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Je t'attraperai bien, dit-il. Et voici comme.
Auffi-tôt fait que dit, le fidéle émoucheur
Vous empoigne un pavé, le lancé avec roideur,
Caffe la tête à l'homme en écrafant la mouche,
Et non moins bon archer que mauvais raisonneur,
Roide mort étendu fur la place il le couche.

Rien n'eft fi dangereux qu'un ignorant ami :
Mieux vaudroit un fage ennemi.

FABLE X I.

Les deux Amis.

Deux vrais amis vivoient au (1) Monomotapa:

L'un ne poffédoit rien qui n'appartint à l'autre :
Les amis de ce pays-là

Valent bien, dit-on, ceux du nôtre.

Une nuit que chacun s'occupoit au fommeil,
Et mettoit à profit l'abfence du Soleil,
Un de nos deux amis fort du lit en alarme :
Il court chez fon intime, éveille les valets :
(a) Morphée avoit touché le feuil de ce palais.
L'ami couché s'étonne, il prend fa bourfe, il s'arme,
Vient trouver l'autre, & dit : Il vous arrive peu
De courir quand on dort : vous me paroiffiez homme

(1) Pays au Sud-eft de l'Afri

que.

II. Partie

(a) Le Dieu du fommeil,c'eft à-dire, Tout le monde dormois dans ce Palais.

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A mieux user du temps destiné pour le fomme:
N'auriez-vous point perdu tout votre argent au jeu?
En voici: s'il vous eft venu quelque querelle,
J'ai mon épée, allons: Vous ennuyez-vous point
De coucher toujours feul ? Une esclave affez belle
Etoit à mes côtés, voulez-vous qu'on l'appelle?
Non, dit l'ami, ce n'eft ni l'un ni l'autre point:
Je vous rens grace de ce zéle.

Vous m'étes, en dormant, un peu triste
apparu :
J'ai craint qu'il ne fùt vrai, je fuis vite accouru.
Ce maudit fonge en est la cause.

Qui d'eux aimoit le mieux, que t'en semble, Lecteur?
Cette difficulté vaut bien qu'on la propose.

Qu'un ami véritable eft une douce chofe!
Il cherche vos befoins au fond de votre cœur:
Il vous épargne la pudeur

De les lui découvrir vous-même.

Un fonge, un rien, tout lui fait peur
Quand il s'agit de ce qu'il aime.

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Le Cochon, la Chévre, & le Mouton.

U Ne Chévre, un Mouton, avec un Cochon gras,

Montés fur même char, s'en alloient à la Foire:
Leur divertiffement ne les y portoit pas ;

On s'en alloit les vendre, à ce que dit l'Histoire:
Le Charton n'avoit pas deffein

De les mener voir (a) Tabarin.

Dom Pourceau crioit en chemin,

Comme s'il avoit eu cent Bouchers à fes trouffes:
C'étoit une clameur à rendre les gens fourds.
Les autres animaux, créatures plus douces,
Bonnes
gens, s'étonnoient qu'il criât au fecours:
Ils ne voyoient nul mal à craindre.

Le Charton dit au Porc: Qu'as-tu tant à te plaindre?
Tu nous étourdis tous, que ne te tiens-tu coi?
Ces deux perfonnes-ci, plus honnêtes que toi,
Devroient t'apprendre à vivre, ou du moins à te taire,
Regarde ce Mouton : a-t-il dit un feul mot?
Il eft fage. Il est un fot,

Repartit le Cochon : s'il favoit fon affaire,
Il crieroit comme moi du haut de fon gofier;
Et cette autre perfonne honnête,
Crieroit tout du haut de fa tête.

Ils penfent qu'on les veut feulement décharger,
La Chévre de fon lait, le Mouton de fa laine.
Je ne fai pas s'ils ont raison,
Mais quant à moi qui ne fuis bon
Qu'à manger, ma mort est certaine.
Adieu mon toit & ma maison..

Dom Pourceau raifonnoit en fubtil perfonnage:
Mais que lui fervoit-il? Quand le mal eft certain,
La plainte ni la peur ne changent le destin;
Et le moins prévoyant cit toujours le plus fage.
(a) Nom d'un Farceur, pour toute la Troupe.

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Veut revoir fur le Parnaffe

Des Fables de ma façon;

Or d'aller lui dire, Non,
Sans quelque valable excuse,
Ce n'est pas comme on en use
Avec des Divinités,

Sur tout quand ce font de celles
Que la qualité de Belles
Fait Reines des volontés.
Car afin que l'on le fache,
C'est Sillery qui s'attache
A vouloir que de nouveau
Sire Loup, Sire Corbeau
Chez moi fe parlent en rime.
Qui dit Sillery, dit tout :
Peu de gens en leur estime
Lui refufent le haut bout.
Comment le pourroit-on faire?

(1) Ecrivain célébre, qui en Profe Italienne, admirée des connoiffeurs, a compofé des

Contes, dont plufieurs ont été agréablement imités en vers par La Fontaine,

Pour venir à notre affaire,

Mes Contes, à fon avis,
Sont obfcurs. Les beaux efprits
N'entendent pas toute chofe:
Faifons donc quelques récits
Qu'elle déchifre fans glofe.

Amenons des Bergers, & puis nous rimerons
Ce que difent entre eux les Loups & les Moutons.

Tircis difoit un jour à la jeune Amarante,
Ah! Si vous connoiffiez comme moi certain mal
Qui nous plaît & qui nous enchante!
Il n'eft bien fous le Ciel qui vous parût égal.
Souffrez qu'on vous le communique:
Croyez-moi, n'ayez point de peur.

Voudrois-je vous tromper, vous pour qui je me pique
Des plus doux fentimens que puiffe avoir un cœur?
Amarante auffi-tôt replique :

Comment l'appellez-vous ce mal? Quel est fon nom? L'amour. Ce mot eft beau: dites-moi quelques

marques

A quoi je le pourrai connoître : que fent-on ?
Des peines près de qui le plaifir des Monarques
Eft ennuyeux & fade: on s'oublie, on fe plaît
Toute feule en une forêt.

Se mire-t-on près d'un rivage?

Ce n'eft pas foi qu'on voit, on ne voit qu'une image Qui fans ceffe revient, & qui fuit en tous lieux : Pour tout le refte on eft fans yeux.

Il est un Berger du village

Dont l'abord, dont la voix, dont le nom fait rougir:

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