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BARSINE.

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Non, il ne me déplaît point, puisqu'il faut vous le dire; mais je ne veux pourtant pas le suivre. Vous savez assez mes raisons. Nos naissances et nos fortunes sont trop disproportionnées, je veux être bien sûre que vous ne vous repentirez pas un jour d'un mariage si inégal, et je ne vous ai pas encore assez éprouvé. Représentez-vous bien que vous êtes un des premiers citoyens de Sidon, et que moi je ne suis que la fille d'un jardinier; que vos parens, vos amis, tout Sidon me reprochera à vous; que la gloire que vous venez d'acquérir pendant le siége...

AGÉNOR.

Je ne puis vous laisser poursuivre un discours qui offense tout ce que j'ai de plus cher au monde. Non, non; votre beauté, et ne parlons pas même de la beauté, si vous ne voulez, les qualités de votre esprit et de votre âme que le monde commence à connaître, et qu'il connaîtra encore mieux, justifieront assez mon choix; que dis-je? justifier le feront louer, le feront envier des plus orgueilleux, des plus entêtés de leur rang.

BARSINE.

Je m'assure bien du moins que ma conduite à votre égard, mes sentimens pour vous n'entreraient pour rien dans les reproches qu'on vous ferait: mais croyez-moi, on vous en ferait encore; et s'ils vous faisaient la moindre impression, que deviendrais-je, grands dieux ! Je ne me sens point de courage pour soutenir un si affreux malheur.

AGÉNOR.

Quelle opinion vous avez de moi! Est-ce là tout ce que j'ai mérité par un amour si tendre ?

BARSIN E.

Il faut que j'aie eu bonne opinion de vous, pour me résoudre seulement à vous écouter : j'ai cru que vous pouviez être capable de préférer aux avantages de la naissance et de la fortune, un caractère qui vous conviendrait, de la fidélité, de la tendresse ; je l'ai cru d'autant plus facilement, que je sens en moi de quoi en faire autant; je ne balancerais pas un moment entre ce que j'aimerais et un trône : et que ne suis-je en votre place pour vous le prouver! Que ne puis-je !...

AGÉNOR.

Adorable Barsine, vous me transportez de joie ; je meurs d'impatience de faire voir à tout le monde combien je suis touché d'un caractère tel que le vôtre. C'est par vanité, aussi-bien que par amour, que je veux m'unir à vous. Loin de craindre des reproches, c'est de la gloire que je cherche.

BARSINE.

Ce que je viens de vous dire vous transporte trop. Ce n'est qu'un discours qui ne peut jamais avoir d'exécution, qui ne m'engage à rien, et que pourrait vous tenir, aussi-bien que moi, une personne artificieuse qui voudrait vous enflammer encore; ne comptez cela pour rien. Je sais ce que je serais capable de faire pour vous, je sais quelle serait la fermeté de mes sentimens; je suis bien sûre de moi mais je crains de ne l'être pas encore autant de yous, et j'attends que je le sois, pour vous permettre de me demander à mon père, de qui vous aurez l'aveu dans l'instant. Je veux que vous ayez eu tout le temps de faire vos réflexions sur une démarche aussi hardie que celle de m'épouser.

:

AGÉNOR.

Toutes mes réflexions sont faites, et elles sont toutes pour

yous.

BARSINE.

Je veux vous laisser le loisir de faire aussi les réflexions contraires; elles viendront peut-être à leur tour.

AGÉNOR.

Je les cherche moi-même, et je ne les trouve point. Où voulezvous que je les prenne? Je vous en fais juge vous-même: mais parlez-moi de bonne foi; dites-moi ce que je vois en vous qui ne doive pas me charmer, me ravir, me combler d'amour?

BARSINE.

Vous me faites bien repentir d'avoir été trop sincère avec vous. Si je vous avais caché ce qui est dans mon cœur, vous ne seriez pas en droit de me presser tant, et je vous éprouverais bien plus à mon aise mais n'importe; vous n'en serez pas plus avancé. Je vous ai laissé connaître mes sentimens ; je sais que le plaisir d'être aimé vous donne plus de passion que vous n'en eussiez eu peut-être sans cela; je vous en éprou verai avec plus de rigueur, et plus long-temps.

AGÉNOR.

Mais pendant ce temps-là il me viendra des rivaux.

BARSIN E.

Des rivaux ! Vous m'offensez, Agénor.

AGÉNOR.

Je tremble que Hannon ne le soit déjà.

BARSINE.

Il ne m'a jamais rien dit; et d'ailleurs, je vous garantis qu'il ne serait pas homme à vouloir, comme vous, épouser la fille d'un jardinier.

AGÉNOR.

Mais je m'aperçois que de jour en jour il vous regarde avec plus d'attention, et je démêle de l'amour dans ses regards. De plus, il ne me parle jamais de vous ; et comme je ne lui en parle pas non plus, et que je sais pourquoi, cela m'est suspect.

BARSIN E.

Je n'ai que faire d'entrer dans des discussions si délicates, elles ne vous intéressent en aucune façon. Adieu, Agénor; il y a peut-être déjà trop long-temps que nous sommes ensemble, on se douterait de notre intelligence.

AGÉNOR.

Encore un mot, de grâce. Ce mystère-là même que vous voulez qui soit observé avec tant de soin, croyez-vous qu'il puisse durer encore long-temps.

