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PLACET

Présenté par un officier de marine à M. le comte de
Pontchartrain, qui était pour lors jeune conseiller au
Parlement, et qui fut depuis ministre de la marine (1).
Ou la Gaillarde, ou la Badine,
Ou l'Alcyon; en voilà trois.
Il faut, seigneur, que votre choix
En peu de temps se détermine.
Mais à l'humeur qui vous domine,
Assez aisément je prévois

Que j'aurai de vous la Badine.
Si la Badine toutefois
Etait une jeune blondine,
Ou brunette à joli minois,
Piquante, vive, un peu mutine
Fringante jusqu'aux bouts des doigts,
Vous ne seriez pas si courtois
Que de m'accorder la Badine,
Et jamais je n'en tâterais.
Ains vous iriez à la sourdine,
Oubliant les sacs et les lois,
Et toute autre bonne doctrine,
En badinant prendre les droits
Que donne une ardeur libertine,
Dans le temps où l'ombre et Cyprine
Favorisent les doux exploits
Auxquels la jeunesse est encline.
Mais non; seigneur, cette Badine,
Dont l'amour me met aux abois,
Ce n'est point ce qu'on s'imagine.
C'est, ou je me donne cent fois
Au noir mari de Proserpine,
Ou bien au diable en bon français,
C'est une certaine machine
Faite communément de bois,
Qui vogue sur l'onde marine,
Qui brise, fracasse, extermine,
Et souffle comme petits pois,
Les enfans d'une couleuvrinę.
Qu'il ferait beau voir ma Badine,

(1) L'officier demandait le commandement d'une frégate.

En se jouant prendre un Anglais,
Qui soudain prendrait une mine
Sérieuse et même chagrine
Et se plaindrait en son patois,
Que semblable jeu le ruine!
Seigneur, écoutez donc ma voix:
Ainsi par la grâce divine,
Ou celle du plus grand des rois,
Puisse la mer qu'on vous destine
Vous obéir en peu de mois,
Depuis les bords de Palestine
Jusqu'aux rivages Iroquois !

EPIGRAMME

Contre Despréaux.

QUAND Despréaux fut sifflé sur son ode (1),
Ses partisans criaient dans tout Paris,
Pardon messieurs, le pauvret s'est mépris;
Plus ne louera, ce n'est

pas sa

Il va draper le sexe féminin ;

méthode.

A son grand nom vous verrez s'il déroge:
Il a paru cet ouvrage malin (2);

Pis ne vaudrait, quand ce serait éloge.

REPONSE

A une lettre de M. de Voltaire, écrite de Villars le premier septembre 1720, sur ce que le soleil avait un jour paru couleur de sang, et avait perdu de sa lumière et de sa grandeur, sans que l'air fút obscurci d'aucun nuage.

Vous

ous dites donc, gens de village, Que le soleil à l'horizon

Avait assez mauvais visage.

Hé bien, quelque subtil nuage
Vous avait fait la trahison

De défigurer son image.
Il était là comme en prison,
D'un air malade; mais je gage
Que fe drôle, en son haut étage,
Ne craignait pas la pâmoison.
Vous n'en saurez pas davantage,

(1) L'ode sur la prise de Namur.
(2) La satire des femmes.

Et voici ma péroraison. Adieu; votre jeune saison A tout autre soin vous engage; L'ignorance est son apanage, Avec les plaisirs à foison, Convenable et doux assemblage. J'avourai bien, et j'en enrage, Que le savoir et la raison Ne sont aussi qu'un badinage, Mais badinage de grison; Il est des hochets pour tout âge. Que dans son brillant équipage, Toujours de maison en maison L'inquiet Phébus déménage, Laissez-le en paix faire voyage Rabattez-vous sur le gazon. Un gazon, canapé sauvage, Des soucis de l'humain lignage Est un puissant contre-poison. Pour en avoir bien su l'usage, On chante encore en vieux langage Martin et l'adroite Alison. Ce n'est pourtant pas que je doute Qu'un beau jour qui sera bien noir, Le pauvre soleil ne s'encroûte, En nous disant : Messieurs, bon soir; Cherchez dans la céleste voûte Quelqu'autre qui vous fasse voir. Pour moi j'en ai fait mon devoir, Et moi-même ne vois plus goutte; Encore un coup, messieurs, bon soir. Et peut-être en son désespoir Osera-t-il rimer en oute, Si quelque déesse n'écoute. Mais sur notre triste manoir, Combien de maux fera pleuvoir Cette céleste banqueroute? On allumera maint bougeoir, Mais qui n'aura pas grand pouvoir:

