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MODE.

DE LA qu'elle ne cede à l'amour & à l'ambition que par la petitefle de fon objet. Ce n'eft pas une paffion qu'on a generalement pour les chofes rares & qui ont cours; mais qu'on a seulement pour une certaine chofe qui eft rare, & pourtant à la mode.

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Le Fleuriste a un jardin dans un Fauxbourg, il y court au lever du Soleil, & il en revient à fon coucher. Vous le voyez planté, & qui a pris racine au milieu de fes tulippes & devant la folitaire: il ouvre de grands yeux, il frotte fes mains, il fe baiffe, il la voit de plus près, il ne l'a jamais vûë fi belle, il a le cœur épanoui de joye: il la quitte pour l'orientale, de là il va à la veuve, il pafle au drap d'or -de celle-ci à l'agathe, d'où il revient enfin à la folitaire, où il fe fixe, où il fe laffe, où il s'affit, où il oublie de dîner, auffi eft-elle nuancée, bordée, huilée, à pieces emportées, elle a un beau vafe ou un beau calice: il -la contemple, il l'admire: DIEU & Ja Nature font en tout cela ce qu'il n'admire point: il ne va pas plus loin que l'oignon de fa tulippe qu'il ne livreroit pas pour mille écus, & qu'il

don

donnera

pour rien quand les tulippes feront négligées & que les oeillets auront prévalu. Cet homme raisonnable, qui a une ame, qui a un Culte & une Religion, revient chez foi, fa+ tigué, affamé, mais fort content de fa journée : il a vû des tulippes.

Parlez à cet autre de la richeffe des moiflons, d'une ample récolte d'une bonne vendange, il eft curieux. de fruits, vous n'articulez pas, vous ne vous faites pas entendre: parlezlui de figues & de melons, dites que les poiriers rompent de fruit cette année, que les pêchers ont donné avec abondance, c'est pour lui un idiome inconnu, il s'attache aux feuls pru niers, il ne vous répond pas. Ne l'entretenez pas même de vos pruniers il n'a de l'amour que pour une certai ne efpece, toute autre que vous lui nommez le fait fourire & fe moquer. Il vous mene à l'arbre, cucille artif tement cette prune exquife, il l'ouvre, vous en donne une moitié & prend l'autre, quelle chair, dit-il, goûtez-vous cela cela eft-il divin? voilà ce que vous ne trouverez pas ailleurs & là-deflus fes narines s'enAlent

СНАР

XIII

MODI.

DE LA flent, il cache avec peine fa joye & fa vanité par quelques dehors de modeftie. O l'homme divin en effet ! homme qu'on ne peut jamais aflèz louer & admirer! homme dont il fera parlé dans plufieurs fiecles! que je voye fa taille & fon vifage pendant qu'il vit, que j'observe les traits & la contenance d'un homme qui feul entre les mortels poffède une telle prune.

Un troifiéme que vous allez voir, vous parle des curieux fes confreres, & fur tout de Diognete. Je l'admire, dit-il, & je le comprends moins que jamais penfez-vous qu'il cherche à s'inftruire par les médailles, & qu'il les regarde comme des preuvesparlantes de certains faits, & des monumens fixes & indubitables de l'ancienne hiftoire, rien moins : vous croyez peut-être que toute la peine qu'il fe donne pour recouvrer une tête, vient du plaifir qu'il fe fait de ne voir pas une fuite d'Empereurs interrompue, c'eft encore moins: Diog nete fait d'une médaille le fruft, le feloux & la fleur de coin, il a une tablette dont toutes les places font

gar

garnies à l'exception d'une feule, ce vuide lui bleflè la vûë, & c'eft précifément & à la lettre pour le remplir, qu'il employe fon bien & fa

vie.

Vous voulez, ajoûte Democede voir mes eftampes, & bien-tôt il lest étale & vous les montre. Vous en rencontrez une qui n'eft ni noire ni nette, ni deffinée, & d'ailleurs moins propre à être gardée dans un cabinet, qu'à tapiffer un jour de fête le petit-pont ou la ruë neuve: il convient qu'elle eft mal gravée, plus mal deffinée, mais il affure qu'elle cft d'un Italien qui a travaillé peu, qu'elle -n'a prefque pas été tirée, que c'eft la feule qui foit en France de ce deffein, qu'il l'a achetée très-cher, & qu'il ne la changeroit pas pour ce qu'il a de meilleur. J'ai, continue-t-il, une fenfible affliction, & qui m'obligera de renoncer aux eftampes pour le refte de mes jours: j'ai tout Calet hormis une feule qui n'eft pas à la verité de fes bons ouvrages, au contraire c'est un des moindres, mais qui m'acheveroit Calot, je travaille depuis vingt ans à recouvrer cette eftam

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CHAP.

XIIE

DE LA pe, & je defefpere enfin d'y réüffir ? MODE. cela eft bien rude.

Tel autre fait la fatyre de ces gens qui s'engagent par inquiétude ou par curiofité dans de longs voyages, qui ne font ni mémoires ni relations, qui ne portent point de tablettes, qui vont pour voir, & qui ne voyent pas, ou qui oublient ce qu'ils ont vû, qui defirent feulement de connoître de nouvelles tours ou de nouveaux clochers, & de paffer des rivieres qu'on n'appelle ni la Seine ni la Loire, qui fortent de leur patrie pour y retourner, qui aiment à être abfens, qui veulent un jour être revenus de loin : & ce fatyrique parle jufte, & fe fait écouter.

Mais quand il ajoûte que les Livres en apprennent plus que les Voyages, & qu'il m'a fait comprendre par fes difcours qu'il a une Bibliotheque, je souhaite de la voir : je vais trouver cet homme qui me reçoit dans une maison, où dès l'efcalier je tombe en foibleffe d'une odeur de maroquin noir dont fes livres font tous couverts. Il a beau me crier aux oreilles pour me ranimer,

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