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Le pere même de ceux
Qu'il menaçoit de ces feux,
Se contenta de leur crainte :
Il n'embraza que l'enceinte
D'un défert inhabité.
Tout pere (3) frappe à côté.
Qu'arriva-t-il? Notre engeance
Prit piéd fur cette indulgence.
Tout l'Olympe s'en plaignit;
Et (4) l'affembleur de nuages
Jura le Styx, & promit
De former d'autres orages:
Ils feroient fûrs. On foûrit:
On lui dit qu'il étoit pere;
Et qu'il laiffât, pour le mieux,
A quelqu'un des autres Dieux
D'autres tonnerres à faire.
(5) Vulcan entreprit l'affaire.
Ce Dieu remplit fes fourneaux
De deux fortes de carreaux.
L'un, jamais ne se fourvoie;
Et c'est celui que toujours
L'Olympe en corps nous envoie.
L'autre s'écarte en fon cours,
Ce n'eft qu'aux monts qu'il en coûte :
Bien fouvent même il se perd;

Et ce dernier en fa route
Nous vient du feul Jupiter.

(3) Ayant peur de faire du mal à fon enfant.

(4) Epithete qu'Homere don ne très-fouvent à Jupiter. (5) Ou Vulcain, Dieu du feu,

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Le Faucon & le Chapon.

U Ne traîtreffe voix bien fouvent vous appelle:
Ne vous preffez donc nullement :

Ce n'étoit pas un fot, non, non, & croyez-m'en,
Que le (a) Chien de Jean de Nivelle.

Un citoyen du Mans, Chapon de fon métier,
Etoit fommé de comparoître

Pardevant les lares du maître,

Au pied d'un tribunal que nous nommons foyer.
Tous les gens lui crioient pour déguiser la chose,
Petit, petit, petit : mais loin de s'y fier,
Le (b) Normand & demi laiffoit les gens
crier:
Serviteur, difoit-il, votre appât eft groffier:

On ne m'y tient pas ; & pour cause.
Cependant un Faucon fur fa perche voyoit
Notre Manceau qui s'enfuyoit.

Les Chapons ont en nous fort peu de confiance,
Soit inftinct, foit expérience.

Celui-ci qui ne fut qu'avec peine attrappé,
Devoit, le lendemain, être d'un grand foupé,
Fort à l'aife, en un plat, honneur dont la volaille
Se feroit paffée aifément.

L'Oifeau chaffeur lui dit: Ton peu d'entendement Me rend tout étonné: Vous n'étes que racaille,

(a) Qui s'enfuyoit quand on l'appelloit.

(b) Nom que l'on donne aux Manceaux.

Gens groffiers, fans esprit, à qui l'on n'apprend rien.
Pour moi, je fais chaffer, & revenir au maître.
Le vois-tu pas à la fenêtre?

Il t'attend, es-tu fourd? Je n'entens que trop bien,
Repartit le Chapon : mais que me veut-il dire,
Et ce beau Cuifinier armé d'un grand couteau?
Reviendrois-tu pour cet appeau?
Laiffe-moi fuir, ceffe de rire

De l'indocilité qui me fait envoler,
Lorfque d'un ton fi doux on s'en vient m'appeller.
Si tu voyois mettre à la broche

Tous les jours autant de Faucons

Que j'y vois mettre de Chapons, Tu ne me ferois pas un femblable reproche.

FABLE XXII.

Le Chat & le Rat.

Quatre animaux divers, le Chat Grippe-fromage,

Trifte-oifeau le Hibou, Ronge-maille le Rat,
Dame Belette au long corsage,

Toutes gens d'efprit fcélérat,

Hantoient le tronc pourri d'un Pin vieux & fauvage. Tant y furent qu'un foir à l'entour de ce Pin L'homme tendit fes rets. Le Chat de grand matin Sort pour aller chercher fa proie.

Les derniers traits de l'ombre empêchent qu'il ne voie

Le filet: il y tombe, en danger de mourir;

Et mon Chat de crier, & le Rat d'accourir,
L'un plein de désespoir, & l'autre plein de joie.
Il voyoit dans les lacs fon mortel ennemi.
Le pauvre Chat dit : Cher ami,

Les marques de ta bienveillance
Sont communes en mon endroit :
Vien m'aider à fortir du piége où l'ignorance
M'a fait tomber : c'eft à bon droit
Que feul entre les tiens, par amour finguliere,
Je t'ai toujours choyé, t'aimant comme mes yeux.
Je n'en ai point regret, & j'en rens grace aux Dieux.
J'allois leur faire ma priére,

Comme tout dévot Chat en ufe les matins.
Ce rézeau me retient : ma vie est en tes mains:
Vien diffoudre ces nœuds. Et quelle récompenfe
En aurai-je? reprit le Rat.

Je jure éternelle alliance

Avec toi, repartit le Chat.
Difpofe de ma griffe, & fois en affurance:
Envers & contre tous je te protégerai;
Et la Belette mangerai

Avec l'époux de la Chouette.

Ils t'en veulent tous deux. Le Rat dit : Idiot!
Moi ton Libérateur ? Je ne fuis pas fi fot.
Puis il s'en va vers fa retraite.

La Belette étoit près du trou.

Le Rat grimpe plus haut, il y voit le Hibou: Dangers de toutes parts : le plus pressant l'emporte Ronge-maille retourne au Chat, & fait en forte Qu'il détache un chaînon, puis un autre, & puis tant Qu'il dégage enfin l'hypocrite.

L'homme

L'homme paroît en cet instant.

Les nouveaux alliés prennent tous deux la fuite.
A quelque temps de là, notre Chat vit de loin
Son Rat qui fe tenoit alerte & fur fes gardes.
Ah!mon frere, dit-il, vien m'embraffer: ton foin
Me fait injure, tu regardes
Comme ennemi ton allié.
Penfes-tu que j'aye oublié
Qu'après Dieu je te dois la vie?

Et moi, reprit le Rat, penfes-tu que j'oublie
Ton naturel? Aucun traité

Peut-il forcer un Chat à la reconnoissance?
S'affure-t-on fur l'alliance
Qu'a faite la néceffité?

FABLE XXIII.

Le Torrent & la Riviere.

A Vec grand bruit & grand fracas

Un torrent tomboit des montagnes : Tout fuyoit devant lui : l'horreur fuivoit fes pas; Il faifoit trembler les campagnes.

Nul voyageur n'ofoit paffer

Une barriere fi puiffante :

Un feul vit des voleurs ; & fe fentant preffer,
Il mit entr'eux & lui cette onde menaçante.
Ce n'étoit que menace & bruit fans profondeur :
Notre homme enfin n'eut que la peur.
Ce fuccès lui donnant courage;

II. Partie.

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