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On lui laiffat paffer le feuil de fon Palais.
Il pouvoit fans fortir contenter fon envie,
Avec fes compagnons tout le jour badiner
Sauter, courir, fe promener.

Quand il fut en l'âge où la chaffe
Plaît le plus aux jeunes efprits,
Cet exercice avec mépris

Lui fut dépeint : mais quoiqu'on fasse,
Propos, confeil, enfeignement,

Rien ne change un tempérament.

Le jeune homme inquiet, ardent, plein de courage,
A peine fe fentit des bouillons d'un tel âge,
Qu'il foupira pour ce plaifir.

Plus l'obstacle étoit grand, plus fort fut le defir.
Il favoit le fujet des fatales défenses

s;

Et comme ce logis, plein de magnificences,
Abondoit par tout en tableaux,

Et que la (a) laine & les (b) pinceaux
Traçoient de tous côtés chaffes & paysages,
En cet endroit des animaux,

En cet autre des perfonnages,

Le jeune homme s'émeut voyant peint un Lion.
Ah, monftre! cria-t-il, c'est toi qui me fais vivre
Dans l'ombre & dans les fers. A ces mots il fe livre
Aux tranfports violens de l'indignation,
Porte le poing fur l'innocente bête.
Sous la tapifferie un clou fe rencontra.
Ce clou le blesse, il pénétra

Jufqu'aux refforts de l'ame ; & cette chére tête

(a) Les Tapifleries.

1

(b) Les Tableaux.

Pour qui l'art (c) d'Esculape en vain fit ce qu'il put;
Dut fa perte à ces foins qu'on prit pour fon falut.
Même précaution nuifit au Poëte (1) Æschile.
Quelque Devin le menaça, dit-on,
De la chute d'une maison.

Auffi-tôt il quitta la ville,

Mit fon lit en plein champ, loin des toits, fous les
Cieux.

Un Aigle qui portoit en l'air une Tortue,
Paffa par là, vit l'homme, & fur fa tête nue,
Qui parut un morceau de rocher à fes yeux,
Etant de cheveux dépourvûe,

Laiffa tomber fa proie afin de la caffer:
Le pauvre Æfchile ainfi fut fes jours avancer.

De ces exemples il réfulte,

Que cet art, s'il eft vrai, fait tomber dans les maux
Que craint celui qui le confulte,

Mais je l'en justifie, & maintiens qu'il eft faux.
Je ne crois point que la Nature
Se foit lié les mains, & nous les lie encor,
Jufqu'au point de marquer dans les Cieux notre fort,
Il dépend d'une conjoncture

De lieux, de perfonnes, de temps,
Non des conjonctions de tous ces charlatans.
Ce Berger & ce Roi font fous même Planette :
L'un d'eux porte le fceptre, & l'autre la houlette :
(d) Jupiter le vouloit ainfi.

(c) Dieu de la Médecine & de la Chirurgie.

(1) Ancien Poëte Grec, dont

il nous refte quelques Tragédies. (d) C'eft une des grandes Planettes.

Qu'est-ce que Jupiter? Un corps fans connoissance.
D'où vient donc que fon influence,

Agit différemment fur ces deux hommes-ci?
Puis comment pénétrer jusques à notre monde ?
Comment percer des airs la campagne profonde?
Percer (e) Mars, le Soleil, & des vuides fans fin?
Un atôme la peut détourner en chemin :

Où l'iront retrouver (2) les faiseurs d'Horoscope?
L'état où nous voyons l'Europe,

Mérite que du moins quelqu'un d'eux l'ait prévû;
Que ne l'a-t-il donc dit? Mais nul d'eux ne l'a fu.
L'immenfe éloignement, le point & fa viteffe,
Celle auffi de nos paffions,
Permettent-ils à leur foibleffe

De fuivre pas à pas toutes nos actions?
Notre fort en dépend: fa course entresuivie,
Ne va ,
non plus que nous, jamais d'un même

pas;

Et ces gens veulent au compas,

(e) Autre Planette audeffous de Jupiter.

(2) Charlatans qui veulent nous faire accroire qu'ils voient clairement tout le bien & tout le mal qui doit arriver à une perfonne, par la fituation où fe trouvent les Planettes dans le moment de fa naiffance. De tous les métiers, celui de Charlatan eft le plus aifé à apprendre. Deux chofes fuffifent pour le favoir parfaitement: La premiere, la crédulité des hommes, qui ne dépend pas du Charlatan, mais dont il s'affûre bien-tôt par

le moyen de la feconde, qui confifte à leur dire hardiment qu'il fait fort bien ce qui lui eft abfolument inconnu. Et tant qu'il y aura des hommes fottement crédules, il s'en trouvera d'autres tout prêts à profiter de leur fottife. Mahomet connoiffant la fimplicité des Arabes, leur dit hardiment qu'il avoit vû DIEU, & qu'il avoit reçû de fa propre bouche les ordres qu'il leur donnoit. Les Arabes le crurent, & Mahomet les conduifit comme il voulut,

Tracer le cours de notre vie!

Il ne fe faut point arrêter

Aux deux faits ambigus que je viens de conter.
Ce fils par trop chéri, ni le bon homme Æfchile
N'y font rien. Tout aveugle & menteur qu'eft cet art,
Il peut frapper au but une fois entre mille:
Ce font des effets du hazard.

FABLE XVII.

L'Ane & le Chien.

IL fe faut entr'aider, c'est la loi de nature:
L'Ane un jour pourtant s'en moqua:
Et ne fais comme il y manqua ;

Car il eft bonne créature.

Il alloit par pays accompagné du Chien,
Gravement, fans fonger à rien,

Tous deux fuivis d'un commun maître.
Ce maître s'endormit : l'Ane fe mit à paître :
Il étoit alors dans un pré,

Dont l'herbe étoit fort à fon grẻ.

Point de chardons pourtant, il s'en paffa pour l'heurer
Il ne faut pas toujours être fi délicat;
Et faute de fervir ce plat,
Rarement un feftin demeure.
Notre Baudet s'en fut enfin

Paffer pour cette fois. Le Chien mourant de faim
Lui dit: Cher compagnon, baiffe-toi, je te prie,

Je prendrai mon dîné dans le panier au pain. Point de réponse, mot: le (1) Rouffin d'Arcadie Craignit qu'en perdant un moment,

Il ne perdît un coup de dent.

Il fit long-temps la fourde oreille:

Enfin il répondit : Ami, je te confeille
D'attendre que ton maître ait fini fon fommeil,
Car il te donnera fans faute à fon réveil
Ta portion accoutumée :

Il ne fauroit tarder beaucoup.
Sur ces entrefaites un Loup

Sort du bois & s'en vient: autre bête affamée.
L'Ane appelle auffi-tôt le Chien à fon fecours.
Le Chien ne bouge, & dit : Ami, je te conseille
De fuir en attendant que ton maître s'éveille :
Il ne fauroit tarder : détale vîte, & cours.
Que fi ce Loup t'atteint, caffe-lui la machoire.
On t'a ferré de neuf; & fi tu me veux croire,
Tu l'étendras tout plat. Pendant ce beau difcours,
Seigneur Loup étrangla le Baudet fans reméde.

Je conclus qu'il faut qu'on s'entr'aide.

(1) Sur ce furnom de l'Ane, voyez Liv. VI. Fab. XIX. Note (s)

FABLE XVIII.

Le Baffa & le Marchand.

UN Marchand Grec, en certaine contrée,

Faifoit trafic. Un Baffa l'appuyoit

Dequoi le Grec en Baffa le payoit :

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