BARSINE.

Il faut bien qu'il dure. Je consens à vous écouter sans en avoir parlé à mon père, parce que je ne veux pas pour votre honneur que personne sache que vous m'ayez aimée jusqu'au moment que je me résoudrai à être à vous, et que s'il arrivait que je ne m'y résolusse pas, je croirais vous laisser une tache. Continuons à nous conduire comme nous avons commencé ; trop de votre intérêt.

AGÉNOR.

il

y va

Hé bien, je vous avertis que dans le fond de mon cœur, je ne crains point que ce secret-là éclate; que je ne me contrains autant que je fais pour le garder, que par soumission pour vous; que malgré tous nos soins, ou Hannon, ou Elise, ou quelqu'un enfin le découvrira; que vous avez tout à craindre des traits involontaires de passion qui m'échapperont, de mes yeux qui me trahiront, de mon attention indispensable pour vous, de mon empressement invincible à vous chercher; et ne vaudrait-il pas mieux sortir d'une situation si cruelle et si dangereuse, où vous ne nous retenez que par un vain scrupule? Cruelle Barsine, pourquoi voulez-vous différer tout le bonheur de ma vie? Vous me flattiez de quelque sensibilité pour mon amour. Hélas! quelle sensibilité !

BARSINE.

Vous abusez de ma faiblesse pour vous. Adieu, Agénor, faites ce que vous voudrez.

AGÉNOR.

Ah! je suis le plus heureux de tous les hommes. Je cours chez Abdolonime.

ACTE II.

SCÈNE PREMIÈRE.

ÉLISE, BAR SINE.

ÉLISE.

Tu m'en vois encore toute en colère. Il m'est venu remercier de ce qu'à ta prière j'ai bien voulu parler à mon frère pour lui; je crois que son affaire se fera, et il en est dans un grand transport de joie.

BARSIN E.

Il n'y a point de mal à cela.

ÉLISE.

Non; mais en me parlant du violent désir qu'il a de s'élever, il m'a insinué que ce n'était pas seulement l'ambition qui en était la cause; qu'il était susceptible de certains sentimens qui ne serviraient qu'à le tourmenter, à moins qu'il ne fût dans quelque poste qui lui donnât la hardiesse de les découvrir.

BARSIN E.

Il n'y a point encore de mal.

ÉLISE.

Il y en a. Pourquoi me vient-il tenir de pareils discours? Qu'ai-je affaire, moi, de ces certains sentimens qu'il a, ou qu'il n'a pas ?

BARSINE.

Il est vrai qu'il aurait aussi-bien fait de les garder sans en rien dire; mais, au fond, ce n'est qu'un discours mal placé.

ÉLISE.

Il était mal placé ; mais pourtant je suis bien trompée, s'il ne le plaçait à dessein. Quand il m'aurait voulu faire une déclaration d'amour, il ne m'aurait pas parlé d'une autre manière, ni jeté des regards plus passionnés.

Ah! madame...

BARSINE.

ÉLISE.

Cela est ainsi. Je sais bien ce qui le rend si audacieux. Il est bien fait, ce garçon-là; car vous êtes une belle race, vous autres. Il a du courage, et il s'est fait une bonne réputation; tout cela peut lui donner de la témérité.

BARSINE.

Elle serait trop grande, si vous en étiez l'objet; aussi je ne le

erois pas. Apparemment il a quelque autre passion qui est encore téméraire, quoiqu'elle le soit moins.

Est-ce que tu le sais?

ÉLISE.

BARSINE.

Non mais je le présume sur tout ce qu'il vous a dit.

ÉLISE.

Si tu ne sais pas positivement qu'il ait de l'amour pour quelque autre, c'est à moi qu'il en voulait tout à l'heure. Comment te parle-t-il de moi, quand vous n'êtes que vous deux en pleine liberté ?

BARSINE.

Ah! madame, s'il ne tenait qu'à cela, la chose serait bien sûrement décidée. Il vous trouve la plus charmante personne du monde, et la plus accomplie. Il ne parle de vous qu'avec une espèce de transport. Je ne me suis pourtant pas aperçue qu'il oubliât ce que nous sommes nés tous deux.

ÉLISE.

Je suis véritablement fâchée que le ciel ne vous ait traités.

BARSINE.

pas mieux

Pour moi, je ne me plains pas; je suis plus glorieuse d'être fille d'un homme de bien tel qu'Abdolonime, que si j'étais celle d'un roi haï ou méprisé : mais lui, je crois qu'il aimerait autant、 être fils d'un roi, à tout hasard.

ÉLISE.

Il pense noblement; je lui en sais bon gré. Tu vois que je ne suis pas injuste mais avec tout cela il ne faut pas qu'il s'imagine qu'il n'y a qu'à venir faire des déclarations à des personnes comme moi.

BARSINE.

Je vous réponds que je lui dirai bien tout ce qu'il mérite.

ÉLISE.

Non, il ne lui faut rien dire. Je n'ai eu garde de m'appliquer tout son beau discours; je n'y ai rien entendu : je l'ai renvoyé fort froidement ; et à l'heure qu'il est, j'ignore son extravagance. N'oublie pas que je l'ignore au moins ; tu irais lui faire une querelle qui gâterait tout cela ne doit pas avoir laissé de trace. Mon frère vient; tu peux le solliciter encore pour Narbal.

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