Tout sera pêle-mêle, et toute

Société sera dissoute,

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Sans qu'on dise, jusqu'au revoir.

Chacun de l'éternel dortoir

Enfilera bientôt la route,

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DE

E rares talens pour la guerre

En lui furent unis au cœur le plus humain.
Jupiter le chargea de lancer le tonnerre;
Minerve conduisit sa main.

D'u

AUTRES VERS

A l'occasion des précédens.

UN assez bon cerveau ces vers-là sont éclos,
Dit-on; cette épigramme est bonne, assez bien faite.

Je suis flatté de ces propos;

Mais un scrupule m'inquiète.
L'extrême amour qu'on a pour le héros,
N'agit-il point en faveur du poëte?

LE ROSSIGNOL, LA FAUVETTE ET LE MOINEAU.

FABLE.

LE tendre rossignol et le galant moineau,

L'un et l'autre amoureux de la jeune fauvette,
Sur les branches d'un jeune ormeau,

Lui parlaient un jour d'amourette.

Le petit chantre ailé, par des airs doucereux,
S'efforçait d'amollir le cœur de cette belle.
Je serai, lui dit-il, toujours tendre et fidèle,
Si vous voulez me rendre heureux.

De mes douces chansons yous savez l'harmonie,
Elles ont mérité le suffrage des dieux.

Désormais je les sacrifie

A chanter vos beautés, votre nom en tous lieux;
Les échos de ces bois le rediront sans cesse ;
Et j'aurai tant de soin de le rendre éclatant,
Que votre cœur enfin sera content

De voir l'excès de ma tendresse.

Et moi, dit le moineau, je vous baiserai tant.....
A ces mots, le procès fut jugé dans l'instant
En faveur de l'oiseau qui porte gorge noire.
On renvoya l'oiseau chantant,

Voilà la fin de mon histoire.

En voici la morale, et qu'il faut retenir.

Beautés, qui tous les jours voyez dans vos ruelles
Un tas d'amans transis ne vous entretenir

Que de leurs vains soupirs, de leurs peines cruelles,
Et d'autres fades bagatelles,

Songez à préférer le solide au brillant.

On se passe fort bien de vers, de chansonnette;
Le talent du moineau, c'est là le vrai talent.
Je sais mainte Cloris du goût de la fauvette,

A moins qu'il ne se trouve un tiers oiseau donnant :
Alors il n'est pas étonnant

Que ce dernier gagne sur l'étiquette.

L'AMOUR NOYÉ (1).

1677.

PHILIS plongeait l'Amour dans l'eau,

L'Amour se sauvait à la nage;

Il revenait sur le rivage,

Philis le plongeait de nouveau.

Cruelle, disait-il, vous qui m'avez fait naître,
Hélas! pourquoi me noyez-vous?
Est-ce que vous voulez m'empêcher de paraître ?
Prenez-en un moyen plus doux.

Je ne paraîtrai point, c'est une affaire faite ;
Je ne vous ferais pas pourtant de déshonneur :
Au lieu de me noyer, donnez-moi pour retraite

Un petit coin de votre cœur.

́(1) On avait joué au jeu de noyer, où de deux personnes proposées à une troisième, celle-ci en noie une. L'auteur avait été noyé douze fois par une jolie personne qu'il aimait. Note de l'auteur.

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