Page images
PDF
EPUB
[ocr errors]

AVIS

AU LECTEUR'.

It feroit, inutile maintenant de nier, que

le

Poëme fuivant a été composé à l'occafion d'un différend affez léger, qui s'émût dans une des plus célèbres Eglifes de Paris, entre le Tréforier & le Chantre. Mais c'est tout ce qu'il y a de vrai. Le refte, depuis le commencement jusqu'à la fin, eft une pure fiction: & tous les Perfonnages y font non feulement inventés, mais j'ai eu foin même de les faire d'un caractère directement oppofé au caractère de ceux qui deffervent cette Eglife, dont la plupart & principalement les Chanoines, font tous gens non feulement d'une fort grande probité, mais de beaucoup d'efprit, & entre les-' quels il y en a tel à qui je demanderois auffi volontiers fon fentiment fur mes Ouvrages, qu'à beaucoup de Meffieurs de l'Académie. Il ne faut donc pas s'étonner, fi perfonne n'a été offenfé de l'impreffion de ce Poëme, puisqu'il n'y a en effet perfonne, qui y foit véritable

Fiv

1. L'Auteur publia en 1674. les occafion il avoit compofé ce Poë

quatre premiers Chants du Lutrin, avec une Préface, dans laquelle il expliquoit affez au long, mais avec quelques déguifemens, à quelle

me. Dans l'édition de 1683. il fupprima cette Préface, & en donna une autre, dont celle que l'on voit ici, faifoit partie.

2

ni un

ment attaqué. Un Prodigue ne s'avife guères de s'offenfer de voir rire d'un Avare Dévot de voir tourner en ridicule un Libertin. Je ne dirai point, comment je fus engagé à travailler à cette bagatelle fur une espèce de défi qui me fut fait en riant par feu Monfieur le Premier Président de LAMOIGNON, qui eft celui que j'y peins fous le nom d'ARISTE. Ce détail, à mon avis, n'eft pas fort néceffaire. Mais je croirois me faire un trop grand tort, fi je laiffois échapper cette occafion d'apprendre à ceux qui l'ignorent, que ce grand Perfonnage, durant la vie, m'a honoré de fon amitié. Je commençai à le connoître dans le tems que mes Satires faifoient le plus de bruit; & l'accès obligeant, qu'il me donna dans fon illuftre Maison, fit avantageusement mon apologie con tre ceux, qui vouloient m'accufer alors de libertinage & de mauvaises mœurs. C'étoit un Homme d'un favoir étonnant, & paffionné Ad mirateur de tous les bons Livres de l'Antiquité; & c'est ce qui lui fit plus aifémént fouffrir mes Ouvrages, où il crut entrevoir quelque goût des Anciens. Comme fa piété étoit fincère, elle étoit auffi fort gaye, & n'avoit rien d'embarrassant. Il ne s'effraya point du

2. Sur une efpèce de défi.) Le démêlé du Tréforier & du Chantre parut fi plaifant à Mr. le Premier Préfident de Lamoignon,qu'il propofa un jour à Mr. Despreaux d'en faire le fujet d'un Poëme, que l'on pourroit inti

tuler, La Conquête du Lutrin, ou Le Lutrin enlevé; à l'exemple du TASSONI, qui avoit fait fon Poëme de La Secchia rapita, fur un fujet presque femblable. Mr. Despreaux répondit, qu'il ne falloit jamais défier

pas

nom de Satires que portoient ces Ouvrages, où il ne vit en effet que des Vers & des Auteurs attaqués. Il me loua même plufieurs fois d'avoir purgé, pour ainfi dire, ce genre de Poëfie de la faleté, qui lui avoit été jufqu'alors comme affectée. J'eus donc le bonheur de ne lui être défagréable. Il m'appella à tous fes plaifirs & à tous fes divertiffemens; c'est-à-dire, à fes Lectures & à fes promenades. Il me favorifa même quelquefois de fa plus étroite confidence, & me fit voir à fond fon ame entière. Et que n'y vis-je point! Quel tréfor furprenant de probité & de juftice! quel fonds inépuisable de piété & de zèle! Bien que fa vertu jettât un fort grand éclat au dehors, c'étoit toute autre chose au dedans; & on voyoit bien qu'il avoit foin d'en temperer les rayons, pour ne pas bleffer les yeux d'un fiècle auffi corrompu que le nôtre. Je fus fincèrement épris de tant de qualités admirables; & s'il eut beaucoup de bonne volonté pour moi, j'eus auffi pour lui une très-forte attache. Les foins, que je lui rendis, ne furent mêlés d'au cune raifon d'intérêt mercénaire; & je fongeai bien plus à profiter de fa converfation que de fon crédit. Il mourut dans le tems que cette amitié étoit en fon plus haut point, & le fouvenir de fa

un Fou, & qu'il l'étoit affez, non feulement pour entreprendre ce Poëme, maís encore pour le dédier à Mr. le Premier Préfident lui-même. Ce Magiftrat n'en fit que rire; & l'Auteur ayant pris cette plaifante

Fv

rie pour une espèce de défi, forma dès le même jour, l'idée & le plan de ce Poëme, dont il fit même les premiers vers. Le plaifir que cet effai fit à Mr. le Premier Préfident, encouragea Mr. Despreaux à continuer.

& des

perte m'afflige encore tous les jours. Pourquoi faut-il que des Hommes fi dignes de vivre foient fi-tôt enlevés du monde, tandis que des miférables gens de rien arrivent à une extrême vieilleffe? Je ne m'étendrai pas davantage fur un fujet fi trifte: car je fens, que fi je continunis à en parler, je ne pourrois m'empêcher de mouiller peut-être de larmes la Préface d'un Ouvrage de pure plaifanterie.

ARGUMENT.

LE

E Tréforier remplit la première Dignité du Chapitre, dont il eft ici parlé, & il officie avec toutes les marques de l'Épifcopat. Le Chantre remplit la feconde Dignité. Il y avoit autrefois dans le Choeur, devant la place du Chantre, un énorme Pupitre ou Lutrin, qui le couvroit prefque tout entier. Il le fit ôter. Le Tréforier voulut le faire remettre. De là, arriva une dispute, qui fait le fujet de ce Poëme.

« PreviousContinue »