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amie, condamnée par l'Église et enfermée à la Bastille. Le livre des Maximes des saints 1, où il reproduisait les idées de madame Guyon, acheva sa disgrâce. Bossuet le dénonça comme entaché de quiétisme; madame de Maintenon abandonnna l'archevêque, et, sans attendre la décision du pape saisi de cette affaire, Louis XIV renvoya Fénelon dans son diocèse avec défense d'en sortir 2. Le duc de Bourgogne se jeta vainement aux pieds du roi pour sauver son maître, Louis XIV resta inflexible : « Mon fils, lui dit-il, je ne puis faire de ceci une affaire de faveur; il s'agit de la pureté de la foi, et monseigneur de Meaux en sait plus sur cette partie que vous et moi. » Le prince obtint seulement que l'archevêque conserverait son titre de précepteur des enfants de France.

Les Maximes des saints avaient provoqué l'exil de Fénelon, le Télémaque le rendit irrévocable. Ce livre, qui devait immortaliser l'auteur, parut sans son aveu. Un domestique infidèle, chargé de copier le manuscrit, le vendit au libraire Barbin. Déjà le Télémaque s'imprimait quand la police vint saisir les épreuves. Mais quelques-unes avaient échappé ; les éditeurs de Hollande réimprimèrent l'ouvrage et en inondèrent l'Europe. Les courtisans ne manquèrent pas de relever les allusions du livre Télémaque, disaient-ils,

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fut mise à la Bastille. Elle en sortit en 1702 et mourut oubliée à Blois, sous la Régence, en 1717. Elle était née à Montargis en 1648.

1 Publié en janvier 1697, et condamné en mars 1699.

2 Octobre 1698.

3 Juin 1699.

c'est le duc de Bourgogne; Mentor, c'est Fénelon; Tyr, la libre et florissante république, c'est la Hollande; Protésilas, l'impitoyable ministre, c'est Louvois; Idoménée, le monarque orgueilleux et conquérant, qui ruine son peuple par des guerres continuelles, c'est le roi lui-même. Louis XIV n'aimait pas déjà Fénelon, qu'il nommait un bel esprit chimérique, mais après l'apparition du Télémaque, sa froideur se changea en haine. Il raya lui-même l'archevêque de la liste des officiers de sa maison, où il était resté avec le titre de précepteur des enfants de France. La police surveilla ses démarches, intercepta ses lettres, fouilla et arrêta ses gens jusque dans Paris 1. La correspondance entre le duc de Bourgogne et l'archevêque demeura interrompue. Au bout de quatre ans seulement, le prince put adresser à son maître une lettre dans laquelle il l'assurait que loin d'être refroidie, son amitié avait grandi par le malheur 2.

Relégué à Cambrai, sans espérance d'en sortir, du moins tant que vivrait Louis XIV, Fénelon y mena

1 M. Depping. Correspondance administrative sous le règne de Louis XIV. Introduction, t. II.

2 « Enfin, mon cher archevêque, je trouve une occasion favorable de rompre le silence où j'ai demeuré depuis quatre ans ! J'ai souffert bien des maux depuis, mais un des plus grands a été de ne point vous témoigner ce que je sentois pour vous pendant ce temps, et que mon amitié augmentoit par vos malheurs, au lieu d'en être refroidie. Je ne vous dirai point ici combien je suis révolté moi-même contre tout ce qu'on a fait à votre égard; mais il faut se soumettre à la volonté de Dieu.... Ne me faites pas de réponse, à moins que ce ne soit par quelque voie très-sûre ».......... Lettre du duc de Bourgogne, 22 décembre 1701. Correspondance générale de Fénelon.

une vie sobre et laborieuse, conforme à son caractère et à ses goûts. Il se levait de grand matin, s'occupait de son diocèse et donnait le reste du temps au travail et à la nombreuse correspondance qu'il entretenait avec ses amis. Ses seules distractions étaient de longues promenades à pied dans la campagne. Il se plaisait à contempler le calme et la majesté de cette nature dont la vue réveillait dans son âme l'idée du Créateur et lui causait un profond sentiment d'admiration et de reconnaissance. La solitude lui rappelait l'absence des personnes aimées : « Nous avons eu de beaux jours, écrit-il à l'abbé de Beaumont, son neveu, nous nous sommes promenés, mais vous n'y étiez pas... « Je fais des promenades, écrit-il au marquis de Fénelon, son autre neveu, toutes les fois que le temps et mes occupations le permettent, mais je n'en fais aucune sans vous désirer... Je me trouve en paix dans le silence devant Dieu! Oh! la bonne compagnie! On n'est jamais seul avec lui 1. » Si quelques personnes l'accompagnaient, l'archevêque s'entretenait volontiers des graves questions qui troublent les hommes, laissant pour ainsi dire couler ce miel attique, que Dieu avait mis sur ses lèvres. A le voir ainsi dans la campagne, s'entretenant avec les siens, on eût dit un des philosophes du Lycée passant avec ses disciples. Au milieu de la guerre qui ravageait les environs, les alliés lui offrirent plusieurs fois des escortes qu'il refusa. Les Anglais surtout, qui

