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On foupire à fon souvenir :

On ne fait pas pourquoi, cependant on soupire:
On a peur de le voir encor qu'on le defire.
Amarante dit à l'instant,

Oh! oh! C'est-là ce mal que vous me prêchez tant?
Il ne m'est pas nouveau : je pense le connoître.
Tircis à fon but croyoit être,

Quand la Belle ajoûta: Voilà tout justement
Ce que je fens pour Clidamant.

L'autre penfa mourir de dépit & de honte.

Il est force gens comme lui,

Qui prétendent n'agir que pour leur propre compte ; Et qui font le marché d'autrui.

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Les Obfeques de la Lionne.

LA femme du Lion mourut :

Auffi-tôt chacun accourut
Pour s'acquitter envers le Prince

De certains complimens de confolation,
Qui font furcroît d'affliction.

Il fit avertir fa Province,

Que les obfeques fe feroient

Un tel jour, en tel lieu: fes Prévôts y feroient

Pour régler la cérémonie,

Et pour placer la compagnie.
Jugez fi chacun s'y trouva.

Le Prince aux cris s'abandonna,
Et tout fon antre en refonna.

Les Lions n'ont point d'autre temple.
On entendit, à son éxemple,

Rugir en leur patois Meffieurs les Courtifans.
Je définis la Cour un pays où les gens
Triftes, gais, prêts à tout, à tout indifférens,.
Sont ce qu'il plaît au Prince; ou s'ils ne peuvent l'être,
Tâchent au moins de le paroître.

Peuple (1) caméleon, (2) peuple finge du maître :
On diroit qu'un efprit anime mille corps :
C'est bien là que les gens font de (3) fimples refforts.

Pour revenir à notre affaire,

Le Cerf ne pleura point: comment l'eût-il pû faire?
Cette mort le vengeoit : la Reine avoit jadis.
Etranglé fa femme & fon fils.

Brefil ne pleura point. Un flatteur l'alla dire,
Et foûtint qu'il l'avoit vû rire.

La colére du Roi, comme dit Salomon,
Eft terrible: & fur tout celle du Roi Lion:
Mais ce Cerf n'avoit pas accoûtumé de lire.
Le Monarque lui dit: Chétif hôte des bois,
Tu ris, tu ne fuis pas ces gémiffantes voix.
Nous n'appliquerons point fur tes membres pro-
phanes

(1) Animal qui prend la couleur du lieu où il eft; celle du verd, du jaune, du rouge, fur un tapis verd, jaune, rouge, &c. Emblême fort naturel du Courffan.

tre.

(2) Servile imitateur du maî

(3) Sans raifonnement, fans fentiment, comme Defcartes le dit des Animaux brutes.

Nos facrés ongles : venez, Loups,
Vengez la Reine, immolez tous

Ce traître à fes auguftes manes.

Le Cerf reprit alors: Sire, le temps des pleurs
Eft paffé la douleur eft ici fuperflue.
Votre digne moitié, couchée entre des fleurs
Tout près d'ici m'est apparue;
Et je l'ai d'abord reconnue.

Ami, m'a-t-elle dit, garde que ce convoi,
Quand je vais chez les Dieux, ne t'oblige à des

larmes.

'Aux champs Elyfiens j'ai goûté mille charmes, Converfant avec ceux qui font faints comme moi. Laiffe agir quelque temps le défefpoir du Roi: J'y prens plaifir. A peine on eut oui la chofe, Qu'on fe mit à crier, Miracle, (4) Apothéose. Le Cerf eut un préfent, bien loin d'être puni.

Amufez les Rois par des fonges, Flattez-les, payez-les d'agréables menfonges, Quelque indignation dont leur cœur foit rempli, Ils goberont l'appât, vous ferez leur ami.

(4) Déïfication, pour dire, La voilà au rang des Dieux.

FABLE X V.

Le Rat & l'Eléphant.

SE croire un perfonnage, eft fort commun en

France:

On y fait l'homme d'importance,

Et l'on n'eft fouvent qu'un Bourgeois:
C'est proprement le mal François.

La fotte vanité nous eft particuliére.

Les Efpagnols font vains, mais d'une autre maniére:
Leur orgueil me femble en un mot,

Beaucoup plus fou, mais pas fi fot.
Donnons quelque image du nôtre,
Qui fans doute en vaut bien un autre.

Un Rat des plus petits voyoit un Eléphant
Des plus gros, & railloit le marcher un peu lent
De la bête de haut parage,
Qui marchoit à gros équipage.
Sur l'animal (a) à triple étage
Une (b) Sultane de renom,

Son Chien, fon Chat, & fa Guenon,

Son Perroquet, fa vieille, & toute fa maison,
S'en alloit en pélerinage.

Le Rat s'étonnoit que les gens

Fuffent touchés de voir cette pefante masse:
Comme fi d'occuper ou plus ou moins de place,

(a) C'est-à-dire, fort haut.

(b) La femme d'un Prince d'Orient,

Nous rendoit, difoit-il, plus ou moins importans. Mais qu'admirez-vous tant en lui, vous autres hommes ?

Seroit-ce ce grand corps qui fait peur aux enfans? Nous ne nous prifons pas, tout petits que nous fommes,

D'un grain moins que les Eléphans.
Il en auroit dit davantage,

Mais le Chat fortant de fa cage,
Lui fit voir en moins d'un inftant,
Qu'un Rat n'eft pas un Eléphant.

Souvent

FABLE X V I.

L'Horofcope.

ON rencontre fa destinée

par des chemins qu'on prend pour l'éviter

Un pere eut pour toute lignée

Un fils qu'il aima trop, jufques à confulter
Sur le Sort de fa géniture,

Les Difeurs de bonne aventure.

Un de ces gens lui dit, que des Lions fur tout
Il éloignât l'enfant jusques à certain âge,
Jufqu'à vingt ans, point davantage.
Le pere, pour venir à bout

D'une précaution fur qui rouloit la vie
De celui qu'il aimoit, défendit que jamais

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