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La Dame fe pâme à tous coups
Entre les bras de fon époux,

Et de mille douleurs atteinte 210 Elle n'épargne ni la plainte,

Ni les larmes, ni les foûpirs,
Pour témoigner fes déplaifirs.
Joconde une heure avant l'Aurore

Quitte fa femme qu'il adore, 215 Et fi-tôt que l'adieu fut dit Elle va fe remettre au lit.

L'époux au fortir de la ville. N'avoit guere fait plus d'un mille Qu'il fe fouvint, pauvre infenfé, 220 Sous fon chevet d'avoir laiffé Cette croix que tant il révere, Cet aimable & beau Reliquaire, Ce gage précieux & faint

Du lien facré qui l'étreint.

225 Hélas! difoit-il en foi-même, Que penfera celle que j'aime, Me voyant d'un cœur méprifant Oublier ainfi fon présent?

Malheureux! eft-il quelque excufe

230 Pour faire qu'elle ne m'accuse, De n'avoir pas bien eftimé

Un don fi digne d'être aimé?

Après une telle conduite,

D'envoyer quelqu'un de ma fuite, 235 Ce feroit auffi lui donner'

Un fujet de me condamner:

Il vaut donc mieux aller moi-même.
Lors il pria Faufte qui l'aime

Qu'il lui permît de retourner
240 Et qu'avant qu'il fût au dîner
Il le joindroit en affûrance.
Il marche en toute diligence,
Il arrive fans faire bruit,

Il monte & pas un ne le fuit,
245 Il trouve fa femme endormie,
Mais par hazard ou par magie
Il trouve auffi fort endormi
Entre fes bras un jeune ami.

L'Amour est un démon fi traître.

250 Qu'après tout il pourroit bien être
Qu'il auroit fait au pauvre époux
Ce tour pour le rendre jaloux.
Mais que le tout fût un menfonge,
Il ne le prit pas pour un fonge,
255 Et Joconde frottant fes yeux,
Afin de le connoître mieux,
Vit ou crut voir un domeftique,
Qu'entre tous il croyoit unique
Pour lui garder fidélité.

260 De vous dire l'extrêmité

Où la chofe porta Joconde,
Je le laiffe à juger au monde,
Je veux dire ces bonnes gens
Verfés en de tels accidens.

265 Deux ou trois fois il eut envie
De les priver tous deux de vie,
Mais malgré lui l'amour vainqueur
Parla pour l'ingrate en fon cœur,
Et la lui dépeignit fi belle,
270 Qu'il eut de la pitié pour elle.
propos,

Il crut, qu'il étoit à

De ne point troubler fon repos,
De peur qu'une furprise telle

Ne lui fût un peu trop cruelle.

275 Il defcend, il monte à cheval,
Tellement preffé de fon mal
Que fon amour & fa colere
Le porte en volant à fon frere.
Il étoit déja fi changé,

280 Que par fon vifage alongé
Ses gens jugerent à fa mine,
Qu'il avoit l'ame fort chagrine,
Mais pas un ne pût deviner

Ce qui le pouvoit chagriner,

285 Si ce n'étoit que fa fouffrance

Lui venoit déja de l'abfence.

Son frere qui fait l'amitié

Qu'il a pour fa chafte moitié,

Crut, qu'il avoit l'ame bleffée

290 Pour l'avoir feule au lit laiffée :
Mais ce bon frere eft dans l'erreur,
Car ce qui lui touche le cœur
Eft de l'avoir abandonnée

Un peu trop bien accompagnée :
295 De cent maux Joconde touché
Tenoit l'œil en terre fiché;
En vain fon frere le confole,
Il n'en tire aucune parole.
Toutes fes meilleures raifons

300 Sont pour Joconde des poifons,
Dont il envenime fon ame,
Surtout lui parlant de fa femme.
Il ne repose jour ni nuit,

Son déplaifir par- tout le fuit: 305 Il ne goûte point les viandes,

Quoiqu'on lui ferve les friandes:
Ses membres en font décharnés,
Sa douleur alonge fon nez,
Creufe fes yeux, groffit fes levres,
310 Et fur le tout de groffes fievres,
Pour achever fon fier deftin,

Le viennent furprendre en chemin.
Enfin, ce n'est plus ce Joconde
Tant admiré de tout le monde :

315 Et Faufte qui fouffre en fon cœur De le voir mourir en langueur,

Se défefpére, quand il fonge,
Que le Roi prendra pour mensonge
Tous les avantageux portraits,
320 Qu'il avoit fait de fes attraits.
Enfin, les voilà dans Pavie;
Mais Faufte n'ayant pas envie,
Qu'Aftolfe, pris à l'impourvû,
Se moquât de lui l'ayant vu,
325 Avoit écrit au Roi fon Maître.
L'état auquel il pouvoit être.

Plus Joconde fait de pitié,
Plus le Roi lui fait d'amitié.

Après avoir fait tant de chofes

330 Pour le voir en fon teint de roses,
Il a le cœur trop fatisfait
De le voir en fon teint défait.
Un appartement il lui donne

Près de fa Royale perfonne,
335 Et le vifite à tout moment
Dans ce Royal appartement.
Les bals, les feftins, les mufiques,
La chaffe & les fêtes publiques,
Furent fouvent faites pour lui,
340 Mais il y languiffoit d'ennui;
Et par-tout fon ingrate femme

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