qui nous raillent, nous improuvent, & nous méprifent. : La fanté & les richefles ôtent aux hommes l'experience du mal, leur infpirent la dureté pour leurs femblables; & les gens déja chargez de leur propre mifere font ceux qui entrent davantage par la compaffion dans celle d'autrui. *Il femble qu'aux ames bien nées les fêtes, les fpectacles, la fymphonie raprochent & font mieux fentir l'in, fortune de nos proches ou de nos amis. * Une grande ame eft au-deffus de l'injuftice, de la douleur, de la mo querie; & elle feroit invulnerable, fi elle ne fouffroit par la compaffion. Il y a une espece de honte d'être heureux à la vue de certaines miferes. * On eft prompt à connoître fes plus petits avantages, & lent à péné trer ME. DE L'HOм- trer fes défauts on n'ignore point qu'on a de beaux fourcils, les ongles bien faits on fait à peine que l'on eft borgne: on ne fait point du tout que l'on manque d'efprit. Argyre tire fon gand pour montrer une belle main, & elle ne néglige pas de découvrir un petit foulier qui fuppofe qu'elle a le pied petit ; elle rit des chofes plaifantes ou férieufes pour faire voir de belles dents : fi elle montre fon oreille, c'eft qu'elle l'a bien faite, & fi elle ne danfe jamais, c'eft qu'elle eft peu contente de fa taille qu'elle a épaifle. Elle entend tous fes interêts à l'exception d'un feul, elle parle toujours, & n'a point d'efprit. * Les hommes comptent presque rien toutes les vertus du cœur pour & idolâtrent les talens du corps & de l'efprit: celui qui dit froidement de foi, & fans croire bleffer la modeftic, qu'il eft bon, qu'il eft conftant, fidele, fincere, équitable, reconnoiffant, n'ofe dire qu'il eft vif, qu'il a les dents belles & la peau douce; cela eft trop fort. Il eft vrai qu'il y a deux vertus que que les hommes admirent la brayoure & la liberalité, parce qu'il y a deux chofes qu'ils eftiment beaucoup, & que ces vertus font négli ger la vie & l'argent ; auffi perionne n'avance de foi qu il eft brave ou liberal. : Perfonne ne dit de foi, & fur tout fans fondement, qu'il eft beau, qu'il eft généreux, qu'il eft fublime : on a mis ces qualitez à un trop haut prix on fe contente de le penfer. * Quelque rapport qu'il paroiffe de la jaloufie à l'émulation, il y a entr'elles le même éloignement, que celui qui fe trouve entre le Vice & la Vertu. La jaloufie & l'émulation s'exer cent fur le même objet, qui eft le bien ou le mérite des autres, avec certe difference, que celle-ci eft un fentiment volontaire , courageux fincere, qui rend l'ame féconde, qui la fait profiter des grands exemples, & la porte fouvent au deffus de ce qu'elle admire ; & que celle-là au contraire eft un mouvement violent & comme un aveu contraint du mérite CHAP. XI. ME DE L'HOM- qui eft hors d'elle, qu'elle va même jufques à nier la Vertu dans les fujets où elle exifte ou qui forcée de la reconnoître, lui refufe les éloges ou 1ui envie les récompenfes ; une paffion fterile qui laiffe l'homme dans l'état où elle le trouve, qui le remplit de lui-même, de l'idée de fa réputation, qui le rend froid & fec fur les actions ou fur les ouvrages d'autrui, qui fait qu'il s'étonné de voir dans le monde d'autres talens que les fiens, ou d'autres hommes avec les mêmes talens dont il fe pique: vice honteux, & qui par fon excès rentre toujours dans la vanité & dans la préfomption; & ne perfuade pas tant à celui qui en eft bleffé, qu'il a plus 'd'efprit & de mérite que les autres qu'il lui fait croire qu'il a lui feul de l'efprit & du mérite. * L'émulation & la jaloufie ne fe rencontrent guéres que dans les perfonnes de même Art, de mêmes talens, & de même condition. Les plus vils Artifans font les plus fujets à la jaloufie. Ceux qui font profeffion des Arts liberaux ou des belles Lettres, les Peintres, les Muficiens, les Ora Orateurs, les Poëtes, tous ceux qui fe mêlent d'écrire ne devroient être capables que d'émulation. Toute jaloufie-n'eft point exempte de quelque forte d'envie, & fouvent même ces deux paffions fe confondent. L'envie au contraire eft quelquefois féparée de la jaloufie, comme eft celle qu'excitent dans notre ame les conditions fort élevées au deflus de la nôtre, les grandes fortunes, la faveur, le Miniftere. L'envie & la haine s'uniffent toujours, & fe fortifient l'une l'autre dans un même fujet ; & elles ne font reconnoiflables entre entre elles qu'en ce que l'une s'attache à la perfonne, l'autre à l'état & à la condition. Un homme d'efprit n'eft point ja loux d'un ouvrier qui a travaillé une bonne épée, ou d'un Statuaire qui vient d'achever une belle figure. Il fait qu'il y a dans ces Arts des regles & une méthode qu'on ne devine point, qu'il y a des outils à manier dont il ne connoît ni l'ufage ni le nom, ni la figure; & il lui fuffit de penfer qu'il n'a point fait l'ap Tom. II. C pren CHAP XI. |