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NARBAL.

Mon père, que je vous suis obligé !

ABDOLONIME.

Oui, tu m'es bien obligé, car je n'aime point à demander aux grands : je ne suis point accoutumé à ce métier-là ; je me suis toujours bien passé d'eux avec mon jardin. Je sais bien que je ne suis qu'un pauvre homme, et que je ne dois pas être si fier; il faut pourtant que je le sois dans le fond, et plus que grands seigneurs, que j'entends dire qui demandent toujours.

NARBAL.

les

Mais, mon père, il faut bien demander à ceux qui sont maîtres des grâces, quand on veut faire quelque chose dans le monde.

ABDOLONIME.

Qu'appelles-tu faire quelque chose? Est-ce que je n'ai rien fait quand j'ai cultivé mon jardin, et que je l'ai rendu d'un si bon rapport, que j'en ai subsisté avec ta mère, ta sœur et toi, et qu'à présent que je suis soulagé de vous tous, je me trouve dans l'abondance?

NARBAL.

En vérité, mon père, avec le respect que je vous dois, ce n'est pas là ce qui s'appelle........

ABDOLONIME.

Oh! ne te fâche point, je ne prétends pas te contredire. Va, tu seras capitaine; grand bien te fasse !

SCÈNE III.

ABDOLONIME, NARBAL, BARSINE.

BARSINE.

Eu! bonjour, mon cher père ; j'ai su que vous étiez ici, et je

suis accourue bien vite pour vous embrasser.

ABDOLONIME.

Bonjour, ma chère enfant. En vérité je trouve que tu embellis tous les jours.

Ne

me louez

BARSIN E.

pas sur la beauté, mon père, car vous vous loueriez vous-même. On dit que j'ai tous vos traits.

ABDOLONIME..

Eh bien, cela ne gâte rien; ressemble-moi aussi par le contentement dont je suis dans mon petit et très-petit état. N'es-tu pás toujours bien contente du tien?

BARSIN E.

Oui, toujours. Elise a toujours les mêmes bontés pour moi, et je ne saurais jamais lui en marquer trop de reconnaissance. Il est vrai qu'elle est, si vous voulez, un peu fière mais comme nous n'avons rien à démêler ensemble, et que je ne suis faite pour lui obéir, cela ne m'incommode pas.

ABDOLONIME.

:

que

Sur trois que nous sommes, nous voilà donc deux contens, c'est beaucoup. Pour ce pauvre garçon-ci, il n'est pas des nôtres; il se ronge le cœur et je parie que dans le fond de son âme il est bien fâché d'être mon fils.

Ah! mon père.

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NARBAL.

ABDOLONIM E.

Va, va, je te le pardonne. Je suis bien fâché aussi que tu le sois ; j'aimerais mieux que tu fusses celui de quelque grand seigneur, puisque je ne puis pas être grand seigneur moi-même : mais tout cela est comme il peut, il faut prendre patience. Du moins, ma fille, nous l'allons faire capitaine. Hannon le fera entrer en cette qualité dans les troupes d'Alexandre ; et comme ces messieurs-là pillent et ravagent à gogo, il aura bientôt fait fortune.

NARBAL.

En ce cas-là, mon père, je vous prierais bien de quitter votre jardin.

ABDOLONIME.

Quitter mes couches de melons, mes figuiers, et tout le reste à quoi je dois la vie, et toute ma joie ! Non pas, non pas, je ne suis pas si ingrat ; mais ce n'est pas là la question. Barsine, il faut que tu parles à Elise, afin qu'elle fasse agir son frère Hannon avec encore plus de vivacité. Narbal, tu vois que je m'intéresse à ton affaire, et que je ne laisse pas de bien entendre comment il faut la conduire. Adieu, mes enfans; je retourne à mon jardin, dont il y a long-temps que je suis sorti, et qui a peut-être besoin de ma présence. Nous ne saurions nous passer l'un de l'autre, mon jardin et moi.

SCÈNE IV.

NARBAL, BARSINE.

NARBAL.

Nous avons là un père qui est assurément un homme de bien,

un honnête homme; mais il est bien singulier.

BARSIN E.

C'est la faute des autres, s'il l'est. Ils devraient tous, s'ils avaient du bon sens, être fait comme lui, et il ne serait plus singulier.

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Certainement il n'a pas une certaine élévation de sentimens.

BARSINE.

Que veux-tu dire avec ton élévation de sentimens ? Il n'y a point de satrape à la cour de Perse; ni de général à celle d'Alexandre, qui ne fit une bassesse plutôt que lui. Ils en feraient, tous tant qu'ils sont, cent des mieux conditionnées pour le plus petit intérêt, et il n'en ferait pas la moindre pour une

Couronne.

NARBAL.

