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Faire Dieu le fujet d'un badinage affreux.

A la fin tous ces jeux, que l'Athéïsme élève, 190 Conduisent triftement le Plaifant à la Grève.

Il faut, même en chanfons, du bon fens & de l'art.
Mais pourtant on a vû le vin & le hazard
Infpirer quelquefois une Mufe groffière,

Et fournir, fans génie, un couplet à Linière.

195 Mais pour un vain bonheur qui vous a fait rimer, Gardez qu'un fot orgueil ne vous vienne enfumer.

à Regnier. Quintilien fait le même jugement d'un Poëte comique de fon tems; Togatis excellit Afranius; utinamque non inquinaffet argumenta puerorum fœdis amoribus, mores fuos faffus. Lib. X. c. I.

VERS 190. Conduifent triftement le Plaifant à la Grève.] Quelques années avant la publication de ce Poëme, un jeune Homme fort bien fait, nommé PETIT, fut furpris faifant imprimer des Chanfons impies & libertines de fa façon. On lui fit fon procès, & il fut condamné à être pendu & brûlé, nonobftant de puiffantes follicitations qu'on fit agir en fa faveur.

VERS 194. Et fournir fans génie un couplet à Linière.] Nous avons parlé de LINIERE, fur le vers 89. de l'Epître VII. où il eft traité d'Idiot, parce qu'effectivement il avoit l'air niais, & le vifage d'un Idiot. Il ne réüffiffoit pas mal à faire des couplets Satiriques, & il exerça fon talent contre Mr. Despreaux lui-même, qui lui répondit par ce couplet:

Linière apporte de Senlis

Tous les mois trois couplets impies:
A quiconque en veut dans Paris
Il en préfente des copies;

Mais fes couplets, tout pleins d'ennui,

Seront brûlés même avant lui.

Voici comme il s'explique fur les
fentimens qu'il avoit de la Religion;
C'eft dans le Portrait de Linière,
fait
par lui-même.

La lecture a rendu mon efprit assez
fort
Contre toutes les peurs que l'on a
de la Mort;

Et ma Religion n'a rien qui m'em-
baraffe.

Je me ris du Scrupule, & je hais la

grimasse, &c.

Madame DES HOULIERES, dans le portrait qu'elle a fait de Linière, le juftifie autant qu'elle peut fur cette accufation de libertinage.

On le croit indévot, mais quoi que' l'on en die, ·Je crois, que dans le fond, Tircis n'eft pas impie,

Quoi qu'il raille fouvent des articles de foi.

Souvent l'Auteur altier de quelque chanfonnette,
Au même inftant prend droit de fe croire Poëte.
Il ne dormira plus qu'il n'ait fait un Sonnet.
200 Il met tous les matins fix Impromptus au net.
Encore eft-ce un miracle, en fes vagues furies,
Si bien-tôt imprimant fes fottes rêveries,

Il ne fe fait graver au devant du Recueil,
Couronné de lauriers par la main de Nanteuil.

Je crois qu'il eft autant Catholique que moi.

C iij

Il changera d'humeur à l'heure de
la mort.

Pour fuivre aveuglement les con- La prophétie s'eft trouvée faufse.

feils d'Epicure,

VERS 204.

Par la main

Pour croire quelquefois un peu trop de Nanteuil.] Fameux Graveur de portraits, mort à Paris en l'Année 1678.

la nature,

Pour vouloir fe mêler de porter ju-
gement

Sur tout ce que contient le Nouveau
Teftament *,

On s'égare aisément du chemin de
la Grace.

Tircis y reviendra: ce n'est que par grimace

Qu'il dit qu'on ne peut pas aller contre le fort:

Notre Poëte avoit deffein de finir ce Chant par ces deux vers:

Et dans l'Académie, orné d'un
nouveau luftre,

Il fournira bien-tôt un quaran-
tième Illuftre.

Mais il les fupprima pour ne pas
déplaire à Meffieurs de l'Académie
Françoife.

* Linière avoit entrepris une Critique abominable du Nouveau Teftament.

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CHANT III.

L n'eft point de Serpent, ni de Monftre odieux, Qui par l'Art imité ne puiffe plaire aux yeux. D'un pinceau délicat, l'artifice agréable,

Du plus affreux objet fait un objet aimable.
Ainfi, pour nous charmer, la Tragédie en pleurs,
D'Oedipe tout fanglant fit parler les douleurs ;
D'Orefte parricide exprima les alarmes;

Et pour nous divertir, nous arracha des larmes.

Vous donc, qui d'un beau feu pour le Théatre épris, 10 Venez en vers pompeux y difputer le prix, Voulez-vous fur la Scène étaler des Ouvrages, Où tout Paris en foule apporte fes fuffrages, Et qui toûjours plus beaux, plus ils font regardés,

Les règles de la Tragédie, de la Comédie, & du Poeme Epique, font la matière du troifième Chant. Il eft le plus beau de tous, foit par la grandeur du fujet, foit par la manière dont l'Auteur l'a traité.

