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O vous qui l'imitez, Olympe, fi ma Muse
A quelquefois pris place à la table des Dieux,
Sur fes dons aujourd'hui daignez porter les yeux.
Favorifez les Jeux où mon efprit s'amufe.
Le Temps qui détruit tout, respectant votre appui,
Me laiffera franchir les ans dans cet Ouvrage :
Tout Auteur qui voudra vivre encore après lui,
Doit s'acquérir votre fuffrage.

C'eft de vous que mes Vers attendent tout leur prix:
Il n'eft beauté dans nos Ecrits,

Dont vous ne connoiffiez jufques aux moindres traces;
Eh, qui connoît que vous les beautés & les graces?
Paroles & regards, tout eft charme dans vous.
Ma Mufe, en un fujet fi doux,

Voudroit s'étendre davantage :

Mais il faut réferver à d'autres cet emploi,
Et d'un plus grand Maître que moi
Votre louange eft le partage.

Olympe, c'eft affez qu'à mon dernier Ouvrage
Votre nom ferve un jour de rempart & d'abri ;
Protégez déformais le Livre favori

Par qui j'ofe efpérer une feconde vie :

Sous vos feuls aufpices ces Vers
Seront jugés, malgré l'envie,
Dignes des yeux de l'Univers.

Je ne mérite pas une faveur fi grande :
La Fable en fon nom la demande :
Vous favez quel crédit ce menfonge a fur nous;
S'il procure à mes Vers le bonheur de vous plaire
Je croirai lui devoir un temple pour falaire:
Mais je ne veux bâtir des temples que pour vous.

LIVRE

SEPTIEME,

FABLE PREMIERE.

Les Animaux malades de la Pefte.

UN mal qui répand la terreur,

Mal que le Ciel en fa fureur

Inventa pour punir les crimes de la terre,
La Pefte (puifqu'il faut l'appeller par fon nom)
Capable d'enrichir en un jour (1) l'Acheron,
Faifoit aux Animaux la guerre.

Ils ne mouroient pas tous, mais tous étoient frappés,
On n'en voyoit point d'occupés

A chercher le foutien d'une mourante vie :
Nul mets n'excitoit leur envie.
Ni Loups, ni Renards n'épioient
La douce & l'innocente proie.
Les Tourterelles fe fuyoient:
Plus d'amour, partant plus de joie.
Le Lion tint confeil, & dit: Mes chers amis
Je croi que le Ciel a permis

Pour nos péchés cette infortune:
Que le plus coupable de nous

Se facrifie aux traits du célefte courroux:
Peut-être il obtiendra la guérison commune.
L'Histoire nous apprend qu'en de tels accidens
On fait de pareils dévoûmens.

(1) Les Enfers, féjour des morts.

Ne nous flattons donc point, voyons fans indulgence
L'état de notre conscience.

Pour moi, fatisfaifant mes appétits gloutons,
J'ai dévoré force Moutons.

Que m'avoient-ils fait ? Nulle offenfe:
Même il m'eft arrivé quelquefois de manger
Le Berger.

moi,

Je me dévoûrai donc, s'il le faut : mais je pense
Qu'il eft bon que chacun s'accufe ainfi que
Car on doit fouhaiter, felon toute justice,
Que le plus coupable périsse.

Sire, dit le Renard, vous étes trop bon Roi:
Vos fcrupules font voir trop de délicatesse;
Et bien, manger Moutons, canaille, fotte espéce,
Eft-ce un péché? Non,non: Vous leur fîtes,Seigneur,
En les croquant beaucoup d'honneur.

Et quant au Berger, l'on peut dire

Qu'il étoit digne de tous maux,

Etant de ces gens-là qui, fur les Animaux,
Se font un chimérique empire.
Ainfi dit le Renard, & flatteurs d'applaudir.
On n'ofa trop approfondir

Du Tigre, ni de l'Ours, ni des autres Puiffances
Les moins pardonnables offenfes.

Tous les gens querelleurs, jufqu'aux fimples Mâtins,
Au dire de chacun, étoient de petits Saints.
L'Ane vint à fon tour, & dit : J'ai fouvenance
Qu'en un pré de Moines paffant,

La faim, l'occafion, l'herbe tendre, & je penfe,
Quelque diable auffi me pouffant,

Je tondis de ce pré la largeur de ma langue,

Je n'en avois nul droit, puifqu'il faut parler net.
A ces mots on cria haro fur le Baudet.

Un Loup quelque peu Clerc,prouva par fa harangue,
Qu'il falloit dévouer ce maudit animal,
Ce pelé, ce galeux, d'où venoit tout le mal.
Sa peccadille fut jugée un cas pendable.
Manger l'herbe d'autrui! Quel crime abominable!
Rien que la mort n'étoit capable

D'expier fon forfait : on le lui fit bien voir.

Selon que vous ferez puissant ou misérable,
Les Jugemens de Cour vous rendront blanc ou noir.

FABLE I I.

Le mal marié.

Que le bon foit toujours camarade du beau,

Dès demain je chercherai femme, Mais comme le divorce entr'eux n'eft pas nouveau; Et que peu de beaux corps, hôtes d'une belle ame, Affemblent l'un & l'autre point, Ne trouvez pas mauvais que je ne cherche point.

J'ai vû beaucoup d'hymens, aucun d'eux ne me ten

tent:

Cependant, des humains prefque les quatre parts
S'expofent hardiment au plus grand des hazards:
Les quatre parts auffi des humains fe repentent,
J'en vais alléguer un, qui s'étant repenti,

Ne put trouver d'autre parti,
Que de renvoyer fon épouse
Querelleufe, avare & jalouse.

Rien ne la contentoit, rien n'étoit comme il faut
On fe levoit trop tard, on fe couchoit trop tôt :
Puis du blanc, puis du noir, puis encore autre chose.
Les valets enrageoient, l'époux étoit à bout :
Monfieur ne fonge à rien, Monfieur dépense tout;
Monfieur court, Monsieur se repose.

Elle en dit tant, que Monfieur à la fin,
Laffé d'entendre un tel lutin,

Vous la renvoye à la campagne
Chez fes parens. La voilà donc compagne
De certaines Philis qui gardent les Dindons,
Avec les gardeurs de Cochons.

Au bout de quelque temps qu'on la crut adoucie
Le mari la reprend. Eh bien, qu'avez-vous fait ?
Comment paffiez-vous votre vie?

L'innocence des champs eft-elle votre fait?
Affez, dit-elle : mais ma peine

Etoit de voir les gens plus pareffeux qu'ici.
Ils n'ont des Troupeaux nul fouci.
Je leur favois bien dire ; & m'attirois la haine
De tous ces gens fi peu foigneux.
Eh, Madame, reprit fon époux tout à l'heure,
Si votre efprit eft fi hargneux

Que le monde qui ne demeure
Qu'un moment avec vous, & ne revient qu'au foir
Eft déjà laffé de vous voir,

Que feront des valets qui, toute la journée,
Vous verront contre eux déchaînée ?

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