Tu diras tout ce que tu voudras, ma sœur; ce n'est point avoir les sentimens élevés, que d'aimer tant ce malheureux jardin, et de s'y borner absolument comme il fait. Pour moi j'y suis né; mais par Jupiter, par Hercule, par tous les dieux, je n'y mourrai pas. Aide-moi à devenir quelque chose, ma chère sœur, parle en ma faveur à Elise.

BARSINE.

Cela est arrêté, je le ferai, et de la bonne sorte.

NARBAL.

Mais tâche à lui dire beaucoup de bien de moi.

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Je te l'avoue, j'en suis désespéré; mais il n'y a pas de remède, j'y ai fait tout ce que j'ai pu. Ai-je tort quand je voudrais être d'une naissance considérable, ou parvenir du moins à quelque rang? Je ne serais pas dans la cruelle situation où je me trouve. Mais, après tout, Elise doit avoir entendu parler avantageusement de moi en plusieurs occasions, pendant tout le cours de notre siége. Je suis aussi bien, ce me semble, de ma figure, que

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la plupart de nos jeunes gens les plus qualifiés de Sidon; je n'ai point l'air de ma naissance non plus que toi, ni que notre père même qui a plus vécu dans l'obscurité que nous. J'ai plus d'amour qu'on n'en a jamais eu, ma sœur: pourquoi m'ôter toute espérance?

BARSINE.

Je ne te l'ôte point, je ne t'ai encore rien dit.

NARBAL..

Tu crois donc que je puis lever les yeux jusqu'à Elise? Tu dis vrai. L'amour ne regarde pas de si près à l'égalité des conditions, et il a bien fait des assortimens plus extraordinaires.

BARSIN E.

Je te répète que je ne t'ai encore rien dit. Tu parles, tu réponds; je ne vois que trop l'état où tu es, et je te plains beaucoup. Tu sais quelle est la fierté d'Élise peux-tu penser qu'elle s'abaissât jamais jusqu'à toi? Tu veux aller servir dans l'armée d'Alexandre; va, et guéris-toi par l'éloignement.

NARBAL.

Je n'y veux aller que pour tâcher d'y faire des actions qui me rendent digne d'elle.

BARSINE.

Hé bien, va les faire, et quand elles seront faites, nous

verrons.

NARBAL.

Mais il faut auparavant qu'Élise ait quelque connaissance de mes sentimens pour elle ma chère sœur, c'est à toi de m'y servir; il n'est point question de me rien représenter.

BARSINE..

Je ne te puis rien pronlettre; car peut-être ne trouverais-je pas en un an l'occasion qu'il faudrait : mais si je la trouve, je te servirai autant qu'il sera possible.

NARBAL.

Tu ne m'y parais pas aussi bien disposée que jé le désirerais.

BARSINE.

En vérité tu te trompes. Va, et laisse-moi faire.

BARSINE.

SCÈNE V.

JE

E n'entrais que faiblement dans toutes ses vues d'ambition, et je sens que son malheureux amour m'intéresse beaucoup davantage.

Hélas! je ne sais que trop quelle est la cause de cette différence. Mais me voici seule, et Agénor ne vient point. Il est vrai qu'il n'a pas encore beaucoup manqué. Ah! je le vois.

SCENE VI.

AGÉNOR, BARSINE.

AGÉNOR.

Me voici donc arrivé, aimable Barsine, au moment que j'attends depuis deux jours entiers, que je désirais avec tant d'ardeur. Quel supplice d'être ici en même lieu que vous, et de ne vous voir seule que si rarement; d'être obligé de vous parler sans cesse avec une indifférence dont mon cœur me refuse toutes les expressions; de chercher toujours vos regards, et de craindre toujours de les rencontrer! Non, vous ne concevez point assez la cruelle violence que je me fais.

BARSINE.

Vous êtes trop injuste. Est-ce que dans ces occasions-là je vous parle, moi, comme je voudrais? est-ce que j'agis naturellement? Je vous assure que quoique je sois fille, il n'y aurait rien au monde que j'aimasse tant que de ne point jouer la comédie, et de dire tout ce que j'ai dans le cœur.

AGÉNOR.

Y gagnerais-je quelque chose?

BARSIN E.

Oh! que vous n'en doutez pas ! Dès que j'ai été sensible à votre amour, ne vous l'ai-je pas avoué, ou à peu près avoué? Je ne suis que trop vraie, et n'entends que trop peu tout le petit manége de dissimulation des femmes.

AGÉNOR.

Et c'est une des choses que j'adore le plus en vous, belle Barsine; quelle comparaison de vous aux autres ? mais je veux imiter votre franchise, et vous déclarer nettement que pendant les deux jours que j'ai eu à faire des réflexions, j'ai pris la résolution de vous désobéir, de sortir de l'état où je suis, d'aller me déclarer à Abdolonime, et vous demander à lui.

BARSIN E.

Ah! si vous m'aimez, ne le faites pas, Agénor.

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