1 Correspondance de Fénelon.

voyaient en lui un champion de la liberté, lui rendaient un véritable culte. Marlborough pendant toute la guerre, fit respecter ses domaines 1. Il avait ordonné qu'on le laissât passer librement, et l'archevêque visitait les malades, assistait les pauvres, ramassait les blessés, à travers les armées ennemies, comme un messager de paix et un apôtre de charité.

Malgré ces hommages de l'Europe, une vie si pure et si remplie, Fénelon souffrait cruellement de l'exil. Son corps était à Cambrai, mais son âme, à Versailles, près du duc de Bourgogne, son fils bien-aimé, et de deux hommes éminents et considérables, les ducs de Beauvilliers et de Chevreuse, avec lesquels il correspondait secrètement.

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Les ducs de Beauvilliers et de Chevreuse 3 occupaient à la cour les plus hautes fonctions. Le premier était président du conseil des finances, avec l'entrée et le vote au conseil des ministres; le second était

1 « Les hussards même du prince Eugène respectoient cette défense.» Ramsay, p. 90.

2 Paul de Beauvilliers, duc de Saint-Aignan, né en 1648, ancien ambassadeur à Londres, était en outre gouverneur de Loches et du Havre, grand d'Espagne de première classe, et premier gentilhomme de la chambre.

3 Charles de Chevreuse était le fils de ce duc de Luynes, qui s'était fait bâtir un château à Vaumurier, à cent pas de Port-Royal et de cette sainte duchesse de Luynes, janséniste comme son mari, inhumée dans l'église de l'abbaye. On l'appelait le bon duc. C'était un gentilhomme éclairé, instruit, ami des lettres, et très-versé dans les finances et la politique. Il a laissé plusieurs manuscrits, qui ont tous pour but de faciliter le commerce et de diminuer les impôts. M. le duc de Luynes, son digne petit-fils, les conserve encore. Nous avons à ce sujet de doubles remercîments à adresser à M. le duc de Luynes et à M. Huillard-Bréholles.

ministre secret et honoraire; tous deux anciens gouverneurs des enfants de France, tous deux ducs et pairs, tous deux unis par les liens de la plus étroite amitié, tous deux mariés à des filles de Colbert, qui s'aimaient comme leurs maris. Une grande et légitime réputation de science, de vertu et d'honneur s'attachait à leurs noms et désarmait la malveillance habituelle des courtisans.

Tous les deux avaient donné à l'archevêque les plus éclatantes preuves de leur attachement. Le lendemain de sa nomination au poste de gouverneur des enfants de France, Beauvilliers alla trouver le roi en lui demandant de lui adjoindre Fénelon comme précepteur. Lors de la publication des Maximes des saints, le duc de Chevreuse s'établit chez l'imprimeur et y corrigea lui-même les épreuves, ce qui lui attira quelque temps la froideur de Louis XIV. Après la disgrâce de l'archevêque, les ducs seuls lui restèrent fidèles. Le roi pressa vainement Beauvilliers de rompre avec son ami, en le menaçant d'une disgrâce: « Je suis, répondit Beauvilliers, l'ouvrage de votre Majesté ; elle m'a élevé, elle peut m'abattre; dans la volonté de mon prince je reconnaîtrai celle de Dieu, et je me retirerai, Sire, avec le regret de vous avoir déplu, mais avec l'espérance de mener une vie plus tranquille.» Ces paroles touchèrent Louis XIV. II ferma les yeux, et Beauvilliers et Chevreuse continuèrent leur correspondance avec l'archevêque.

Ils travaillaient en même temps avec le duc de Bourgogne, écrivant pour lui de nombreux mémoires

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