VERS 1. Il n'eft point de Serpent, &c.) Cette comparaifon eft empruntée d'ARISTOTE. Rien ne fait plus de plaifir à l'homme que l'imitation, dit-il. C'eft ce qui fait que nous aimons tant la Peinture,quand même elle repréfente des objets hideux, dont les originaux nous feroient horreur: comme des bêtes vénimeufes, des hommes morts ou mourans, & d'autres images femblables. Plus l'imitation en eft parfaite, ajoûte-t-il, plus nous les regardons avec plaifir. Mais ce plaifir ne vient pas de la beauté de

l'original qu'on a imité: il vient de ce que l'Efprit trouve par là moyen de raifonner & de s'inftruire. Arift. ch. 4. de la Poetique; & ch. 1. Propof. 28. du Liv. I. de fa Rhétorique. Mr. Despreaux difoit pourtant, qu'il ne faut pas que l'imitation foit entière; parce qu'une refiemblance trop parfaite infpireroit autant d'horreur que l'original même. Ainsi, l'imitation parfaite d'un Cadavre représenté en cire, avec toutes les couleurs, fans aucune différence,ne feroit pas fupportable. C'eft pour la même raifon que les portraits en cire n'ont pas réüffi, parce qu'ils étoient trop reffemblans. Mais que l'on faffe la même chofe en marbre, ou en platte peinture: ces imitations plairont d'autant plus qu'elles approcheront de

Soient au bout de vingt ans encor redemandés ? 15 Que dans tous vos difcours la Paffion émuë,

Aille chercher le cœur, l'échauffe, & le remuë. Si d'un beau mouvement l'agréable fureur, Souvent ne nous remplit d'une douce Terreur; Ou n'excite en notre ame une Pitié charmante, 20 En vain vous étalez une Scène favante.

Vos froids raifonnemens ne feront qu'attiédir Un Spectateur, toûjours pareffeux d'applaudir, Et qui des vains efforts de votre Rhétorique Juftement fatigué, s'endort, ou vous critique. 25 Le fecret eft d'abord de plaire & de toucher. Inventez des refforts qui puiffent m'attacher.

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Que dès les premiers vers l'Action préparée,
Sans peine, du Sujet applaniffe l'entrée.
Je me ris d'un Acteur, qui lent à s'exprimer,

la vérité; parce que,quelque reffem-
blance qu'on y trouve, les yeux &
l'efprit ne laiffent pas d'y apperce-
voir d'abord une différence, telle
qu'elle doit être néceffairement
entre l'Art & la Nature.

VERS 6. D'Oedipe tout fanglant.)
Tragédie de SOPHOCLE.
VERS 7.
D'Orefte parricide.)
Tragédie d'EURIPIDE.

IMIT. Vers 14. Soient au bout de vingt ans encor redemandés.) Horace, Art poëtique, v. 190.

Fabula, quæ pofci vult, & fpectata
reponi.

IMIT. Vers 16. Aille chercher le eaur, l'échauffe, & le remuë.) Horace, L. H. Epît. I. v. 211.

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30 De ce qu'il veut, d'abord ne fait pas m'informer;

Et qui, débrouillant mal une pénible intrigue, D'un divertiffement me fait une fatigue. J'aimerois mieux encor qu'il déclinât fon nom, Et dît, je fuis Orefte, ou bien Agamemnon: 35 Que d'aller, par un tas de confuses merveilles, Sans rien dire à l'efprit, étourdir les oreilles. Le Sujet n'eft jamais affez tôt expliqué.

Que le Lieu de la fcène y foit fixe & marqué. Un Rimeur, fans péril, delà les Pirénées, 40 Sur la scène en un jour renferme des années.

Que ma douleur féduite embraffe

aveuglement :

Vous prenez fur mon ame un trop

puiffant empire, &c.

C'eft ce que notre Poëte appelle, un tas de confufes merveilles, dans le vers 35. Nugaque canora, felon Horace, Art Poët. v. 322.

VERS 33. J'aimerois mieux encor qu'il déclinât fon nom.) Il y a de pareils exemples dans Euripide.

VERS 39. Un Rimeur... delà les Pirénées.) LOPÉ DE VÉGA, Poëte Efpagnol, qui a compose un très grand nombre de Comédies; mais il avoit plus de fécondité que d'exactitude. Dans une de fes Pièces il représente l'hiftoire de Valentin & Orfon, qui naiffent au premier Acte, & font fort âgés au dernier.

§. Pour rendre justice à Lopé de Vega le Commentateur devoit remarquer, que ce Poëte Espagnol avoit d'abord compofé des Pièces de Théatre felon les Règles; mais qu'il fut obligé de changer de méthode pour s'accommoder au génie des femmes & des ignorans. C'est ce qu'il nous apprend lui-même dans

le Poëme intitulé: Arte nuevo de hazer Comedias en efte tiempo, c'est-àdire, Nouvelle Pratique de Théatre, accommodée à l'ufage préfent d'Espagne, adreffée à l'Académie de Madrid:

Verdad es, que yo he escrito algu

nas vezes

Siguiendo el arte que conofcen pocos.
Mas luego que falir por otra parte,

Veo los Monftruos de aparencias
llenos,

A donde acude el vulgo, y las
Mugeres,

Que efte trifte exercicio canonizan,

A aquel habito barbaro me buelvo :

Y quando he de efcrivir una Comedia Encierro los preceptos con feis llaves:

Saco a Terencio, y Plauto, de mi eftudio;

Para que no me den vozes, que fuele

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