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Quelques petits Amours de vie assez frugale,
Lorsqu'il dit aux premiers: Revenez sur vos pas,
Je vous ferai servir des viandes moins légères;
Pour moi vous souffrirez que je n'y touche pas,
Il faut que je m'en tienne à mes mets ordinaires.

Il parut aussitôt un service dont tous les Amours furent fort satisfaits. Comme leur hôte mangea fort peu, il s'appliqua à les divertir par son entretien. Il leur apprit que sa naissance avait été précédée de quelques prodiges; car ce n'était pas un Amour du commun. Ces prodiges étaient que, quelque temps avant qu'il naquît, le feu avait pris à tous les livres de morale qu'avait son père, nommé Tircis, jeune homme qui faisait fort le philosophe; et que le Mercure galant étant apparu une nuit en songe à sa mère Iris, lui avait dit ces mots : aime, et je t'immortalise. La conversation tourna ensuite sur Tircis et sur Iris même; on demanda au maître du festin comment ils étaient ensemble, ou s'il l'aimait mieux, comment Tircis était dans l'esprit d'Iris. Voici sa réponse.

"

Ce Tircis qui lui rend mille hommages constans,
Aux dépens de son cœur veut qu'elle les achète.
Iris, qui ne saurait désavouer la dette,

Pour le payer lui demande du temps.
Cependant, s'il reçoit une œillade flatteuse,

Et quelques mots douteux qu'il entend comme il veut,
Il croit que sa fortune est encor trop heureuse;

Car d'une méchante payeuse,

On tire toujours ce qu'on peut.

Quand il lui dit qu'il faut qu'elle s'acquitte,

Qu'elle ne fait que s'endetter,

Elle dit que la dette est encor trop petite,
Pour se presser de l'acquitter;

Que quand elle sera plus grande,
Elle paîra les soins qui se trouveront dûs;
Et que c'est ce qu'elle demande
Que de s'endetter encor plus.

Peut-être que depuis le temps qu'elle diffère,

Sa promesse est un peu sujette à caution;

Peut-être tout d'un coup fera-t-elle l'affaire :

Qu'en croyez-vous, Amours? Voilà la question.

Là-dessus les avis furent partagés. Il y en eut qui dirent que vous m'aimiez, et ce fut là le plus petit nombre. Tout le reste prétendit que je n'étais point aimé, et leur opinion l'emporta par la pluralité des voix. Cette diversité d'avis vint de deux différens caractères d'Amours qui étaient là. Les uns étaient de ces Amours délicats qui raffinent sur les moindres choses, et qui se croient heureux sur la foi des interprètes muets. Les

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autres se moquaient de cette délicatesse, et ne se flattaient de la conquête des cœurs qu'à bonnes enseignes.

Iris aime déjà, disaient les délicats,

Puisqu'elle sent qu'il faut un jour qu'elle aime.
De son cœur ébranlé vous voyez l'embarras!
Cet embarras, c'est l'Amour même.

Quand d'un cœur, par surprise, il s'est fait recevoir,
Il ne veut pas d'abord s'en déclarer le maître :
Jusqu'à ce qu'il ait mieux établi son pouvoir,
Il se ménage trop pour oser y paraître.,

A la plus faible marque il faut le reconnaître,
Et l'on ne fait que l'entrevoir.

Qu'il est doux à Tircis, dont les yeux sans relâche
Cherchent du coeur d'Iris tous les replis secrets,
D'y démêler enfin un Amour qui se cache,
Et se trahit pourtant par de petits effets!
Peut-être quand Iris avouerait sa tendresse,
En entendre l'aveu serait plaisir moins grand,
Que de la découvrir par cette heureuse adresse,
Qui l'épie et qui la surprend.

De ces raffinemens, la méthode est subtile,
Répliquaient les Amours de l'avis opposé :
Mais si sur ces garans Tircis s'est reposé,
Tircis n'est pas trop difficile.

Puisqu'il ne faut, pour contenter vos vœux
Qu'un peu d'espérance incertaine,
Sans doute ce n'est pas la peine
Qu'Iris en fasse un amant malheureux.
Quelquefois exiger trop de reconnaissance,
C'est le moyen de n'être pas content.
Il se peut qu'en ce cas la belle se dispense
De payer comme on le prétend,
Et vous voilà sans récompense.

Mais quand heureusement un esprit se repaît
De ces chimères délicates

Qui vous font dans un cœur voir tout ce qui vous plaît,
On ne saurait trouver d'ingrates.

Pauvres Amours, connaissez votre erreur;
Laissez là, laissez là vos fines conjectures.
Pour croire qu'on a fait la fortune d'un cœur
Il faut des preuves bien plus sûres.
Quand la belle a dit à l'amant,

Je partage avec vous l'amour que je vous donne,
La preuve est bonne assurément,

Et cependant elle n'est pas trop bonne.
On pourrrait souhaiter quelque chose de mieux,
Sans souhaiter rien de trop tendre.

Mais enfin un aveu si doux, si glorieux,

Quoiqu'il n'ait point de suite, est toujours bon à prendre.

Si ce n'est être heureux, c'est du moins être aimé,

C'est de quoi satisfaire un esprit raisonnable.

Quant au bonheur que Tircis s'est formé,

C'est un 'bonheur d'amant très-misérable.

Cette contestation aigrit les esprits, et les Amours ne disputèrent pas long-temps sans venir jusqu'aux reproches. Les délicats disaient aux autres, qu'ils étaient trop grossiers pour goûter ces fins plaisirs de voir les progrès qu'on fait peu à peu dans un cœur qui se défend, et dont la résistance est poussée à bout. Ceux qu'ils accusaient de grossièreté, repoussaient l'injure, en disant qu'avec tous leurs raffinemens de délicatesse, ils avaient tellement quintessencié l'amour, qu'on ne savait plus ce que c'était qu'être aimé.

Et comme les Amours ont le sang un peu chaud,

Et que la moindre bagatelle,

Un rien même, est tout ce qu'il faut
Pour faire entre eux une grosse querelle,
Ils mettaient tous déjà la main à leurs carquois;
Déjà pour le combat ils préparaient leurs armes
Et remplissaient les airs de leurs confuses voix;
Ce n'étaient plus que troubles et qu'alarmes,
Déjà petits Amours contre petits Amours
Commençaient fièrement une guerre civile,
Si l'hôte n'eût tâché, par ses sages discours,
D'apaiser promptement leur bile.

Il leur fit concevoir combien leur question
Etait pour eux de légère importance;
Et leur dit que chacun tînt son opinion,
En attendant la fin de votre indifférence,
Qui donnerait bientôt une décision.

Cet avis fit cesser leur ardeur belliqueuse;

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Et quand la paix fut faite, ils tombèrent d'accord
Que c'était vous qui seule aviez eu tort

De laisser si long-temps la question douteuse.

Voilà, belle Iris, ce qui se passa dans ce festin. Vous devez penser à vous, car j'oubliais à vous dire que tous les Amours jurèrent qu'ils vous feraient un méchant parti, si vous ne décidiez pas promptement cette question qui avait causé un si grand désordre.

LES ZEPHIRS (1).

1680.

Ce fut entre les lieux où faisaient leur séjour,
L'un de l'autre éloignés, Tircis et sa bergère,
Que deux Zéphirs, députés par l'Amour
Pour exercer un tendre ministère,

(1) Il y a une autre pièce avec le même titre et sur le même sujet, page 175; mais ces deux morceaux sont différens.

Se rencontrèrent l'autre jour.

L'un portait à Tircis les soupirs que la belle
Envoyait au triste berger :
L'autre s'était voulu charger

Des soupirs du berger pour elle.
Car l'Amour a toujours mille et mille Zéphirs,
Qui, rangés à l'envi sous son obéissance,
Portent en tous lieux les soupirs

Que les cœurs amoureux poussent pendant l'absence,
Vers les objets de leurs désirs.

Nos deux Zéphirs d'abord se reconnurent,
Et voici l'entretien qu'ils eurent.

ZÉPHIR DE TIRCIS.

Je ne demande point, cher Zéphir, où tu vas;
Sans doute l'on t'envoie aux lieux que j'abandonne.
Ton ambassade est-elle bonne?

Et portes-tu bien de tendres hélas ?

ZÉPHIR D'IRIS.

Pas trop, et franchement j'en voulais davantage;
Car le peu de soupirs qu'on me donne à porter,
Ne me semble pas mériter

Qu'un Zéphir entreprenne un assez long voyage:
Mais dis-moi vite, es-tu bien chargé, toi?

ZÉPHIR DE TIRCIS.

Ah! vraiment je ne puis suffire
A tout ce que Tircis me veut donner d'emploi.
Porter tous ses soupirs! cela de bonne foi
Passe les forces d'un Zéphire.
Quoique j'aie assez voyagé

Pour les amans éloignés de leurs belles
Depuis qu'à ce métier on exerce mes ailes,
Jamais je ne fus si chargé.

ZÉPHIR D'IRIS.

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A ce compte, Tircis, grâce à l'inquiétude,
Et grâce aux peines qu'il ressent,
Fait les devoirs d'amant absent
Dans la dernière exactitude.

ZÉPHIR DE TIRCIS.

Sans doute on n'a point vu dans l'empire amoureux,
De passion plus exemplaire.

Il ne ressemble point aux amans du vulgaire,
Qui, dans l'éloignement, chagrins en dépit d'eux,
Pestant contre un Amour fâcheux,

Seraient ravis de s'en pouvoir défaire.
Tircis, quoique plongé dans un cruel ennui,
Ne l'accuse jamais de trop de violence :
Les maux que lui cause l'absence,

Puisqu'ils viennent d'Iris, ont des charmes pour lui.
Iris seule l'occupe; et quand il la regrette,
Il goûte la douceur secrète

D'en faire son seul entretien.
Puisqu'il ne voit point ce qu'il aime,
Il se fait un plaisir extrême

De ne prendre plaisir à rien.

Je ne sais pas, pour moi, comment on ose De cinq ou six soupirs, payer un tel amant;

Et je ne sais plus comment

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offrir si peu

de chose.

ZÉPHIR D'IRIS.

Il sera trop content, va, j'en suis assuré :
Mais vois-tu? je me persuade
Qu'Iris pourrait avoir un peu plus soupiré
Qu'il n'est dit dans mon ambassade.
Iris est un terrible esprit ;

Épargner les aveux, c'est sa grande maxime.
Elle envoie à Tircis, qui loin d'elle languit,
Quelques légers regrets par manière d'acquit :
Pour les soupirs trop doux, la belle les supprime.
Quant à ce pauvre amant, inquiet, éloigné,
Elle peut dérober une bonne partie

De la peine qu'elle a sentie,
Elle croit avoir bien gagné.

ZÉPHIR DE TIRCIS.

Aussi j'ai remarqué que d'une étrange sorte
L'Amour est défiant sur le compte d'Iris:
Il ne peut croire encor son cœur assez bien pris.
Témoin les ordres que je porte.

ZÉPHIR D'IRIS.

Quels ordres portes-tu?

ZÉPHIR DE TIRCIS.

Telle est expressément,

Dans le séjour d'Iris, la loi qu'Amour impose,
Que tout de son berger lui parle à tout moment;
Car on craint que son cœur n'en parle rarement,
Si sur son cœur on s'en repose.

Si la belle Iris rêve à son tendre berger,

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